La dissuasion nucléaire française est permanente depuis 1964. Et depuis 1972, elle dispose d’une composante sous-marine, avec les fameux sous-marins nucléaires lanceur d’engin (SNLE). Cette dissuasion devient indétectable. Inaccessible. Même si le territoire est attaqué et détruit, une frappe est possible.
La France compte quatre SNLE, dont un au moins est en mer ; chaque sous-marin est doté de seize missiles nucléaires. Après l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, en février 2022, le France a même renforcé son niveau d’alerte et déployé trois sous-marins nucléaires simultanément, témoignant de la tension internationale. Et rappelant, par la même occasion, l’existence de la dissuasion nucléaire. Dans la prochaine loi de programmation militaire, doté de 413 milliards d’euros pour la période 2024-2030, 12,5 % du budget est fléché vers cette dissuasion.
Aujourd’hui, Naval group lance le chantier de la 3e génération de SNLE. Le premier modèle doit entrer en service en 2035. L’industriel a déjà commencé la construction de la chaufferie, à propulsion nucléaire, du futur sous-marin. Et le chantier de la coque débutera en 2024. Et c’est pour participer à cette aventure que quatre cadres de Naval Group, constructeur naval de défense et fabricant des navires de la Marine nationale et des sous-marins, ont visité l’entreprise Selectarc ce mardi 29 août, à Grandvillars.
Selectarc est l’unique – pour ne pas dire le dernier – fabricant français de produits d’apport de soudage et de brasage (lire notre article). Une entreprise détenue à 100 % par Viellard-Migeon & Cie, entreprise familiale et historique du sud Territoire, dont l’histoire industrielle est plusieurs fois centenaire. Elle détient le leader de l’hameçon VMC, à Morvillars, et est l’un des deux actionnaire principaux du groupe Lisi.
Long terme
Le sous-marin doit résister à la pression sous l’eau. Il doit être capable d’enchainer les cycles de plongées et de remontées. Et il a une durée de vie de 40 ans. Face à ces exigences, la qualité de l’acier de la coque est essentielle, tout comme les soudures qui le lient. Les soudures, radiographiées, se font sur de grosses épaisseurs. Les produits d’apport de soudage doivent donc être de très bonne qualité. Depuis plusieurs mois, Selectarc travaille dessus. « Nous cherchons une qualité très élevée », confirme Laurent Espinasse, vice-président de Naval Group, directeur des sous-marins de 3e génération. « Les difficultés techniques sont supérieures [que dans le secteur nucléaire] », confirme Florence Perrichon, directrice technique chez Selectarc. La marque du nucléaire, c’est le suivi de la production. Selectarc travaille aussi pour ce secteur exigeant.
Naval group et Selectarc discutent depuis 2020 ; des contrats ont déjà été passés pour accompagner l’entreprise du Sud Territoire. À l’époque, le maître d’œuvre industriel déplore la délocalisation de l’un de ses partenaires puis son désinvestissement. La montée des tensions internationales et la crise sanitaire replacent, quant à elles, l’importance de la souveraineté. « Nous cherchons une solution nationale de produit d’apport de soudage », convient Laurent Espinasse. Malgré l’urgence, être fournisseur du prochain SNLE ne s’improvise pas. « Nos contrats visent à faire monter en maturité [les technologies] », explique Hervé Darmon, en charge de la souveraineté à la direction des achats de Naval Group. Le niveau de maturité technologique se mesure sur une échelle de 1 à 9, l’échelle TRL. Selectarc se situe aujourd’hui au niveau 4. Et il y a la place pour que l’entreprise de Grandvillars participe en partie à la construction du SNLE à livrer en 2035 confirme Naval Group.
Par ailleurs, l’industriel cherche un partenaire fiable, capable de garantir à très long terme ses produits. Le dernier et 4e SNLE programmé de la 3e génération sera mis en service en 2050, pour naviguer jusqu’en 2090. « Nous avons besoin d’engagement à long terme », souligne Laurent Espinasse. « Nous avons la volonté d’être partenaire de Naval Group dans la durée », valide Emmanuel Viellard, président de Viellard Migeon & Cie, directeur général de Lisi Group, par ailleurs commissaire général du Salon aéronautique du Bourget (lire notre article) et président du comité Liaison défense au Medef. Les prochains mois vont permettre à Naval Group et Selectarc de lever les problématiques techniques. Et de passer les différentes étapes menant à la certification. « On a à cœur de trouver des solutions », insiste Selectarc.
« Ce partenariat est significatif en termes d’emplois et d’image », précise Emmanuel Viellard, sans évoquer de montants de contrats ni d’investissements. La direction générale de l’armement accompagne le projet, elle qui cherche à relocaliser les éléments stratégiques, comme le déclarait l’ingénieur général de l’armement Alexandre Lahousse, chef du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique à la Direction générale de l’armement, sur le site du ministère des Armées ; on estime à 10 % les dépendances étrangères du secteur de la défense. Selectarc va participer à cet effort de souveraineté.
Un tissus industriel qui travaille pour la défense
« Quand l’état achète des SNLE, il contribue à la richesse de tous les territoires », replace Laurent Espinasse, soulignant la filière française de la défense et l’implication de tous les département dans ces projets, excepté la Corse, sourit-il. Le Territoire de Belfort n’échappe pas à la règle. Plusieurs entreprises du département travaillent pour les armées françaises, comme Becker Electronique, à Beaucourt (lire notre article), ou encore Plubeau et compagnie, à Auxelles-Bas, qui œuvre pour les forces spéciales. La participation prochaine de Selectarc à la construction de cet élément clé de la dissuasion nucléaire est un exemple supplémentaire. Selon une note du ministère des Armées, consultée par Le Trois, 40 entreprises travaillent avec le ministère, dont sept sont des sous-traitants de l’armement. De manière générale, la Bourgogne-Franche-Comté n’est pas la région qui concentre le plus d’acteurs de la défense. Arquus, dans la Nièvre, et Safran, en Côte-d’Or sont les deux principaux opérateurs. Toutefois, certaines entités régionales fabriquent des éléments « critiques et stratégiques pour la défense », confirme une source bien renseignée sur le sujet. Les effectifs du ministère des Armées s’élèvent à 2 119 personnes dans le département, avec la présence de deux régiments, le 35e régiment d’infanterie à Belfort et le 1er régiment d’artillerie à Bourogne.