Framatome fabrique les composants primaires des centrales nucléaires, comme la cuve ou encore le générateur de vapeur. Des équipements de plusieurs centaines de tonnes. La société, filiale d’EDF, vient d’intégrer le capital, à hauteur de 40 %, de Selectarc (lire notre article), basée à Grandvillars. Selectarc était détenue jusque-là, à 100 %, par la holding Viellard Migeon et Compagnie (VMC), née en 1796, qui comprend aussi Lisi ou encore les hameçons Rapala-VMC. L’entreprise porte l’histoire des forges de Saint-Hippolyte, née en 1870, dans le village. En 1952, VMC y crée une unité de fabrication d’électrodes enrobées. Un produit qui fait toujours le succès de Selectarc aujourd’hui.
Cette entrée au capital est une excellente nouvelle pour l’unique fabricant français de produits d’apport pour le soudage et le brasage (lire notre article). « Framatome sécurise ainsi sa chaine d’approvisionnement et poursuit sa politique de renforcement de la souveraineté de celle-ci, à l’instar des acquisitions récentes dans la robinetterie nucléaire », explique Jean-François Petitet, directeur des opérations et directeur commercial de la société, qu’il a rejointe en 2019 avec Jean-Pierre Gebhart, directeur général. Depuis six ans, le binôme œuvre à la consolidation de cette entreprise, étend son influence et sa renommée, comme on le voit lors des différentes compétitions autour du soudage, comme le championnat de France de soudage ou encore les Meilleurs soudeurs de France.

« Atteindre une taille critique »
Depuis plusieurs mois, l’entreprise se positionne sur des marchés de niche et à forte valeur ajoutée, à l’instar du nucléaire et de la défense. Elle a entamé, par exemple, une collaboration avec Naval Group (lire notre article). L’entrée au capital de Framatome conforte ce positionnement stratégique.
« Framatome doit nous permettre d’atteindre la taille critique », formule Jean-François Petitet. Un plan d’investissements est établi sur cinq ans. On n’en connaîtra pas les détails ; les sujets sont trop sensibles. « Nous avons l’ambition de doubler notre surface d’activité et d’élargir le spectre de nos activités manufacturières », concède-t-il cependant. L’objectif est d’être en capacité de produire plus, mais aussi d’élargir la gamme de produits, tant pour adresser plus de marchés que pour relocaliser de la production de produits encore sourcés à l’international. « Nous avons la volonté de fabriquer en France des produits qui ne sont plus fabriqués depuis des décennies », souligne le directeur commercial. Il croit en une filière française du soudage, évoquant des acteurs comme Engmar, dans le Rhône, spécialiste du traitement des fumées ou encore le spécialiste du gaz et de la flamme Le Lorrain, qui fabrique des chalumeaux, en Meurthe-et-Moselle. Se fixant un autre objectif : si Framatome veut être souverain de sa production, eux aussi doivent l’être. Et il s’engage dans cette voie.
Si Selectarc se positionne aujourd’hui sur des marchés exigeants, l’entreprise ne peut pas s’en contenter. Aujourd’hui, le nucléaire, la défense et l’aéronautique pèsent 10 % du chiffre d’affaires, qui s’établit à 45 millions d’euros en 2024, selon le directeur commercial. L’entreprise ambitionne d’accroître cette part. Mais elle ne permettra pas d’assurer elle-seule la consolidation de l’entreprise.
Surtout, pour se positionner sur ces marchés de niche, Selectarc doit faire de la recherche et du développement. Elle a investi dans son laboratoire, continue de le faire pour mener des essais au plus près de la réalité des usages industriels. Ce positionnement et les investissements nécessaires sont nourris par les volumes importants « des filières utilisatrices » de ces produits d’apport comme l’industrie, le BTP, l’agriculture ou encore le grand public via les canaux de distribution spécialisés. « Le soudage est par essence une filière horizontale qui croise [tous les secteurs] de l’économie, ce qui lui confère un intérêt stratégique longtemps ignoré, comme l’illustre l’état de la filière française dont les anciens champions sont passés sous pavillon étranger depuis de nombreuses années », analyse Jean-François Petitet. Qui poursuit : « La part de marché relative de Selectarc sur le sol français est encore bien en-deçà de ce que son statut unique lui permet d’ambitionner. La prise de conscience des enjeux de souveraineté, appuyés par la prise en compte de la RSE et d’une circularité plus forte dans le secteur de la métallurgie (c’est-à-dire de l’économie circulaire avec du recyclage de matière, NDLR) doivent porter cette ambition. »

« Attirer les talents »
« Élargir la capacité de production permet de sécuriser l’entreprise et lui permet ensuite de se positionner sur de la petite et de la moyenne série », détaille Jean-François Petitet, pour expliquer leur stratégie. « Nous voulons développer des produits plus performants, avec notamment des supers alliages », poursuit ce spécialiste, évoquant évidemment les sous-marins et les équipements primaires d’une centrale nucléaire. De rappeler, à raison : « La sureté et la durabilité [des équipements] dépend de la qualité des soudures réalisées ! »
Ces projets sont des processus longs, des tests à l’homologation en passant par la certification. Ensuite viennent les commandes qualifiées. Ils nécessitent donc d’être solides. Ces entreprises s’engagent sur de très longues périodes. Lorsque l’on évoque la prochaine génération de centrales nucléaires avec Framatome, l’horizon de l’entreprise est « à la fin du siècle », sourit le directeur commercial. Pour Selectarc, travailler avec ces majors permet aussi d’ouvrir le carnet d’adresses et de toucher de nouveaux acteurs de la filière. Elle regarde, par exemple, avec curiosité, les Chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), qui consomme chaque année 1 200 tonnes de produit de soudage. Atteindre une taille critique permet, finalement, à Selectarc, de sortir de l’anonymat et d’attirer « les talents », pour continuer de « faire progresser l’état de l’art du soudage français », assure Jean-François Petitet.
Selectarc compte 139 salariés, dont 110 en France et 90 à Grandvillars. Elle y produit 1 200 tonnes d’électrodes par an et dispose d’une capacité de 2 000 tonnes. L’entreprise s’appuie aussi sur une fonderie à Roche-lez-Beaupré, dans le Doubs, dédiée au brasage.
Selectarc, pépite longtemps cachée, bousculée à l’international, sort du bois avec le secteur de la défense et du nucléaire. Mais il ne faut pas confondre objectifs et moyens. Les enjeux autour de la souveraineté industrielle et énergétique française doivent surtout contribuer à assurer l’avenir de l’unique fabricant français de produits d’apport de soudage et de brasage.