Le Trois –

Héricourt : mais que se passe-t-il chez Gaussin ?

L'usine Gaussin à Héricourt, en Haute-Saône. | ©Le Trois – Thibault Quartier
Enquête

Procédures judiciaires en cascade. Blocage de matériel. Déclarations dans la presse. Manœuvres de déstabilisation. Depuis janvier, le groupe Gaussin et sa filiale Metalliance sont au cœur d’un imbroglio économico-financier. L’entreprise, experte en annonces grandiloquentes ces dernières années, est en péril. Retour, sur les grandes dates des cinq derniers mois, pour cerner les enjeux.

23 janvier

Metalliance, filiale du groupe Gaussin qu’il détient à 97 %, se place en procédure de sauvegarde, sans en avertir sa maison-mère. C’est la première pierre visible d’une division forte entre les deux structures. L’entreprise de Saône-et-Loire emploie 184 personnes, selon un jugement du tribunal de commerce de Dijon. Elle est présente à Saint-Vallier et Génelard. Elle est spécialisée dans la construction de véhicule de construction de tunnels. « C’est une pépite », assurent de nombreuses personnalités économiques régionales. Gaussin est au capital depuis 2008. Il a pris possession de 97 % du capital de la société en 2020. En 2022, il lui transfère sa production de véhicules de manutention dédiés à la logistique, ATM. En 2023, Metalliance devait livrer une commande d’Amazon de 355 tracteurs électriques ATM ; seulement 14 véhicules étaient livrés au 31 décembre 2023 (lire notre article).

26 février

Le 26 février, le groupe Gaussin annonce l’arrivée d’un nouveau directeur général délégué, Steve Filipov (lire notre article). Christophe Gaussin s’en était félicité sur LinkedIn ; le post est aujourd’hui supprimé. Steve Filipov « aura pour principales missions d’accélérer la production du carnet de commandes, de maîtriser les dépenses de l’entreprise et de mettre rapidement en place les financements nécessaires aux activités du groupe », indiquait alors l’entreprise dans un communiqué de presse. 

Derrière cette nomination se cache une autre dynamique. Steve Filipov représente un fonds américain avec qui le groupe Gaussin est en négociations. Il cherchait alors un repreneur ou un investisseur dans le groupe. C’était leur homme-lige pour finaliser le deal. Selon nos informations, l’offre finale était inférieure aux négociations initiales et a été retoquée par Christophe Gaussin. « Il y avait un trop gros delta », souffle une source interne du groupe. « Elle ne préservait pas l’emploi à Héricourt et le rachat était clairement à la baisse », ajoute ce même contact. « On ne pouvait pas brader l’innovation et les brevets », s’indigne-t-il.

Steve Filipov, directeur général délégué du groupe Gaussin. | ©Gaussin

3 avril

Une procédure de sauvegarde est engagée par le tribunal de commerce de Vesoul (Haute-Saône), à l’égard du groupe Gaussin, dont le siège est à Héricourt (notre article). Cela met fin aux négociations avec le fonds américain et cela met fin à la mission de Steve Filipov. Le groupe Gaussin se retrouve dans cette situation « par ricochet » commente-t-on en interne.

Le groupe fait face à des problèmes de trésorerie, liée notamment à des problématiques de facturation. Les produits sont payés à réception sur site ; hors, la distance de livraison est telle que plusieurs mois sont parfois nécessaires pour l’acheminement, retardant ainsi les paiements. La non production des véhicules pour Amazon a aussi réduit l’enveloppe disponible. Du côté de Metalliance, on souffle que Gaussin n’avait pas assez investi pour produire. Et que les coûts de production étaient supérieurs au prix de vente du véhicule de logistique. Gaussin indique qu’il a fait passer le capital de Metalliance de 2 à 13,5 millions d’euros en 16 ans. On sent des tensions entre la maison-mère et sa filiale, mais qui ne sont pas nouvelles, liées à des problématiques “de flux financiers internes”, indique un élu de Saône-et-Loire. “Gaussin ne pouvait pas honorer les commandes car il n’avait pas le cash“, estime une source économique régionale.

En 2023, le groupe Gaussin enregistre un chiffre d’affaires de 35,7 millions d’euros, contre 57,1 millions d’euros en 2022, soit une diminution des revenus de 37,5% en 2023. L’activité travaux souterrains de Metalliance a généré un chiffre d’affaires de 23,3 millions d’euros en 2023, soit 65 % du chiffre d’affaires consolidés du groupe. Gaussin a déjà acté une première restructuration en février, par sa sortie du capital du fabricant de véhicules autonomes Navya à Villeurbanne (Rhône) qu’il avait repris en 2023 avec le Japonais Macnica. Il prévoit de lui céder sa participation de 51 % dans la société, rebaptisée Gama. Une source de la filière hydrogène confirme également que les projets hydrogène sont mis au placard.

8 avril

Damien Personeni, l’un des quatre administrateurs du groupe Gaussin, démissionne. Selon toutes vraisemblances, le fonds américain a poursuivi des échanges informels avec des personnalités du groupe, notamment les deux autres administrateurs, Volker Berl et Martial Perniceni.

6 mai

Christophe Gaussin accorde une interview au média La bourse et la vie, pour rassurer les actionnaires (lire notre article). Les deux administrateurs cités précédemment convoquent une assemblée générale et font fuiter dans la presse, via le député Renaissance de Saône-et-Loire Louis Margueritte (à lire ici), que Christophe Gaussin n’est plus p-dg. Steve Filipov  est annoncé à sa place. Une action en justice est engagée par le groupe Gaussin pour faire reconnaître « le caractère illégal et frauduleux » de cette réunion annonce un communiqué de presse du groupe, au nom de Christophe Gaussin. En interne, on indique « que cela n’est pas valable car c’est le p-dg qui doit convoquer ». Certains évoquent même un « putsh ».

16 mai

Tablon SPV, société d’investissement de Czechoslovak Group (CSG), actionnaire de référence de Gaussin, détenant plus de 20 % du capital de la société, marque son territoire. Elle rejette l’opération menée par les deux administrateurs. Dans une lettre, consultée par Le Trois, Tablon SPV indique qu’il « n’a pas pour habitude de répondre aux menaces », peut-on lire dans une lettre adressée à Martial Perniceni. Il demande de s’abstenir « d’instrumentaliser les actionnaires de Gaussin SA pour qu’ils interviennent dans les désaccords entre les administrateurs ».

Tablon SPV demande la nomination d’un mandataire ad hoc afin de convoquer une assemblée générale, pour clarifier la gouvernance. Celle-ci est programmée le 18 juin. Les Tchèques ont injecté 15 millions d’euros en 2023. L’actionnaire nommera quatre administrateurs (Ewen Extier, Antoine de Koninck, Matthias Laurin et Jakub Šíp), portant à sept leur nombre. Il aura alors les coudées franches pour réorganiser. Quel est le projet de cet actionnaire qui envisageait d’investir jusqu’à 25 millions d’euros ? Envisage-t-il de maintenir Christophe Gaussin ? Veut-il maintenir les activités en France ? Beaucoup de questions. Encore peu de réponses.

17 mai

Metalliance est placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Dijon (Côte-d’Or). Le 7 mai, l’entreprise avait été déclarée en cessation de paiement. Le groupe Gaussin se dit prêt à céder l’activité tunnelier. Avec la nomination de deux administrateurs provisoires par le tribunal, Gaussin espère « reprendre le dialogue », indique Arthur Denez, porte-parole du groupe. 

La maison-mère veut récupérer des véhicules « et livrer ses clients ». Et les encaisser. Metalliance, de son côté, a un vrai carnet de commandes et dans la région, on loue « le savoir-faire » de l’entreprise. Au mois de décembre, elle a enregistré un contrat de 52 véhicules destinés au creusement de 4 chantiers de tunnels ferroviaires en Italie.

Dans ce dossier, comment se place aujourd’hui le Franco-américain Steve Filipov ? Sollicité, il n’a pas répondu à nos questions. Une communication est envisagée la semaine prochaine apprend-on dans son entourage. Il est en lien avec des avocats d’affaires nous confirme-t-on également. En coulisses, on murmure qu’il œuvre justement à une reprise de Metalliance. Était-ce déjà l’objectif lorsque les négociations ont été entamées en février entre le fonds américain et le groupe Gaussin ? 

C’est fait « en sous-marin » déplore une source interne du groupe Gaussin. « On n’a pas le contour des partenaires financiers de Steve Filipov », remarque une source politique, peu rassurée. Le personnage n’est pour autant pas un inconnu. Steve Filipov a travaillé chez le fabricant de grues Potain Poclain Manutention (PPM) et maîtrise le marché de la manutention lourde. Il a aussi dirigé Terex corporation de 1993 à 2016 ou encore Manitex International de 2019 à 2023.

22 mai

Les salariés du site d’Héricourt, où se situe le siège du groupe Gaussin et qui compte près de 80 personnes, adresse une lettre à la presse pour soutenir leur patron. « On développe des produits extraordinaires, indique Nathalie Pellissard, secrétaire du comité social économique. Nous sommes une entreprise familiale. » Elle veut sortir de cette « procédure par le haut ». Surtout, les salariés prennent position en faveur « de leur patron ». Et témoignent d’un soutien « indéfectible ». Ils dénoncent « des méthodes de déstabilisation ». « Nous réaffirmons notre confiance en lui et en sa capacité à diriger notre entreprise », écrivent-ils. Pas sûr qu’il détienne les clés de leur futur.

Qu’en est-il des aides publiques ?

Gaussin a été lauréat, en 2020, du programme France Relance, à hauteur d’un million d’euros, pour un projet évalué à 1,7 million d’euros visant à moderniser des outils de production et diversifier les sources d’énergie des véhicules. En 2019, Metalliance a été soutenue dans le cadre du programme d’investissement d’avenir PIA3, à hauteur de 170 000 euros. Le dossier déposé par Gaussin auprès du fonds Maugis, chargé de ventiler la pénalité de General Electric pour non création de 1 000 emplois après l’achat d’Alstom Énergie en 2015, a été refusé, « pour manque de crédibilité industrielle », indique un fin connaisseur. Il y a quelques mois, le groupe a fait des démarches pour percevoir des crédits du fonds Vert. Elles n’ont pas été poursuivies apprend-on.

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