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10 leçons à retenir de la guerre en Ukraine [analyse]

La guerre en Ukraine a débuté le 24 février 2022. | ©Adobe Stock​
Le sénateur Les Républicains Cédric Perrin est le co-auteur d’un rapport d’informations sur les enseignements à faire pour la France de la guerre en Ukraine, déclenchée il y a un an à la suite de l’invasion russe. Les 10 leçons à retenir.

1. La paix est révolue

C’est le premier enseignement tiré des sénateurs Cédric Perrin (Les Républicains) et Jean-Marc Todeschini (Parti socialiste). « L’époque des dividendes de la paix est définitivement révolue », indiquent-ils. A posteriori, reconnaissent les deux sénateurs, « cette guerre ne constitue pas une vraie surprise stratégique ». Le renseignement était disponible. « Nos biais cognitifs nous ont conduits à surévaluer la probabilité la probabilité des hypothèses relevant de notre rationalité et à négliger les autres », écrivent les deux rapporteurs, invitant à changer de logique. Ils soulignent surtout l’évaluation coût/avantage d’une guerre qui n’est pas le même selon les démocraties et les régimes autoritaires. Et que c’est à prendre en considération dans les comportements futurs de la Russie, ceux de la Chine, de la Turquie « ou de tout État contestant les principes de l’ordre international ». « Si l’agression russe se révélait payante pour l’agresseur, ce serait une sorte de « feu vert » à toutes les tentatives de déstabilisation de l’ordre international », écrivent Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini.

2. Le paradoxe de la dissuasion nucléaire

« La dissuasion nucléaire reste la garantie ultime de sécurité et d’indépendance d’une nation », convient cette note de la commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat. Mais les deux hommes insistent surtout pour dire que l’investissement dans la dissuasion nucléaire « ne saurait justifier un moindre effort dans le domaine conventionnel », alertent-ils, glissant que la force nucléaire « ne doit pas être notre nouvelle ligne Maginot ».

3. Le poids du numérique

« La conduite de la guerre est profondément transformée par le numérique », écrivent les deux sénateurs. Dans la guerre à haute intensité, pour reprendre les vocables de l’armée, les champs immatériels de la guerre (lire notre article) occupent une place importance : champ informationnel ; cyberespace ; guerre électronique. En Ukraine, les capacités militaires (avec de l’intelligence artificielle) ont côtoyé les capacités civiles (smartphone par exemple). Les données en sources ouvertes ont été particulièrement exploitées. « Le modèle fermé, vertical est dépassé », estiment Jean-Marc Todeschini et Cédric Perrin. « Disposer d’une masse considérable d’informations, être capable d’exploiter des flux d’origine diverses, d’assurer des redondances et des dispositifs de contrôle, tout en maîtrisant la communication ne s’improvise », indique le rapport. Il faut disposer de capacités souveraines, complétées « de partenariats internationaux ». Ils invitent à créer une culture de la sécurité numérique et de disposer de réserves rapidement mobilisables.

4. Retour à la guerre "classique"

Selon des données communiquées par ce rapport qui tire les enseignements de la guerre en Ukraine, on compte 180 000 victimes militaires côté Russie (morts et blessés) et 100 000 militaires côté Ukraine (morts et blessés). « C’est une guerre d’attrition, dont la létalité est considérable et dans laquelle le rapport de force numérique et la capacité à durer grâce à des stocks et flux suffisants sont primordiaux », indique le rapport. On revient à des formes « classiques » de la guerre, loin des guerres asymétriques observées ces dernières décennies. Ce type de guerre, dit de haute intensité, présuppose de disposer de stocks suffisants, mais aussi d’être en capacité de produire rapidement des équipements et des munitions, « afin de pouvoir mettre en œuvre des feux tant au contact qu’à courte, moyenne ou longue portée », détaille le rapport. Ce type de guerre implique aussi, selon les auteurs du rapport, d’assurer la défense de proximité du combattant, notamment avec des défenses aériennes (sol-air et anti-drones). Il faut des capacités de détection et de défense autonome, sans dépendance des manœuvres interarmées.

5. Recréer une économie de guerre

« Si l’expression d’économie de guerre a le mérite d’impulser une dynamique, elle est excessive, voire trompeuse, au regard des objectifs poursuivis et, surtout, des résultats obtenus à ce jour », tempèrent les deux parlementaires. Aujourd’hui, les industries dépendent des exportations et ne bénéficient pas de visibilité pour préparer une éventuelle montée en puissance, du fait de l’absence d’engagements fermes de l’État regrettent Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini, ni de contrats-cadres pluriannuels. L’engagement sur des volumes permets d’obtenir « des économies d’échelle », argumentent-ils, contrairement aux commandes fragmentées ; à titre d’exemple, quand les commandes américaines de missilles ont augmenté de 30 % entre 2010 et 2019, elles ont diminué de 45 % en France. Par ailleurs, « la remobilisation de l’industrie, la relance de la production sont cruciales pour répondre à une demande croissante », notent-ils. Et les concurrents sont présents (États-Unis, Corée du Sud). Le risque, selon eux, serait « une marginalisation de l’industrie française ».

Ils invitent alors à simplifier les procédures et les normes. Ils suggèrent notamment de qualifier beaucoup plus rapidement des produits, en réduisant les exigences documentaires, sans réduire la sureté et la fiabilité ; cela accélérerait les programmes. Ils conseillent aussi de relocaliser des activités, comme les poudres propulsives. Ils soulignent l’importance de constituer des stocks stratégiques, mutualisés entre secteurs industriels. Et ils réclament un dispositif d’approvisionnement prioritaire des industries de la défense en cas de crise.

Il ne faut pas non plus ignorer que ce secteur industriel est confronté à une pénurie de main d’œuvre. 86 % des entreprises du secteur anticipaient des difficultés de recrutement en 2022. Ils proposent de créer une réserve industrielle de défense, comme fer de lance d’un grand plan de revalorisation des métiers industriels.

6. Reconstituer les capacités

1 349 chars en 1991, contre 222 en 2021. 686 avions de combat en 1991 contre 254 en 2021. 41 grands bâtiments de surface (marine) en 1991, contre 19 en 2021. Les capacités matérielles ont considérablement diminué ces dernières décennies. Le rapport intime à la prochaine loi de programmation militaire de consolider les défenses sol-air et les moyens de lutte contre les drones, de lancer des programmes rapides sur des petits drones, avec des munitions téléopérées (on parle de munitions rodeuses, voire de drones kamikases). Le rapport conseille aussi de préparer le remplacement, dans les cinq ans, du lance-roquette unitaire (lire notre article), présent uniquement au 1er régiment d’artillerie de Bourogne, quitte à l’acheter, plus qu’à le développer. Surtout, ils invitent à augmenter considérablement les stocks de munition. En termes de stocks, ils invitent aussi à accroître le nombre d’équipements qui accompagnent les missions, comme les radars AESA du Rafale.

Les capacités de l'armée française (©Sénat)

7. généraliser les drones

C’est le sujet de Cédric Perrin, les drones. Ils estiment qu’il faut généraliser la présence de drones dans les unités, comme outil de reconnaissance, mais aussi de frappe. Selon eux, il faut qu’ils soient dotés de munitions télé-opérés, de coût modéré, pour être considérés quasiment comme des « consommables ». 90 % des drones de ce type ont été perdus en Ukraine ; ils ont une durée de vie moyenne de trois à six vols. Dans le contexte d’une guerre comme celle de l’Ukraine, les drones MALE Reaper de l’armée française « se révèleraient difficilement exploitables dans un contexte asymétrique », expose le rapport. Ils ont un coût trop élevé et sont trop vulnérables estime le document. Toutes les unités terrestres doivent avoir des engins non pilotés pour le renseignement, le ciblage et la frappe souligne le rapport. À l’inverse, il faut des moyens de lutte anti-drone.

8. Le retour de l'Otan

La guerre en Ukraine a confirmé le poids « incontournable », écrivent-ils, de l’organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) dans la sécurité européenne. L’alliance est de nouveau attractive, comme le démontre les demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande, « ce qui constitue un tournant historique ». Ils invitent la France « à s’y investir encore davantage, au niveau de la conception, de l’élaboration des doctrines et des normes ». Mais ils indiquent également qu’il ne faut pas renoncer « à disposer de ses propres capacités d’appréciation ». « La France est reconnue pour sa compétence, sa maîtrise de la technologie et la qualité de ses équipements. Mais les quantités disponibles doivent être accrues afin de ne pas contraindre nos capacités d’action et de décision », préviennent les deux élus. Alors que l’aide américaine (financière et dotations d’armes et équipements) dépasse les 20 milliards de dollars, celle de la France avoisine le milliard de dollars et se classe en 9e position des pays les plus aidant, selon un tableau publié. Aujourd’hui, la France participe à plusieurs missions de l’Otan, comme en Roumanie où des éléments du 1er régiment d’artillerie sont postés (lire notre article).

9. Repenser la préparation

La préparation opérationnelle « doit monter en puissance et en gamme », conseillent les deux sénateurs. Orion(lire notre article) est un premier exemple. Mais ils invitent revoir le dispositif Sentinelle pour que les militaires puissent monter en puissance en termes de préparation, « pour redéployer les armées sur les missions pour lesquelles elles ont la plus grande valeur ajoutée ».

10. Préparer le pays

« La force morale ne se décrète pas, mais elle se prépare », écrivent Jean-Marc Todeschini et Cédric Perrin, dans leur rapport d’informations sur les enseignements de la guerre en Ukraine (retrouvez ici le rapport). L’Ukraine a montré une union, une résilience pour tenir face à l’invasion russe.

Aujourd’hui, les forces armées françaises comptent plus de 205 000 militaires. L’un des enjeux est la fidélisation des militaires, car le turnover est élevé. Il est aussi coûteux en termes de formation. Le turnover favorise par contre la « porosité » entre monde militaire et monde civil ; cela peut notamment encourager l’engagement dans la réserve.  On compte aujourd’hui en France 77 000 réservistes. L’objectif est d’avoir 100 000 réservistes en 2030. « Or, les freins sont nombreux », déplore-t-il, notamment la nécessité d’avoir l’accord de l’employeur pour les activités accomplis pendant le temps de travail au-delà de cinq jours par an (8 pour les entreprises de plus de 250 salariés, lire notre article). Ils notent aussi l’importance d’avoir un dispositif citoyen, pour toucher toute la jeunesse.

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