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Entre GE et EDF, une « guerre commerciale » qui ne dit pas son nom

Alternateurs pour turbine à vapeur Arabelle, destinées à la centrale d'Akkuyu, en Turquie. | ©Le Trois – Thibault Quartier
Analyse
Le report de la finalisation du rachat de la branche nucléaire de General Electric par EDF inquiète. Le dossier ne se joue plus à l’échelle des entreprises, mais bien des deux États. Les syndicats s’alarment. La CGT vient d’écrire au ministre de l’Économie pour l’alerter, par la voix de sa secrétaire générale, Sophie Binet. Le point.

Une chaine n’est jamais aussi solide que le plus faible de ses maillons. Que pèse la future filière électro-nucléaire française si les États-Unis dictent au fournisseur de la turbine Arabelle, élément clé de la centrale nucléaire, les clients à qui il peut vendre ses équipements ? Pas grand-chose soufflent certains… Et c’est bien tout l’enjeu des discussions actuelles.

La finalisation du rachat de la branche nucléaire de General Electric (Geast) par EDF devait intervenir le 1er décembre 2023. Cela n’a pas été le cas (lire notre article). Arabelle solutions, nouveau nom de l’entité, a bien une réalité juridique depuis le 1er novembre, mais elle est toujours dans le giron de General Electric. L’ombre de sanctions américaines contre le nucléaire civile russe (lire notre analyse), dans le cadre de la guerre en Ukraine, menace en effet l’exécution des contrats par l’entreprise, qui a des engagements auprès de son partenaire russe Rosatom (lire notre enquête de novembre 2022). Cette inquiétude a fait reculer EDF pour mettre le point final au deal.

Or, ne pas poursuivre les contrats avec Rosatom, « c’est la moitié du carnet de commandes [qui s’envole] », replace Laurent Humbert, de la CFE-CGC, et « une usine vide [de fabrication] pendant plus d’un an ». Arabelle solutions a besoin d’exporter pour garantir son équilibre économique. Et la filière nucléaire française, pour se relancer, a besoin d’un équipementier solide. « Il y a une part d’inconséquence du gouvernement, dénonce Laurent Santoire, de la CGT. Il n’a pas sécurisé le carnet de commandes. » EDF et la France doivent arracher des Américains une licence pour pouvoir vendre à Rosatom et exécuter les contrats, malgré les sanctions. Huit turbines ont été commandées par Rosatom, pour des projets en Égypte, Turquie et en Hongrie.

« Il y a une guerre commerciale », n’hésite pas à dire un observateur avisé du dossier qui souhaite garder l’anonymat. « C’est politique, voire géopolitique », valide Christian Mougenot, de la CFDT. « Ce projet de retour sous pavillon français de Geast est nécessaire pour garantir la souveraineté́ de notre Nation, tant énergétique qu’industrielle, interpelle Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, dans un courrier au ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qu’elle demande à rencontrer (à retrouver ci-dessous). Les composants mécaniques (Turbine Arabelle et alternateur) et l’ingénierie et du Contrôle command en sont la clé de voûte. »

« Les débats sont au-dessus de l’entreprise »

Les Américains ont commencé à sanctionner certaines filiales de Rosatom en 2023, dans le cadre de ses mesures contre la Russie pour son invasion de l’Ukraine. Elles n’étaient pas liées au nucléaire. Mais le couperet se rapproche, d’autant que, dès 2025, les États-Unis ne feront plus enrichir d’uranium par Rosatom, ce qui empêchait jusque-là les sanctions. Le nucléaire civil a toujours été exclu des sanctions européennes, préservant les intérêts français. Les Américains vont le faire, menaçant ainsi la pérennité de cette entité qui doit quitter General Electric pour EDF. Arabelle solutions fabrique la turbine Arabelle et les alternateurs et conçoit aussi leur intégration dans les centrales.

« Ce qu’on sait aujourd’hui, c’est qu’on ne sait plus rien », déplore Laurent Santoire. « On n’en sait pas plus que début décembre », valide Laurent Humbert. « Pour les salariés, ce qui peut paraître inquiétant, c’est le peu de communication sur le blocage, observe Christian Mougenot. Cela laisse place à l’imagination. » Et aux pires spéculations. Cette incertitude n’est pas propice « à l’investissement dans l’outil industriel » ni au « maintien des compétences » alerte également Sophie Binet, dans son courrier.

Christian Mougenot est confiant dans la finalisation du deal, même si cela prendra du temps, car ces négociations se situent au niveau des États. « Les débats sont au-dessus de l’entreprise », image-t-il. D’autres sont beaucoup plus circonspects. « La situation est grave », analyse finalement un observateur. « Au regard des enjeux, l’intervention volontariste des pouvoirs publics est indispensable », réclame la CGT dans son courrier. Il en va de la postérité du discours de Belfort, prononcé par Emmanuel Macron le 10 février 2022 devant une turbine Arabelle, dans les ateliers de General Electric, ex Alstom, relançant une filière nucléaire française avec l’annonce de la construction de six nouveaux EPR.

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