« Les enjeux liés à la lutte contre le réchauffement climatique sont de plus en plus prégnants. » Carmen Munoz-Dormoy est la directrice de l’action régionale du groupe EDF en Bourgogne-Franche-Comté (lire notre article) depuis le 1er octobre. Elle n’a pas pris de détours pour placer les enjeux de la mission qu’on lui a confiée. Elle succède à Robert Poggi, parti à l’action régionale Grand Est. Elle se place « dans la continuité de ses prédécesseurs », glisse-t-elle, mais souligne aussi que l’on ne va pas « assez vite dans la décarbonation ». D’ajouter : « Moi qui viens de la R&D, pour les chercheurs, ce n’est pas une surprise [qu’on n’aille pas assez vite]. » Sa feuille de route se résume en trois mots : décarbonation ; réindustrialisation ; et emplois.
Carmen Munoz-Dormoy est ingénieure de formation, diplômée en Espagne et en France ; elle a notamment été formée à Centrale Supelec. Sa spécialité ? le bâtiment. Elle a intégré le groupe EDF en 1997. Au cours de sa riche carrière, elle a passé de longues années dans la division recherches et développement de l’énergéticien. Elle a aussi travaillé pour Enedis, dirigé la filiale Citelum, connue pour participer à OnDijon ; c’est une filiale dédiée aux infrastructures et services liées aux smart cities.
La décarbonation passe, rappelle la directrice régionale, par l’électrification des usages et de la consommation d’énergie finale. En 2021, indique une note de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Bourgogne-Franche-Comté d’avril 2024 (à retrouver ici), la consommation d’énergie en Bourgogne-Franche-Comté était de 85 TWh ; 23,5 % de cette énergie consommée était de l’électricité. Cela souligne le potentiel à decarboner, observe Carmen Munoz-Dormoy, sachant que, selon cette note, les produits pétroliers, le gaz et le charbon pèsent 63,7 % de l’énergie consommée par la région. « Il y a un gros chemin de decarbonation », constate-t-elle. « L’électrification est un levier puissant », ajoute la directrice, car elle joue sur deux leviers. Le premier : l’électricité française est majoritairement décarbonée. Elle est, soit, produite par le nucléaire, soit par des énergies renouvelables. Ce mardi soir (selon Electricitymap), le nucléaire représentait 68,91 % de l’électricité disponible. Le mix énergétique français représentait alors une intensité carbone dix fois moins élevée qu’en Allemagne. L’autre levier de l’électricité, c’est son « efficacité », appuie la directrice régionale. En recourant à l’électricité, on consomme moins d’énergie finale pour une même utilisation explique l’ingénieure.
« Nous avons des atouts »
Autre champ d’action, la réindustrialisation. Et la région est particulièrement concernée. Sans avoir de centrales nucléaires en activité, la région est l’une des principaux fournisseurs « de la supply chain du nucléaire », indique-t-elle. En Saône-et-Loire, Framatome emploie 3 000 personnes, fabriquant des éléments du cœur du réacteur. Dans le Territoire de Belfort, Arabelle solution (1 300 salariés), qui vient d’être rachetée par EDF (lire notre article), fabrique la turbine à vapeur Arabelle (lire notre article) qui transforme l’énergie générée par la fission nucléaire en électricité. Les deux entités pèsent plus de la moitié des effectifs du groupe dans la région (plus de 7 000 collaborateurs). Dans ce cadre, « il n’est jamais bon d’être un industriel seul sur son territoire ». Tout le monde est gagnant de construire un écosystème industriel dense. « Nous avons des atouts », assure-t-elle. La France est compétitive, replace-t-elle, par rapport à ses voisins, en termes de coûts d’électricité et de fourniture d’une énergie décarbonée « Les bassins dynamiques sont positifs pour nous », insiste Carmen Munoz-Dormoy. Ils attirent les talents et favorisent l’implantation des familles, car ils permettent d’offrir des emplois aux conjoints et conjointes. . « Je compte m’impliquer auprès des acteurs de la région pour cette attractivité », promet-elle.
Avec la relance d’un programme nucléaire, Framatome et Arabelle solution, dont le dirigeant vient de prendre la tête d’Alstom France (lire notre article), se préparent à accroître leurs cadences, tout en multipliant les clients. Cela implique des recrutements au cours de la prochaine décennie ; l’emploi et les compétences sont le dernier chantier de sa feuille de route.
Dans les 10 prochaines années, le groupe envisage de recruter entre 400 et 600 personnes par an. « Nous allons embaucher partout et sur tous les métiers », confirme Carmen Munoz-Dormoy. Qui n’oublie pas de casser l’image d’Épinal accrochée à l’industrie. Les sites sont robotisés, propres, avec de la haute technologie, évoquant à titre d’exemple la pratique des contrôles non destructifs. « Ce sont presque des activités de laboratoires », image-t-elle avant d’insister : « C’est une industrie modernisée avec de bonnes conditions de travail. » Le groupe recrute du CAP au diplôme d’ingénieur.
- “Bourgogne-Franche-Comté : une région d’excellence nucléaire” : découvrez le magazine hors-série édité par Le Trois sur la filière nucléaire régionale : https://letrois.info/kiosque/bourgogne-franche-comte-une-region-dexcellence-nucleaire/
L’hydrogène est un vecteur « nécessaire » et « indispensable »
Le groupe EDF est présent en Bourgogne-Franche-Comté dans le domaine de l’hydrogène (notre dossier). Sa filiale Hynamics a développé deux stations, à Auxerre (Yonne) et Danjoutin (Territoire de Belfort). EDF est aussi actionnaire de McPhy, qui a construit une gigafactory à Fontaine, à l’Aéroparc, fabriquant des électrolyseurs de forte puissance destinés à la décarbonation de l’industrie. Si la filière hydrogène est dans le flou, actuellement, la directrice régionale est convaincue du potentiel. Selon l’agence internationale de l’énergie, on a consommé 94 millions de tonnes d’hydrogène en 2021. Mais « 99 % » de cet hydrogène est carboné, issu de la méthode de vaporéformage. « Nous avons besoin d’hydrogène décarboné », replace-t-elle, indiquant qu’il est possible de taxer les externalités négatives liées à la production de l’hydrogène carboné, ce qui le rendrait moins compétitif. Elle convient que la filière est encore « jeune », mais « qu’il n’y a pas de verrous technologiques majeurs, notamment sur les électrolyseurs ». « C’est un vecteur très noble, nécessaire et indispensable pour certains usages », conclut-elle.