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Kem Lalot : « Tout le monde a son mot à dire »

Kem Lalot, programmateur des Eurockéennes de Belfort.
Kem Lalot, programmateur des Eurockéennes de Belfort. | ©Le Trois – THibault Quartier
Entretien

Kem Lalot est le programmateur des Eurockéennes depuis plus de deux décennies. Il revient, pour Le Trois, sur les transformations du métier, sur le poids des réseaux sociaux et l’hystérisation du débat public.

Matmatah. Yann Tiersen. Disiz la peste. Mass hysteria. Ben Harper. Iggy Pop. Tiken Jaf Fakoly. Amadou & Mariam. Le Peuple de l’herbe. Voici quelques noms de la programmation des Eurockéennes, en 2001, lorsque Kem Lalot, le programmateur du festival, commençait sa mission. C’était il y a plus de deux décennies. Et le métier a bien changé depuis.

Les deux dernières semaines avant le lancement de cette 35e édition ont été tendues, autour des débats sur la programmation de Freeze Corleone. Il y a eu l’épisode judiciaire, qui a conduit à l’annulation du concert, ce dimanche 6 juillet. Il y a eu aussi tous les débats autour de la pertinence de ce choix. Un débat enflammé par un communiqué de presse du Rassemblement national (lire notre article), qui a immédiatement clivé les postures politiques. On résume : on ne peut pas tolérer des propos antisémites dans les chansons versus liberté de programmation.

Cet épisode illustre parfaitement le contexte dans lequel se glisse aujourd’hui la société en général. La programmation des festivals en particulier. Des débats hystérisés, enflammés par les réseaux sociaux. Sans nuances, ni reculs. Façonnés par les jugements péremptoires et les anathèmes.

« Nous sommes vigilants »

Le métier de programmateur a « considérablement changé », convient Kem Lalot. Déjà, du côté des artistes. « Depuis que j’ai commencé, les cachets se sont enflammés, le droit à l’image est devenu délirant », cite-t-il en exemple. Parfois, on passe plus de temps à négocier la place du nom d’artise sur le poster et la taille de la police que le montant de la prestation. « Tout doit être validé en amont », dévoile Kem Lalot. Qui glisse : « Cela devient un enfer. »

Autre changement de taille, les réseaux sociaux et les commentaires. « Tout le monde a son mot à dire », regrette-t-il. « Tout le monde sait faire la meilleure programmation du monde », souffle Kem, avec une pointe de lassitude. Au-delà des commentaires, la toile et les réseaux sociaux se transforment « en défouloir ». Le ton est rance. Ça sent la rancune. L’aigreur. « Le moindre truc qu’on met, il y a toujours un commentaire négatif, raconte Kem Lalot. Même sur le concert de l’Adapei (lire notre article), lundi, nous avons eu des commentaires négatifs. » Kem n’en tient plus compte, sinon il ne ferait plus rien. Mais ce n’est pas neutre non plus. Ça plombe. De l’édition 2024, Kem garde par exemple un souvenir ému des messages de haine balancés par quelques festivaliers au groupe Bagarre, qui avait arboré un drapeau LGBTQIA+. Et les réseaux sociaux agissent comme une caisse de résonance, alimentant la haine de l’autre.

« Provocation »

Et lui, que pense-t-il de la polémique autour de Freeze Corleone ? « Il faut différencier les paroles des morceaux, des propos, estime le programmateur. Il y a une vraie différence. S’il avait été condamné, la question ne se serait pas posée. » Les annulations de concerts relèvent de décisions administratives. Du côté du volet pénal, aujourd’hui, il n’y a que l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Nice, début 2024, pour « apologie du terrorisme » ; il faisait des références, dans une chanson, à l’attentat du 14 juillet 2016, à Nice, qui a provoqué la mort de 86 personnes et blessé 458 autres. Pour Kem, les morceaux répondent « à de la provocation ». Il compare avec Renaud, dans les années 1980, qui arborait un drapeau du FLNC, organisation terroriste qui a fait de multiples attentats et tué le préfet Claude Érignac.

« Nous sommes très vigilants, assure Kem Lalot. Nous ne faisons pas n’importe quoi depuis 35 ans. » Il se souvient d’avoir voulu programmer un groupe américain, musicalement très bon. Tout le milieu culturel poussait l’artiste. Quand il a découvert la personnalité du gars, il a préféré ne pas poursuivre. « Je fais attention aux débats de société », assure-t-il. Des clauses sont aujourd’hui insérées dans les contrats, liées au comportement de l’artiste. Pour Freeze Corleone, il était prévu de lui faire retirer les morceaux. Les Eurockéennes ont quand même été surprises de l’intensité des réactions après la programmation du rappeur. Avant de coucher son nom sur la line-up, ils ont échangé. Et pris la décision de le tenter, en voulant cadrer justement. Son concert au Cabaret vert, à Charleville-Mézière, s’était très bien passé ; ça les avait rassurés. Dès que Freeze Corleone a été programmé, on a constaté une dynamique de vente des billets aux Eurockéennes. Comme le rappelle Kem Lalot, c’est « un artiste rare ». C’est ce que le public avait bien compris. Il est « très populaire » auprès de la jeunesse.

Le projet autour de Serges Gainsbourg, programmé ce dimanche soir, a aussi suscité des tensions ; un collectif a demandé sa déprogrammation, compte tenu, notamment, de sa misogynie. « On manque de mot pour qualifier ce choix de programmation malgré notre demande d’annulation », dénonce, sur les réseaux sociaux, le collectif Nous Toutes 90. Autre exemple de l’ambiance autour de la programmation et des tensions qu’elle suscite. Près d’un quart de siècle s’est écoulé depuis 2001. Le métier de programmateur est bien plus exposé. Mais Kem Lalot ne désarme pas. Il « faut se battre » pour la liberté d’expression. Et pour les libertés artistique et de programmation qui en découlent.

« Une atteinte à la liberté d’expression »

« Nous sommes viscéralement attachés aux valeurs du festival que sont la tolérance le respect et la diversité », assure Matthieu Pigasse, président des Eurockéennes, 10 édition à son effectif, lors de la conférence de presse bilan (lire notre article), ce dimanche en fin d’après-midi. Il a aussi voulu régler ses comptes, à la suite de l’annulation du concert de Freeze Corleone. « Nous condamnons les propos d’incitation à la haine, les propos racistes et antisémites, replace-t-il, en propos liminaire. Ceci étant dit, cette décision porte atteinte à la liberté fondamentale, la liberté d’expression, de création et de programmation. Interdire un concert, c’est interdire à chacun de penser, de débattre, de ressentir. » Dans sa prise de parole, il a notamment cité Rachida Dati, qui déclarait que « dans le pays de la liberté, on ne tolère aucune censure ».

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