[article mis à jour le 27 novembre à 17h09]
« On est au lendemain de la fermeture de la structure Epona. Le moment est venu de s’expliquer », annonce, ce mardi 26 novembre, Alain Jakubowicz, avocat lyonnais bien connu*, qui défend Audrey Lehmann, directrice de l’établissement. Au lendemain, pas tout à fait : l’association Epona a été fermée le 30 septembre (lire notre article). Ce centre social accueillait temporairement des enfants en difficulté, avec 12 places en internat pour des jeunes de 12 à 18 ans et 3 places pour un dispositif de répit destiné à des adolescents de 10 à 21 ans.
Le Département du Territoire de Belfort, autorité de contrôle, a pris un arrêté de cessation définitive d’activité il y a près de deux mois. Selon cet arrêté, 22 enfants étaient hébergés, soit une augmentation de 83 % du taux d’occupation autorisé. L’établissement était placé sous administration provisoire depuis le 30 août. Les inquiétudes du Département ont été confirmées par l’administrateur provisoire, selon Marie-France Cefis, vice-présidente du conseil départemental en charge de la protection de l’enfance. Le Département avait alors évoqué des « dysfonctionnements portant atteinte à la sécurité des enfants », aggravés par une pénurie de personnel due à de nombreuses démissions.
« Une volonté politique »
Pour Me Jakubowicz, la fermeture d’Epona repose sur des « mensonges ». « L’arrêté de fermeture est scandaleux. Je suis venu avec un dossier que vous pourrez consulter à la fin de la conférence de presse », lance-t-il, bien qu’aucun document n’ait pu être consulté à ce stade, malgré nos demandes.
[Note aux lecteurs : après une erreur de retranscription de l’adresse email de Me Jakubowicz, nous avons finalement pu avoir les documents ce mercredi 27 novembre à 16h37. Ceux-ci sont en cours d’études par notre rédaction.]
Il qualifie la décision de « mise à mort » et évoque un « sabordage voulu et annoncé », ainsi qu’une volonté politique de fermeture remontant à l’arrivée de Florian Bouquet (LR) à la présidence du conseil départemental, en 2015. « Jusqu’en 2015, aucun problème n’avait été signalé », affirme l’avocat, évoquant 14 contrôles effectués après l’arrivée de Florian Bouquet. Selon lui, ces contrôles, y compris une enquête des services fiscaux, n’ont révélé aucun dysfonctionnement. Il y voit une « volonté d’en finir avec Epona », citant en exemple la fermeture similaire de la Villa des Sapins (lire nos articles). Il évoque l’hypothèse d’un conflit « gauche-droite », alors que le père d’Audrey Lehmann, Jacques, ancien maire de Chèvremont, de sensibilité de gauche, “a fortement participé financièrement au projet”.
L’administration provisoire remise en question
Martial Millaret, administrateur provisoire également impliqué dans le dossier de la Villa des Sapins, aurait, selon Me Jakubowicz, failli à ses fonctions. Lors d’une conférence de presse en septembre, Martial Millaret a déclaré ne pas avoir reçu les documents nécessaires pour instruire son enquête. Une version contestée par Audrey Lehmann, qui assure avoir fait constater leur remise par huissier de justice, une information que nous ne pouvons vérifier sans les documents. « Il a menti et a plombé la structure », affirme l’avocat.
« Tout est orchestré », assène encore l’avocat, réfutant les justifications du conseil départemental, notamment concernant le nombre élevé de fugues et la sur-occupation de la structure. Dans l’arrêté de fermeture, le conseil départemental évoque un cas d’agression sexuelle. L’avocat rétorque : « La jeune fille est une affabulatrice. Le jeune homme qu’elle dénonce n’était pas à Epona au cours de cette période. On n’est pas dans Me Too et la parole de la femme ici. C’est une gamine dans une situation psychologique terrifiante et ce n’est pas parce qu’elle dit quelque chose que c’est vrai.Objectivement, c’est faux, il n’y a même pas de plainte ni de suites pénales. »
Quant à la procédure pénale en cours, sur l’enquête menée par le tribunal correctionnel de Belfort pour travail dissimulé et harcèlement moral, il insiste sur le fait « que chaque point pourra être démonté en temps et en heure ». « Qu’on vienne la chercher sur le plan judiciaire, on attend que ça. Cette procédure judiciaire est une pantalonnade », somme-t-il. Il fait état d’une procédure judiciaire similaire en 2022 où, selon lui, le Parquet s’était « acharné » en faisant appel malgré une relaxe.
Il évoque également des phénomènes « sectaires », « communautaires », de la part des anciens salariés qui ont témoigné et alerté les autorités. « Leurs profils pourront être détaillés en temps voulu. » . Ce sont leurs témoignages qui ont aussi permis d’appuyer la décision de fermeture. « C’est scandaleux. On ne se repose que sur du conditionnel. » Au Trois, ils sont une petite dizaine à avoir témoigné anonymement (lire ici).
« Epona, c’est derrière moi »
Contacté, Florian Bouquet dément toute volonté politique de sabordage. « Si j’avais voulu fermer la structure pour des raisons politiques, pourquoi aurais-je attendu dix ans ? » Il insiste sur la sécurité des enfants et évoque une carence en personnel « extrêmement grave », rendant la situation intenable. Le nombre d’enfants était bien supérieur à l’agrément, commence-t-il. « C’était déjà une raison suffisante pour leur retirer l’agrément. »
Concernant les documents qui auraient été remis à l’administrateur provisoire, dans les temps, et constatés par huissier, il rend coup pour coup : « Oui, mais lesquels ? Il est facile de remettre une enveloppe. Nous aussi avons fait constater par huissier ce qui a été remis. » L’administrateur provisoire a-t-il failli a ses fonctions ? « Non. J’ai confiance, il a une solide expérience dans ce milieu et l’inspection a aussi été menée avec l’aide sociale à l’enfance. » Pour lui, la parole est en train de se libérer et d’anciens jeunes sont, et vont être entendus par la justice dans le cadre de ce dossier.
Le Département évoque aussi des aspects financiers. Et assume une coupure des subventions, l’année 2022, en raison d’un manque de transparence budgétaire de la part d’Epona. « Quand on verse 900 000 euros par an, on attend des comptes clairs », justifie Florian Bouquet. Il poursuit : « En tant qu’organisme de tarification, il y a un débat budgétaire chaque année pour les structures. Epona ne communiquait pas leur pièce. La transparence n’a jamais prévalue. » Alors, une tarification d’office a été mise en place chaque année, explique-t-il. « Mais au bout d’un moment, on a quand même voulu rappeler que l’on est organisme de tutelle, d’où cette coupure. »
Si l’avenir d’Epona est scellé pour le Département, l’enquête judiciaire, elle, ne fait que commencer. L’enquête ouverte concerne des faits de « harcèlement moral et le travail dissimulé », détaille le Parquet. Concernant l’arrêté de fermeture, le président du Département ne compte pas revenir dessus. « Si on nous attaque, on ira en défense. On fera prévaloir chaque argument de notre arrêté », conclut-il.
*Alain Jacubowicz est connu pour avoir été engagé aux côtés du Consistoire israélite de France pour les procès Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice Papon. Il est également l’avocat des familles des victimes au procès de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc (2005), celui des familles des victimes de la catastrophe du vol Rio-Paris AF 447 (2009) et celui de Karim Benzema dans l’affaire de chantage présumé à la sextape de Mathieu Valbuena (2015). En septembre 2017, Alain Jakubowicz devient le principal avocat de Nordahl Lelandais, suspect appréhendé par la gendarmerie dans l’affaire Maëlys et Arthur Noyer.