Ils étaient nombreux à vouloir témoigner, d’un bord, et de l’autre, de ce qu’ils vivent au quotidien au sein de la structure Epona, à Fontaine. Cette maison d’enfants à caractère social (MECS) accueille des adolescents âgés de 12 à 18 ans, en internat, et en accueille d’autres dans le cadre du dispositif de droit au répit, pour des adolescents âgés de 10 à 21 ans.
Le 30 août, la structure a été placée sous administration provisoire. C’est le conseil départemental du Territoire de Belfort, autorité de contrôle, qui l’annonçait dans un communiqué de presse, évoquant de nombreux signalements d’agents et des faits graves portant atteinte à la sécurité des enfants. Depuis le 2 septembre, un administrateur provisoire gère la structure et doit dresser un bilan de la situation. Il avait participé à l’administration provisoire de la Villa des Sapins, en 2020 (lire ici).
La structure est dirigée par Audrey Lehmann-Friess, psychologue de métier ; elle l’a fondée en 2001. Elle est la propriétaire des lieux, ainsi que des écuries qui y sont rattachées, utilisées pour des sessions d’équithérapie à destination des jeunes du foyer. Mais aussi pour des cours d’équitation plus ludique, explique-t-elle par téléphone.
En fin de semaine dernière, des témoignages de salariés, souhaitant rester anonymes, ont commencé à émerger pour dénoncer son management. Dans un premier temps, l’arrivée de l’administrateur devait calmer la situation, espéraient les salariés en question. Ils ont alors attendu avant de s’exprimer. Mais depuis la mise en route de cette procédure, la situation s’est considérablement dégradée dans l’équipe. Des salariés ont démissionné. D’autres ont été licenciés. Une trajectoire qui a poussé plusieurs salariés, ainsi que des cadres, à témoigner contre la directrice.
Système « d’emprise »
« Mme Lehmann forçait l’admiration, au début du projet. Il était beau. Et l’équipe faisait du bon travail », narre une source désireuse de rester anonyme. On finissait par entrer « dans la famille Epona ». Une expression souvent utilisée par les témoins. « On se sentait privilégiés, protégés par la directrice. »
« Puis, petit à petit, tout le monde est parti », regrette cette même source. « Ne laissant que la directrice, sa famille et quelques amis », déplore-t-elle, encore, soulignant le poids de la fratrie dans la gestion : le mari d’Audrey Lehmann-Friess est directeur adjoint de la structure ; son père est aussi trésorier du conseil d’administration.
Au fur et à mesure, les conditions de travail se dégradent, explique-t-elle. « Chaque lundi, commençait le procès d’un nouveau salarié. Il valait mieux se taire si on ne se sentait pas concernés. Sinon, c’était votre tour », raconte, colère dans la voix, une autre source. « Il y avait un système d’emprise. Elle se jouait de nos vies privées, nous liguaient les uns contre les autres », souffle encore une voix. On reproche aussi des emportements à l’égard de salariés en arrêt-maladie. « Tout devait toujours rester privé. On nous disait qu’on était en famille. Mais finalement, cela faisait régner l’omerta. »
Plusieurs témoignages convergent pour dénoncer du personnel pas assez formé. Voire pas du tout. Ce que confirme aussi par téléphone Marie-France Céfis, vice-présidente au conseil départemental du Territoire de Belfort, en charge de la protection de l’enfance. Des salariés évoquent, par ailleurs, l’absence d’une infirmière à Epona pendant de longs mois. Un « référent médical » s’en chargeait. « Combien de fois il y a eu des erreurs dans les traitements », souffle un salarié. Des faits que réfutent par téléphone Audrey Lehmann.
Signalements pas remontés
Pourquoi, après 23 ans, tout cela sort-il ? Car au mois de mai, un fait relevant de « qualification pénale entre des jeunes » n’a pas été remonté, selon eux. Cela a été la goutte d’eau. Plusieurs salariés ont donc témoigné auprès du conseil départemental, puis de la gendarmerie (lire ici). Des personnes qui, d’après nos informations, ont, depuis, démissionnés ou ont été licenciées.
Les témoignages, anonymes, relatent que la directrice souhaitait gérer elle-même les signalements à faire remonter à la protection de l’enfance et à la justice. « Normalement, un éducateur peut s’occuper de ce genre de choses. Là, ce n’était pas le cas », regrette-t-on. Ce que dénoncent plusieurs sources : des signalements non relayés aux autorités, pour « éviter d’avoir une mauvaise image ». Dans l’arrêté publié par le conseil départemental du Territoire de Belfort, le 29 août, justifiant la mise en place d’une administration provisoire, il est évoqué « de possibles faits d’agression sexuelle […] qui auraient ensuite été dissimulés par la structure », peut-on lire dans le document. Audrey Lehmann, par téléphone, réfute entièrement la dissimulation de faits graves dans la structure.
« Sabotage »
« Je tiens à disposition des preuves », avance-t-elle, qui ont été remises à l’administrateur provisoire et qui permettront d’attester que tous les signalements liés aux jeunes de la structure, lorsqu’ils étaient nécessaires, ont été faits. Pour elle, tous les signalements qui lui sont reprochés et qui ont été livrés au Département et à la gendarmerie par les salariés sont faux. « Ces salariés sont en guerre parce que j’ai reposé du cadre », estime-t-elle. Elle re-précise que tous les signalements « ont été faits » en temps et en heure. Ces accusations, pour Audrey Lehmann, relève d’une tentative de « sabotage » d’un petit groupe de salariés. « Et dans tout cela, dans ces conflits d’adulte, on oublie les gamins. Ils n’avaient pas besoin de ça dans leur existence. Ils vivent un enfer depuis quinze jours », relate-t-elle.
Elle s’étonne également des accusations concernant le manque de formation des salariés. « Je suis dans une commission avec le Département, qui travaille sur cette question. Comme à l’hôpital, il y a la problématique de la Suisse. Nous sommes tous en manque criant de personnel dans le médico-social. On a des prérogatives et un protocole. On ne va pas prendre quelqu’un qui n’a pas de compétences post-bac et un minimum de bagages au niveau associatif ou encadrement. » Elle ajoute également que le métier ne fait pas rêver, et qu’elle a dû s’adapter pour trouver du personnel. « Il faut être clair : la protection de l’enfance, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, à Noel, à nouvel an, les week-end, ça ne fait pas rêver, d’autant plus avec des publics qui sont difficiles. »
Une quinzaine de salariés en soutien
Audrey Lehmann est soutenue par une quinzaine de salariés. Ils ont écrit une lettre au conseil départemental du Territoire de Belfort, que Le Trois a pu consulter, datant du 30 août. « Nous sommes accusés de maltraitance par une poignée de personnes travaillant ou ayant travaillé au sein de l’association Epona », écrivent-ils. Pour eux, les salariés qui dénoncent le management souhaitent « prendre en charge la direction de cette structure ». Ils accusent, à leur tour, ces salariés « d’accusations calomnieuses » et de « pressions ». Ils sont 14 à signer cette lettre. Ils évoquent une « absurdité des faits dénoncés » et dénoncent une « soif de pouvoir » et un « une démarche […] loin d’être noble ».
« Nous travaillons depuis plusieurs années auprès d’une direction qui prend réellement à coeur le bien-être des jeunes accueillis », poursuivent-ils dans une autre lettre, cette fois-ci adressée à la presse. Pour eux, le portrait de la directrice façonné par les salariés en opposition « est totalement inexact ». La lettre recueille une nouvelle fois une quinzaine de signatures, par le même groupe de salariés, dont des représentants du personnel et des délégués syndicaux. « Pensez-vous sincèrement que l’ensemble du personnel cautionnerait ces faits ? » écrivent-ils.
Enquête judiciaire en cours
À ce stade, l’affaire est difficilement démêlable. Des enquêtes sont menées et des procédures sont engagées notamment au tribunal judiciaire, au conseil départemental, à l’inspection du travail et aux Prud’hommes. L’enquête judiciaire concerne des faits « de harcèlement moral et de travail dissimulé », confirme le parquet du tribunal judiciaire de Belfort.
L’administrateur provisoire doit rendre des conclusions cette semaine quant à l’avenir des jeunes au sein du centre, affirme Marie-France Céfis. Mais la situation n’est pas simple, témoigne-t-elle. L’administrateur provisoire « est face à un véritable sac de noeuds », image l’élue, avec une directrice toujours présente, puisque la société et les bâtiments lui appartiennent. Combien de temps va durer cette situation ? Quelles sont les options ? Marie-France Céfis l’affirme : des décisions seront prises cette semaine pour « sortir les jeunes de là ».