Le Trois –

General Electric : le changement de direction chez gaz fragilise Belfort

Le flou entoure le projet de délocalisation de
Élément de la turbine à gaz 9HA de General Electric, dans un atelier à Belfort. | ©Le Trois – Thibault Quartier
Décryptage

Fabien Thévenot est nommé à la tête de GE EPF, l’entité turbine à gaz du conglomérat américain, en France. Celui qui dirige les activités de production à Belfort et Bourogne succède à Emmanuel Mercier, qui rejoint GE Hydro. À Belfort, ce changement inquiète les syndicats qui l’analysent comme un nouveau déclassement.

Emmanuel Mercier était dirigeant de General Electric Energy Product France (GE EPF), l’entité française des turbines à gaz, depuis janvier 2021, et directeur général des projets, pour l’Europe (lire notre article). Il est nommé directeur général Europe, Afrique et Moyen Orient de GE Hydro, apprend-on dans un courrier interne, adressé aux salariés, et consulté par Le Trois. Il a pris ses nouvelles fonctions le 15 janvier. Fabien Thévenot devient le dirigeant de l’entité française, « en plus de [ses] fonctions actuelles en tant que directeur de la production et des usines de GE EPF », indique General Electric, sollicité sur ce dossier.

Alexis Sesmat, élu au comité social et économique (CSE) et membre de Sud Industrie, a été interpellé par les mots de cette nomination. « Nous questionnions déjà beaucoup la marge de manœuvre de notre « directeur général » dans l’entreprise, mais cela va être encore plus le cas avec un « dirigeant » », relève-t-il. Selon lui, aucune décision ne sera prise dans la cité du Lion. Soit elle le sera au siège de GE, aux États-Unis, soit à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, où est installé le siège de la région Europe, Afrique, Asie et Moyen Orient. « C’est un monsieur qui a été nommé, sans les fonctions », sourit pour sa part Cyril Caritey, de la CGT. « Le terme qui lui correspond le plus, sans lui porter préjudice, c’est celui d’exécutant », ajoute-t-il.  

Déclassement

« Avant 2013, nous avions une entreprise qui, d’un côté, fabriquait des composants, et de l’autre concevait, vendait, et installait des centrales clés en main de 50 hz, partout dans le monde », rappelle Philippe Petitcolin, secrétaire du CSE et membre de la CFE-CGC. En 2013, les équipes belfortaines perdent la gestion de l’Asie. Puis l’Afrique et le Moyen Orient. Aujourd’hui, c’est l’Europe. Originellement, les décisions étaient prises à Belfort. À partir de 2015, ce fut à Baden, en Suisse. Dorénavant, c’est à Dubaï, pour les décisions qui concernent l’Asie, le Moyen Orient, l’Afrique et l’Europe. Au fur et mesure, le site devient de plus en plus un sous-traitant, une entité de production où l’on ne pilote plus de projets déplorent les trois représentants du personnel. « La crainte que nous avons, c’est que GE EPF ne se réduise qu’à la seule activité d’assemblage des turbines à gaz, avec la disparition de l’activité ingénierie, commercial et suivi de projet », résume Alexis Sesmat. « Cette nomination s’inscrit dans la continuité de la stratégie déployée par GE Gas Power au sein de GE Vernova », indique le groupe dans un communiqué adressé par mail, ce vendredi. Ce n’est pas sûr, justement, que cela rassure les syndicats. « On est déclassé, s’insurge Philippe Petitcolin. On est passé du monde entier, à l’Europe, Afrique, Moyen Orient, puis seulement à l’Europe et enfin à plus rien. »

Emmanuel Mercier dirigeait depuis Belfort une équipe dédiée aux projets et dirigeait le portefeuille Europe de ces projets. Ces équipes rendront compte dorénavant à Mohamad Ali, responsable de l’exécution des projets pour le pôle Europe, Afrique et Moyen Orient, basé lui aussi à Dubaï. Alexis Sesmat estime que ces orientations stratégiques s’observent depuis quelques années. « Cela se cristallise avec cette nomination », observe-t-il. Et d’ajouter : « [Fabien Thévenot] va dépendre du patron des usines mondiales. Comment pourra-t-il faire valoir l’activité ingineering ? » questionne Alexis Sesmat. Depuis 2019, il sent que l’entité française glisse de plus en plus.

Sur l’équipement, Cyril Caritey pointe du doigt les problématiques des turbines actuelles, par rapport à ses concurrentes de Siemens et de Mitsubishi-Hitachi. « Il y a une question de rendement de nos machines », abonde-t-il. « C’est une belle bécane, mais il y a besoin d’investissement », ajoute le leader syndical, dénonçant en creux le manque de développement. Leader mondial des turbines à gaz pendant de nombreuses années, GE est aujourd’hui troisième. Pourtant, le marché est porteur.

Alexis Sesmat redoute que ce nouveau repositionnement entraîne une vente à la découpe. Surtout qu’une activité manufacturière est « facile à déplacer aux États-Unis ou dans les pays à bas coûts où GE a des business associés », met-il en garde.

« On ne met pas à profit la réorganisation du groupe pour remuscler Belfort », dénonce Alexis Sesmat. Selon le planning originel, l’activité énergie de General Electric, GE Vernova, doit prendre son envol au premier semestre 2024, dans le cadre de la scission du conglomérat américain en trois entités ; cet envol est toutefois bousculé par le report de la vente de la partie nucléaire de GE à EDF (lire notre enquête).

Contre les accords de 2014

Surtout, selon les syndicats, cette situation « contrevient aux accords de 2014 », rappelle surtout Alexis Sesmat. « C’est un énième coup de poignard », poursuit Philippe Petitcolin. Lors de la vente d’Alstom énergie à General Electric, un paragraphe concernait cette entité turbine à gaz. Selon cet accord, « les quartiers généraux européens actuels de GE pour les activités turbines à gaz de grande taille à usage industriel de 50 Hz demeureront à Belfort ». Des équipes de direction mondiales devaient aussi y être attachées (approvisionnement, R&D, marketing, activités commerciales…). Force est de constater que ce n’est pas la stratégie retenue. Et qu’elle est enclenchée depuis plusieurs années. Ces accords sont valables dix ans, à compter du rachat effectif, officiel fin 2015. Ils sont donc valables jusqu’en 2025. Et ils ne sont toujours pas respectés, déplore Philippe Petitcolin ; en 2019, l’intersyndicale avait engagé une procédure en justice contre l’État pour le contraindre à faire respecter ce contrat.

L’entité turbine à gaz est aussi ciblée par une procédure judiciaire, dirigée par le parquet national financier (PNF). Plusieurs perquisitions ont été menées ces derniers mois à Belfort et Paris (lire nos articles ici et ici). Elles sont menées “dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte du chef de blanchiment aggravé de fraude fiscale”, indiquait, au mois d’août, le parquet national financier. Le 30 mai 2022, les syndicats Sud Industrie et CFE-CGC avaient saisi le parquet national financier pour blanchiment de fraude fiscale, abus de confiance, faux et usage de faux et recel (lire notre article). Le dossier est suivi par la magistrate et ancienne ministre Eva Joly. « Est-il conscient (Fabien Thévenot, NDLR) des responsabilités qu’il prend eut égard aux procédures en cours », interroge à ce sujet Alexis Sesmat.

Aujourd’hui, selon les syndicats, les effectifs de GE EPF oscillent autour de 1 300 salariés. Au 31 décembre 2018, il y avait 1 909 salariés dans l’entité, répartis entre Belfort et Bourogne.

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