La première réunion, engageant le plan de restructuration de GE Steam Power systems, à Belfort, s’est déroulée ce mercredi. « Ce plan est trop gros et trop tôt », résume Laurent Humbert, de la CFE-CGC. Les syndicats veulent le stopper. Ici, on ne parle quasiment pas de délocalisation. Par contre, la réorganisation met à mal un savoir-faire certain sur l’intégration des équipements des centrales nucléaires. Des éléments essentiels de la souveraineté énergétique.
La première réunion, engageant le plan de restructuration de GE Steam Power systems, à Belfort, s’est déroulée ce mercredi. « Ce plan est trop gros et trop tôt », résume Laurent Humbert, de la CFE-CGC. Les syndicats veulent le stopper. Ici, on ne parle quasiment pas de délocalisation. Par contre, la réorganisation met à mal un savoir-faire certain sur l’intégration des équipements des centrales nucléaires. Des éléments essentiels à la souveraineté énergétique.
Les données se confirment. Diaboliquement. Comme nous l’annoncions, 300 suppressions de postes sont envisagés en France, chez GE Steam Power, dont environ 240 à Belfort. Le plus gros contingent concerne l’entité Thermal systems Belfort (TSB), avec près de 200 suppressions de postes. Elle est orientée sur « la partie suivi de projet », note Laurent Humbert, secrétaire adjoint du comité social et économique (CSE) central et délégué syndical central, de la CFE-CGC. Au total, c’est près d’un quart des effectifs de cette entité (818 salariés au 31 août) qui est coupé. Il y a 18 mois, une procédure de rupture conventionnelle collective avait entrainé le départ de 180 personnes. Dans ce précédent plan, un engagement de GE de ne pas faire de plans sociaux courrait jusqu’au 30 juin. Cinq mois après, le couperet tombe à nouveau.
Thermal systems Belfort est un intégrateur. Si on fabrique dans les ateliers belfortains la turbine Arabelle ou des alternateurs (par l’entité Thermal Manufacturing Belfort), il faut bien imaginer un système pour relier ces équipements, qui produiront l’électricité, au réacteur nucléaire. C’est la mission d’un intégrateur. « La notion d’intégrateur est importante, relève Dominique Thiriet, membre du CSE et syndiqué à la CGT, car GE veut que nous ne soyons que des vendeurs de composants. » Une différence d’approche industrielle qui coince dans tous les business passés sous giron américain en 2015, lors de la vente de la branche énergie d’Alstom. La spécificité de Belfort, c’est bien de fabriquer des projets. Pas des produits sur étagères pour reprendre une complainte souvent formulée à l’encontre de l’organisation du géant américain. General Electric ne veut pas intégrer cette logique de projet « et les risques que cela implique », observe Laurent Humbert.
L'aspect financier écoeure
« Ils investissent dans un plan de licenciement », dénoncent les syndicats. Un licenciement coûte en moyenne entre 150 000 et 200 000 euros estiment les syndicats. Le plan de l’entité de Belfort va donc dépasser les 30 millions d’euros. Jean Bérillon, de Sud Industrie, rappelle que Larry Culp, le président-directeur général de General Electric, a touché, en 2019, 24,6 millions de dollars de salaire, soit plus de 20 millions d’euros ; soit les deux tiers du montant du plan. Le p-dg, qui a été prolongé jusqu’en 2024, s’est engagé à faire grimper les actions de GE autour de 16,68 dollars pendant une période de 30 jours consécutifs, selon le média Zone bourse, lui permettant de toucher une prime de 230 millions de dollars. Au moment de l’écriture de cet article de Zone Bourse, le 17 septembre, le cours de l’action de GE était à 6,75 dollars. Ce 10 décembre, il est à 11,32 dollars. La dernière fois que l’action avait dépassé les 10 dollars, c’était le 5 mars, avant la pandémie de la covid-19.
"Le nez dans le guidon"
Ce plan est justifié par la décision de se retirer, en Europe, de la construction de centrales à charbon neuves. Une orientation annoncée dès le mois de septembre. « Ce marché des centrales à charbon est aujourd’hui en rapide déclin à travers le monde, y compris en Europe », confirmait, au moment où Le Trois dévoilait ce plan de restructuration, General Electric. Cette stratégie pouvait laisser croire que Belfort serait épargnée. Finalement, elle est fortement touchée, alors que la quasi-totalité des équipes sont orientées actuellement sur des missions nucléaires et que la charge de travail est importante. Cinq projets de centrales nucléaires sont sur la table, dont le projet EDF d’Hinkley point, au sud-ouest de l’Angleterre, à proximité de Bristol. Quatre projets sont également en cours avec leur partenaire russe Rosatom.
« Cela fait plus de 2 ans que nous travaillons plein pot sur ces projets, confie Laurent Humbert. On est le nez dans le guidon. » De nouveaux projets sont, qui plus est, à l’étude. L’entité s’est positionnée. Elle est par exemple dans la short-list du projet de centrale nucléaire à Béléné, en Bulgarie. Et le marché des prochaines années est prometteur ; les représentants du personnel estiment qu’il faudra répondre à une demande de 10 GW en Europe pour la prochaine décennie, sachant qu’une centrale nucléaire correspond à une puissance de une à deux GW.
Un bilan social catastrophique ?
Laurent Humert est aussi inquiet de l’impact social de ce plan, avec évidemment les conséquences sur les sous-traitants et toute l’activité économique du territoire. Mais cela va au-delà. Souvent, dans de précédents plans sociaux, les négociations permettaient d’organiser des plans seniors et des plans de départs volontaires. Or, la procédure de ruptures conventionnelles collectives de 2018-2019 a déjà entraîné le départ de nombreux salariés pouvant prétendre à des mesures d’âge. La crise sanitaire et ses conséquences économiques compliquent, pour leur part, les projets de reconversion des volontaires. « J’ai peur qu’il y ait une grosse charrette », image Laurent Humbert. C’est-à-dire un nombre important de licenciements secs, à la fin du plan, d’ici un an. Avec toutes les difficultés de retrouver un emploi derrière, compte tenu de la situation économique.
« Ce plan est trop gros et trop tôt », résume Laurent Humbert. Et le risque, compte tenu de la voilure, est de perdre définitivement des « compétences clés ». « On sera à l’os en termes d’effectifs, craint-il. On ne sera pas capable de répondre à une offre qui arriverait de manière intempestive. » « General Electric sur-réagit. Quand il y aura une reprise de charge, on sera comme des cons, valide Dominique Thiriet. Il faudra reformer. » Et de rappeler que ces périodes (éventuelles) de baisse de charge permettent d’anticiper les besoins d’emplois, de mettre en place des tutorats et de former. Des éléments essentiels dans ces métiers de l’industrie.
« Annuler le plan »
Ce plan, qui recentre sur les projets nucléaires neufs, vise aussi à supprimer toutes les activités complémentaires de l’entité ; et elles sont délocalisées. Des activités comme la fabrication de compensateurs synchrones, de centrales biomasse. Des activités qui permettaient de garder des compétences et de pallier les creux de charge. « L’impulsion initiale est financière (lire par ailleurs) », résume Christian Mougenot, de la CFDT. Et les syndicats estiment même que le plan est précipité pour provisionner les départs sur l’année 2020, une année noire ; 2021 aura alors « une belle courbe » de croissance, raille Laurent Humbert. Et Christian Mougenot d’embrayer : « La direction est en train de noircir le tableau des résultats financiers, de l’avenir et de nos performances. »
« Notre idée est de faire annuler le plan », insiste Dominique Thiriet. Les représentants du personnel viennent de solliciter un cabinet d’experts, avec lequel ils vont monter une contre-proposition. Mais la situation est délicate. « Cela plombe le moral des salariés et les prive d’une vision d’avenir, critique Christian Mougenot. Comment assurer les projets en cours ? C’est anxiogène. » Aujourd’hui, un accord de méthode est en cours de discussion.
Les syndicats sont aussi amers vis-à-vis de l’État. Il a forcément validé le projet, car il dispose d’un siège au conseil d’administration de la structure (GEAST) qui chapeaute l’entité TSB. Comme leurs homologues de gaz, vont-ils envisager un recours contre lui pour ne pas avoir fait respecter les engagements du contrat signé en novembre 2014 avec General Electric. « On n’exclut rien », répond Christan Mougenot.
Le mirage d'un rachat
L’ensemble des représentants des salariés sont d’accord pour dire qu’il faut racheter l’entité. Mais pas que. C’est toute la filière nucléaire et énergétique qu’il faut sauver. Pas seulement la fabrication de la turbine (relire notre article). Il faut aussi les capacités d’intégration. Si Belfort n’est pas « consolidée », ils craignent d’être « hors-jeu » dans quelques années. « La structure pensée par GE n’est plus viable », disent-ils. Et de remarquer que les Chinois vont bientôt produire des turbines Arabelles light. Ils redoutent donc « des moyens de pression d’États étrangers », si on ne préserve pas la souveraineté industrielle. Sinon, le risque est grand concernant la gestion des « 50 pétards », image André Champenois, syndicaliste Sud Industrie, pour désigner les centrales nucléaires françaises et une gestion qui n’appartiendrait pas à la France. « Il faut arriver à une contre-proposition, peut-être plus globale », estime Dominique Thiriet. Sur la filière. « Sans Hydro, sans Grid, ça ne sert à rien ! » En tout cas, « au vu de l‘avancée du dossier, nos serions preneurs de pouvoir amener notre son de cloche », glisse Laurent Humbert. « Ce qui est catastrophique, quand on regarde dans le rétro, c’est que nous avions une entreprise qui était capable de répondre à tous les composants du mix énergétique, observe Dominique Thiriet en repensant à la branche énergie d’Alstom. Mais qu’à force de saucissonner, on est déconnecter de la possible construction d’un réseau électrique 0 carbone. »