Nicolas Soret est vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté, en charge des finances et du développement économique. Le maire de Joigny (Yonne) s’attarde sur le rôle du conseil régional dans le déploiement de la filière hydrogène et liste les atouts du territoire. Tout en ciblant les enjeux des prochaines années, notamment autour de la formation. Interview.
Nicolas Soret est vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté, en charge des finances et du développement économique. Le maire de Joigny (Yonne) s’attarde sur le rôle du conseil régional dans le déploiement de la filière hydrogène et liste les atouts du territoire. Tout en ciblant les enjeux des prochaines années, notamment autour de la formation. Interview.
La région Bourgogne-Franche-Comté a été pionnière dans la volonté politique liée au déploiement de l’hydrogène ; elle est labellisée depuis 2016. Alors qu’aujourd’hui on s’y lance à fond, comment cela se concrétise encore ?
L’hydrogène en Bourgogne-Franche-Comté, c’est bien avant 2016. Nous pouvons même faire remonter le début de l’histoire au choix – y compris de la région Franche-Comté à l’époque – de soutenir les actions de recherches sur la pile à combustible (en 1999, NDLR). La présidente de Région aime à rappeler qu’ils étaient peu, à l’époque, à y croire. Ce qu’il se passe aujourd’hui n’est que l’héritage de tous ces investissements sur l’intelligence et la recherche. Effectivement, nous sommes labellisés depuis 5 ans. Le conseil régional a réfléchi, écrit, voté et publié une feuille de route hydrogène qui est, d’une part, la déclinaison de la feuille de route nationale, mais la complète (notre article). Et la complète notamment sur les usages, assez peu présents dans la feuille de route nationale. Ça se décline par des règlements d’intervention qui nous permettent d’investir financièrement ; nous avons voté 90 millions d’euros sur l’hydrogène. Nous continuons d’investir sur la recherche, l’innovation. Nous investissons sur la croissance des entreprises. Nous investissons aussi sur l’immobilier, aux côtés des collectivités, pour permettre aux entreprises qui chercheraient un lieu d’implantation dans l’Hexagone d’atterrir chez nous. Nous sommes présents à toutes les étapes de la vie de l’entreprise. L’exemple le plus abouti, c’est H2SYS, dont nous avons inauguré les locaux mardi (le 28 septembre, NDLR). C’est d’abord l’idée d’un laboratoire, lui-même financé par la Région, qui franchit l’étape de la start-up – la Région est encore là – qui devient ensuite une PME, accompagnée par des fonds d’innovation et des fonds de croissance. Stratégiquement, il y a une nécessité de décarboner l’économie. Nous le faisons en accompagnant les projets des collectivités, en travaillant sur tous les usages (stationnaire, mobilités), aux côtés des entreprises, que ce soit sur les questions de production ou des usages de l’’hydrogène. C’est ça bâtir et nourrir l’écosystème.
Le conseil régional a investi dans les usages. De par sa compétence, elle a acquis des TER hydrogène, dont la mise en service commerciale est attendue en 2025 entre Auxerre et Laroche-Migennes (Yonne). On évoque aussi les bus hydrogène de Belfort, d’Auxerre. Mais ce sont toujours les mêmes exemples. Comment, à présent, allez-vous encourager les collectivités à s’y engager ?
Je crois beaucoup à la force de l’exemple. Ce sont ces trains, mais aussi les cinq lycées équipés d’une station hydrogène, pour lesquels il y a une dimension pédagogique. Selon France hydrogène, 100 000 emplois seront créés en France d’ici 2030 dans ce secteur. Il faut que l’on accompagne ces formations. La meilleure façon pour que les lycéens s’intéressent à ces métiers, c’est de toucher du doigt les question de la production et de l’usage. Auxerre, Dijon et Belfort vont créer une dynamique. Quand on est maire, on regarde ce qu’il se passe ailleurs. L’enjeu, c’était d’amorcer la pompe et de créer des exemples, avec l’espoir que cela se diffuse.
Nous avons parlé des usages. Mais pour créer une valeur ajoutée dans les territoires, il faut créer une filière. Comment la région soutient-elle la création de cette filière ? Que nous manque-t-il ?
Aujourd’hui, nous commençons à avoir tous les éléments de cet écosystème. Nous sommes plutôt sur faire grossir les initiatives, soit en les faisant sortir des laboratoires pour en faire des start-ups, soit en accompagnant des start-ups à devenir des PME, soit en accompagnant ces PME pour en faire des champions nationaux ou internationaux. Je ne pense pas que nous puissions dire qu’il manque une brique. Tout est là. Nous devons accompagner la croissance de ces briques.
Comment attire-t-on les entreprises ? Vous parliez de l’immobilier…
Nous avons nos propres outils, notamment des SEM immobilières (des sociétés d’économie mixte, NDLR), comme Batifranc. Elle est assez peu présente ici car il y a d’autres outils sur lesquels le conseil régional est associé aux intercommunalités, comme la SEM PMIE (dans le pays de Montbéliard), qui est capitalisée par l’intercommunalité et la Région. Cela nous permet d’avoir des outils très agiles et très rapides. Hier (le 29 septembre, NDLR), j’ai fait trois entretiens avec des entrepreneurs qui cherchent à se positionner en France et qui font le tour des Régions. Le fait d’avoir des outils immobiliers qui soient rapides et agiles et que nous soyons capables de proposer une implantation en quelques mois, cela joue beaucoup.
Dans l’hydrogène, on observe une concurrence féroce entre les territoires. Avons-nous un temps d’avance ?
Notre force, c’est l’antériorité. Cela ne date pas de 2016. Nous avons des outils publics et des jokers, comme le fonds Maugis. Les règles de financement public qui s’imposent en Bourgogne-Franche-Comté s’imposent ailleurs en France. Ce n’est donc pas sur les montants que l’on peut mobiliser que l’on gagne, mais sur notre rapidité et notre facilité à les mobiliser. Et notre facilité aussi pour trouver de l’immobilier et du foncier. Les entrepreneurs sont souvent pressés. Notre enjeu est de rapprocher le temps de l’administration du temps de l’entrepreneur. La politique de formation de Bourgogne-Franche-Comté est aussi reconnue. Cela veut donc dire que l’on peut trouver une main d’œuvre qualifiée, des salariés qualifiés ou une capacité à très rapidement les qualifier.
L’une des compétences de la Région est justement la formation. Une étude vient d’être menée pour cartographier les besoins. Qu’en est-il ?
Nous avons plusieurs niveaux. D’abord, nous avons les lycées. Même si le fond est porté par l’Éducation nationale, nous regardons comment les adapter en termes d’investissement pour loger ces nouvelles filières. Ensuite, il y a la formation des demandeurs d’emploi. Nous faisons une étude pour cartographier les besoins. Vous créez une offre de formation là où il y a des entreprises qui ont un besoin. Nous regardons dans l’ensemble des huit départements de Bourgogne-Franche-Comté où sont les entreprises qui ont des besoins. Nous les qualifions : quelles formations ? quelles spécialités ? Nous voulons faire du cousu-main, de la dentelle, pour faire en sorte que nos formations soient au plus près des besoins des entreprises.
L’enjeu de l’hydrogène, c’est la décarbonation. Comment encourager les entreprises, qui ne sont pas forcément dans cette dynamique, à se dire que c’est aussi pour elles ?
L’agence économique régionale mène un travail de prospection et une mission de pédagogie dans les territoires. Quand j’ai déjeuné avec le président de France hydrogène, il m’a dit que l’une des problématiques est de comprimer l’hydrogène. À Joigny (où il est maire, dans l’Yonne, NDLR), j’ai une magnifique PME – les compresseurs Guernet – qui dispose de brevets à l’international. J’appelle le président. Il me dit qu’il sent bien que l’hydrogène va le concerner. Il me dit : « Je produits 300 moteurs diesel et je vois bien qu’il va falloir que je bouge. Je regarde mais je ne sais pas comment m’y prendre. » Notre métier va consister à expliquer qu’il y a des ressources en Bourgogne-Franche-Comté. Quand on finance le pôle Véhicule du futur (l’organisateur du Forum Hydrogen business for climate, NDLR) ou l’agence économique régionale, nous permettons à la filière de se structurer.
Le nord Franche-Comté, c’est le pays de l’énergie, mais aussi celui de l’automobile. Aujourd’hui, l’hydrogène concerne surtout les poids lourds et les utilitaires. Et l’automobile sera confrontée en 2025 à un nouveau passage délicat avec le renforcement de normes anti-pollution…
Il y a une accélération extrêmement forte, de l’Union européenne, pour sortir du moteur thermique et aller vers le moteur électrique. Nous accompagnons, par des fonds d’innovation, plus encore que les constructeurs, les sous-traitants. Nous réfléchissons avec eux sur les sujets d’immobilier. Il y a aussi l’aspect formation des salariés ; aujourd’hui, faire un moteur thermique, ce n’est pas tout à fait les mêmes qualifications que celles dont on aura besoin sur un moteur électrique. Former plutôt que chômer a toujours été la ligne de Marie-Guite Dufay. Par ailleurs, on a une stratégie de croissance exogène de l’économie régionale, en faisant venir de nouvelles entreprises.
Quels sont les atouts de la Bourgogne-Franche-Comté pour créer ces nouveaux emplois ?
Sa recherche, ses universités. Ce sont des facteurs importants. Ensuite, son foncier. Nous avons la chance d’avoir des zones d’activités qui sont capables d’accueillir des entreprises. Nous avons aussi des écosystèmes très structurés sur le luxe, l’hydrogène, l’automobile, l’énergie, sur l’agro-alimentaire, le vin… Ce sont nos forces. Nous avons une volonté politique et une capacité à mobiliser les outils publics qui accompagnent les entreprises.