Pendant une heure, Jean-Marie-Girier, préfet du Territoire de Belfort, a accordé une interview exceptionnelle au Trois sur les enjeux du déploiement de l’hydrogène-énergie dans le territoire. Et le message est limpide : l’État veut accélérer les choses et être présent financièrement pour faire émerger les projets en cours. Avec un objectif en filigrane : construire la filière de demain.
Jean-Marie-Girier, préfet du Territoire de Belfort, a accordé une interview exceptionnelle au Trois sur les enjeux du déploiement de l’hydrogène-énergie dans le territoire. Et le message est limpide : l’État veut accélérer les choses et être présent financièrement pour faire émerger les projets en cours. Avec un objectif en filigrane : construire la filière de demain.
On dit du nord Franche-Comté qu’il est en avance sur le déploiement de l’hydrogène. Nous connaissons ses forces, le FC Lab, des projets importants, comme Isthy, et des industriels qui passent le pas, comme Faurecia dans le Doubs ou Gaussin en Haute-Saône. Contre qui se bat-on ? Quels sont les acteurs et les territoires qui sont déjà engagés dans cette voie, à l’échelle nationale ou internationale ?
D’abord, je ne pense pas que nous nous battons contre quelqu’un; nous nous battons pour l’avenir. C’est l’enjeu de la filière hydrogène : l’avenir industriel du territoire et répondre aux enjeux environnementaux. Il y a deux sujets : un positionnement de territoire et une temporalité. Effectivement, parce qu’il y a une ambition forte du gouvernement sur l’hydrogène, nous nous rendons compte que beaucoup de territoires se réveillent et se révèlent être de grands territoires d’hydrogène.
Mais un territoire d’hydrogène, qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui fait la différence chez nous ? Et non pas dans le Territoire de Belfort, mais à l’échelle de l’Aire urbaine et du Nord Franche-Comté. Nous avons une recherche académique de haut niveau, une expertise industrielle, des compétences, des formations, des projets – mais cela ne fait pas tout –, une mobilisation politique et aussi un positionnement géographique aux portes de l’Allemagne. Et nous voyons que c’est le couple franco-allemand qui va porter l’hydrogène dans les temps à venir. Ce qui nous différencie, c’est d’avoir les deux bouts de la chaîne : de l’académique jusqu’à l’industriel. Pour autant, ce n’est pas parce que nous avons été précurseurs hier, que nous le serons demain. Il ne faut pas se reposer sur nos lauriers.
Vous avez été nommé fin juillet. Vous avez pris vos fonctions fin août. Maintenant, le Territoire vous le connaissez…
Un tout petit peu plus (rire).
Nous connaissons les forces de ce territoire. Mais quelles sont ses faiblesses et sur quoi devons-nous être vigilants pour être précurseurs demain ?
Je n’aurais pas envie de commencer par parler des faiblesses. Il faut inverser le paradigme : comment booste-t-on nos forces pour pouvoir emmener derrière elles une dynamique et creuser un sillon ? Nous avons des grandes industries et nous avons des PME. Le vrai sujet, c’est le maillage à développer avec des sous-traitants, qui doivent eux aussi évoluer. Quand on est dans une rupture technologique, il ne faut pas que ce soit seulement les pionniers qui y aillent. Ils doivent emmener tout le monde avec eux. Nous avons un enjeu très fort de temporalité. L’hydrogène, sur ce territoire, on y pense depuis longtemps. Mais on ne l’a pas encore fait. Nous sommes à l’aube de l’éclosion de l’hydrogène dans l’Aire urbaine. Le travail académique et l’ambition d’un certain nombre de start-ups rencontrent aujourd’hui un moment dramatique pour le pays: celui d’une crise sanitaire doublée d’une crise économique. Mais cela représente une opportunité inédite. Nous avons ce plan sur l’hydrogène, doté de 7,2 milliards d’euros jusqu’en 2030 ; il y a un effet de levier considérable. Là où nous pouvions identifier quelques faiblesses, nous avons un outil majeur pour le compenser et tout accélérer.
Vous évoquez le plan de déploiement en faveur de l’hydrogène décarbonné. Dans ce cadre, l’Ademe vient de publier deux appels à projet (document ci-dessous). Quelle est la dynamique qu’ils insufflent ?
Aujourd’hui, nous avons un enjeu environnemental affirmé et prononcé, un enjeu économique et un enjeu de souveraineté énergétique. Daniel Hissel (chercheur au FC Lab, il vient de recevoir la médaille de l’innovation du CNRS, l’une des plus haute disctinction scientifique en France, NDLR) le dit souvent : nous avons la chance avec l’hydrogène de pouvoir se passer de la ressource fossile, un enjeu majeur de souveraineté, et d’avoir l’atome le plus présent dans l’univers. En termes de développement, c’est une nouvelle manière de voir la production de l’énergie. Derrière, nous nous rendons compte que pour développer une filière, il faut d’abord des usages. Ensuite, il faut des modalités industrielles. Ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est l’un et l’autre. C’est la loi de l’offre et de la demande. Il faut qu’il y ait des bus qui roulent avec de l’hydrogène, il faut qu’il y ait des immeubles qui se chauffent à l’hydrogène si nous voulons avoir des entreprises, des fabricants et des industries qui soient des producteurs de l’ensemble de ces matériaux. C’est un peu l’idée de ce « en même temps » que l’on a dans ces deux appels à projet. D’un côté, nous avons « écosystème territoriaux hydrogène » et de l’autre côté « briques technologiques et démonstrateurs ». Nous avons d’une part celui qui va accélérer les usages et d’autre part celui qui va accompagner l’outil industriel.
C’est pour cela que la mécanique d’accompagnement consiste à subventionner le surcoût généré par la rupture technologique ?
Bien sûr… Le cœur, lorsque nous sommes dans des choix, en particulier sur les mobilités, c’est à la fin le prix de sortie. Pour être incitatif, pour avoir des débouchés industriels qui, par leur standardisation, vont petit à petit faire baisser les prix, il faut initier la pompe au départ. Nous avons cette stratégie nationale autour des mobilités, autour des filières industrielles : 7,2 milliards d’ici 2030. C’est considérable. Nous avons les deux premières pierres de ce parcours sur l’hydrogène. L’appel à projet « écosystème territoriaux hydrogène », ce sont 275 millions d’euros ; l’appel à projet « briques technologiques », ce sont 350 millions d’euros. Là où nous avons de la chance, c’est que ce plan de relance arrive à un moment où un certain nombre de projets du territoire étaient quasi en finalisation ou étaient en recherche de financement. Tout un coup, nous avons un accélérateur. Pour ce territoire, nous arrivons dans le bon moment.
Dans le plan de relance, un point fort a été développé par le gouvernement : la construction de gigafactories d’électrolyseurs. Peut-on envisager la construction d’une dans le secteur ?
Aujourd’hui, les usages sont multiples. Nous avons la mobilité avec les véhicules, nous avons le stockage avec Faurecia et Mahytec, dans le Jura. Ensuite, il y a tout ce qui est derrière, ce qui relève des fournisseurs (composants, capteurs, conditionnements… NDLR) ; n’oublions pas que notre territoire a une vraie ressource, une vraie adaptabilité industrielle et toute l’ingénierie derrière. Enfin, il y a les gigafactories. Pour faire venir ce type d’activité, il faut pouvoir présenter une complétude de l’espace de l’industrie de l’hydrogène. À la préfecture, tous les quinze jours, nous avons un comité de suivi du projet hydrogène où nous avons autour de la table les collectivités locales – le Grand Belfort, la Région –, l’Ademe, la Banque publique d’investissements (BPI), la Banque des Territoires… Je leur ai dit que je voulais que l’État soit présent financièrement dans l’intégralité des projets hydrogène du territoire, pour que nous les accélérions, pour que nous montrions, qu’ici, dans le nord Franche-Comté, nous avons une ambition hydrogène. À partir de là, nous serons crédibles pour aller chercher de nouvelles start-ups, de nouvelles industries et pourquoi pas, idéalement, une gigafactory.
Vous avez abordé l’importance d’une chaîne globale de la filière hydrogène. De l’importance de fabriquer des composants, des capteurs, du stockage, du conditionnement. Avez-vous pu cibler dans quelle partie de cette filière pourrait se positionner le territoire ?
Cette politique offre une opportunité assez inédite au territoire de tenir les deux bouts de la chaîne : d’être pionnier sur les usages ; et d’être pionnier et de garder sa longueur d’avance sur l’industriel. D’abord, nous sommes dans un territoire où l’énergie a forgé l’industrie et où les mobilités, avec PSA, sont venus compléter l’appareil industriel. Énergie et mobilité, ce sont les deux piliers de ce qu’est aujourd’hui l’hydrogène. Je crois que la stratégie qui doit être celle du territoire, doit être celle ne pas s’enfermer dans un quelconque outil industriel qui serait trop pointu, mais de rechercher à faire écosystème, de multiplier les opportunités et les usages.
En écoutant votre discours, les PME auront un rôle clé dans la construction de cette filière. Comment peuvent-elles s’engager aujourd’hui ?
Les PME rencontrent les commandes de leurs donneurs d’ordre. Ils vont commencer à avoir des besoins, notamment pour s’adapter aux enjeux environnementaux. Certains ont des enjeux liés à la mobilité lourde : bus, camions, trains. D’autres ont des enjeux liés à la décarbonation de l’industrie. Nous espérons, par un engagement extrêmement fort de l’État autour de ce plan massif sur l’hydrogène, conduire à une évolution de position et donc de commandes et d’attractivité. Pour les PME – et elles le savent très bien ici – les ruptures technologiques sont des chances inédites. Lorsque l’on ne sait [pas] les saisir, on est durablement en retard. La chance que nous avons dans ce territoire, c’est d’être innovant, parce qu’il est précurseur depuis des années avec l’UTBM (université de technologie de Belfort-Montbéliard), le FC Lab et Femto-ST (ce sont deux laboratoires de recherche, NDLR), et d’être diversifié. On y fait de la production, de la distribution, des mobilités et du stationnaire. Les entreprises sont pointues. Je prends l’exemple de Faurecia. Son core center est remarquable par l’avancée technologique qu’il produit. Mais nous pourrions prendre aussi le banc d’essai HYBAN de l’UTBM. Le territoire est attractif, car il a cette culture industrielle et des formations, et, derrière, la logistique et l’accessibilité. Pour une PME, aujourd’hui, cet écosystème rencontre un État qui investit, qui passe des commandes, qui facilite, qui initie ; c’est le moment pour beaucoup d’entrepreneurs de se poser la question : « Et si je me diversifiais ? Mes donneurs d’ordre d’aujourd’hui ne seraient-ils pas intéressés demain par des fonctions hydrogène ? »
Vous invitez à entamer le dialogue ?
Complètement…
On attend un nouveau souffle industriel dans le territoire. Il y a des plans sociaux à General Electric qui entraînent une perte des savoir-faire et une absence de projection vers l’avenir. En parallèle, à Sochaux, on assiste à la transformation de PSA en usine 4.0. Son pendant, c’est le passage en mono-flux de la chaîne de production et une baisse importante du nombre d’emplois. L’hydrogène vient-il compenser ces pertes ?
Je pense qu’il pourrait être simpliste de rentrer dans une logique où une activité industrielle viendrait en compenser une autre. Parce que les temporalités ne sont pas toujours les mêmes et parce qu’il faut savoir aussi se diversifier. Et c’est peut-être l’une des opportunités de l’hydrogène : il y a 1 000 façons d’en faire. Et il y a 1 000 façons de le consommer. C’est autant de chaînes de valeurs qui peuvent être créées dans des domaines différents. L’hydrogène, demain, nous allons en parler dans les mobilités, dans le logement social, peut-être pour des chaufferies. On va multiplier les usages. Je crois que c’est l’opportunité, pour de nombreuses entreprises du territoire, de conquérir de nouveaux marchés, de se moderniser. Mais l’hydrogène est une part de la diversification du territoire. Je crois qu’il serait imprudent de considérer qu’elle est le seul et unique devenir de ce territoire.
Optymo ambitionne de renouveler une partie de sa flotte avec des bus hydrogène. On attend une subvention de l’Ademe pour contrebalancer le surcoût. Qu’en est-il ?
J’ai remis autour de la table, la semaine dernière, les services de l’État, l’Ademe, les collectivités locales concernées, parce que je crois que c’est le rôle de l’État d’intervenir en soutien de ces projets, de permettre cette réalisation et de permettre ces innovations qui seront vraiment utiles sur le territoire. Et j’ai bon espoir que nous puissions continuer d’avancer pour faire émerger ce projet.
Le forum Hydrogen business for climate devient numérique. Cet évènement convoque des personnalités clés de la filière. Quelques voix craignent que ce projet ne soit pas assez inscrit dans le territoire, pointant du doigt le coût d’accès…
Je salue cette initiative du conseil régional Bourgogne-Franche-Comté et de Grand Belfort communauté d’agglomération, fortement poussée par mon prédécesseur (David Philot, NDLR), de faire connaître les compétences, les projets et toutes les qualités de ce territoire. Nous avons besoin d’un éclairage national, européen pour dire à tout le monde que c’est ici que cela se passe. N’ayons pas une forme de discrétion vis-à-vis de la qualité de notre production académique et de nos innovations locales. Au contraire: déployons-le pour qu’aujourd’hui et demain, des prospects et des entreprises puissent se dirent : « Je dois investir en Europe, je dois investir en France. Effectivement, je trouve un écosystème totalement favorable à Belfort. » L’enjeu de savoir la jauge de la salle ou le prix du ticket d’entrée ne doivent pas guider notre action. Le choix de passer en webinaire est guidé par la raison et les conditions sanitaires, mais, ce qui doit nous guider, c’est de réussir cet évènement dans la qualité de ses intervenants, car cela marquera l’ambition et le regard qui sera tourné vers l’Aire urbaine.
On parle beaucoup de nord Franche-Comté dans ce dossier de l’hydrogène. Vous êtes le préfet du Territoire de Belfort. Je n’ai aucun doute que vous travaillez avec vos homologues du Doubs et de Haute-Saône. Mais justement, est-ce que cela ne complique ce type de développement industriel d’avoir autant d’interlocuteurs ?
Je ne crois pas. Nous avons su montrer depuis quelques années, sur l’hydrogène, que nous étions capables de travailler ensemble. Il y a quelques jours, nous avons eu le comité de pilotage du Tiga (Territoire d’innovation et de grande ambition, action de l’État renommée Territoire d’innovation, qui cible 24 territoires en France, dont le nord Franche-Comté. Ce sont 69 millions d’euros d’investissements, dont 16 millions d’euros financés par l’État, NDLR). Cette grande ambition est pilotée à Montbéliard et Belfort. Quand nous avons inauguré Faurecia, vous aviez, autour des dirigeants de cette entreprise, autant de gens du Territoire de Belfort que de Haute-Saône et du Doubs, où est située cette entreprise. Le nord Franche-Comté dans son ensemble est identifié – il peut l’être sans doute encore d’avantage – et dispose de qualités qui le rendent interdépendant. Les interlocuteurs locaux sont coordonnés. L’un des points forts du territoire, c’est cette mobilisation politique. Les frontières départementales sont un enjeu bien moindre que celui de réussir ces politiques publiques ; pour l’État, qui est coordonné, ce sont des dossiers suivis avec attention et qui nous mobilisent beaucoup. Cela se passe beaucoup à Belfort, beaucoup dans le nord du Doubs ; nous sommes donc bien évidemment moteurs.
Une fenêtre historique s’ouvre. D’abord, pour garantir l’avenir de ce territoire industriel. Ensuite, pour garantir, enfin, cette rupture technologique et industrielle. Quelle est la prochaine étape ?
À très court terme, nous sommes [tournés vers la] crise sanitaire où l’État est largement mobilisé pour amortir la crise. [Ensuite], nous avons beaucoup de projets qui sont en maturation ; l’opportunité unique de ce plan de relance du gouvernement, c’est d’accélérer leur sortie. Nous sommes dans une période, actuellement, où nous savons que tout se prépare, mais où nous ne voyons pas grand-chose. Il y a un petit côté « effet ketchup ». On secoue et tout à coup, ça va sortir : en 2021, 2022, 2023. Nous sommes sur des temporalités d’investissements industriels, d’investissements lourds. Si vous regardez Isthy, ce n’est pas un petit investissement. Cela ne se passe pas du jour au lendemain, mais cela a été bien préparé. Pour moi, le Salon de l’hydrogène du mois de janvier, c’est un peu le top départ. Celui où des projets vont démarrer ; on a le permis de construire d’Isthy qui est signé. Celui où on va avoir connaissance de projets qui sont désormais financés. Certains ont tendance à dire : « On veut des moyens, pas des labels. » D’abord, derrière les labels, il y a des moyens ; je vous rappelle qu’il y a 16 millions d’euros du plan d’investissement d’avenir (PIA) sur le TIGA. Les moyens, ils arrivent, et non pas seulement à travers l’Ademe. Regardez H2SYS. L’entreprise a d’ores et déjà bénéficié du plan de relance avec un soutien de 800 000 euros ; ce n’est pas rien pour accélérer un projet. Chaque semaine, projet par projet, nous regardons les plans de financement. Là, on met combien, là, on met combien (il feuillette les différents projets sur la table, NDLR). Si nous sommes tous mobilisés, c’est pour que ces projets sortent. Il y a un enjeu de formation aussi ; il faut préparer l’avenir. Les emplois de demain, il va falloir les qualifier, il va falloir des opérateurs hydrogène, il va falloir, peut-être, davantage positionner le territoire, car la qualification a beaucoup de valeur. Il y a le plan hydrogène de la Région qui va venir se greffer. Nous avons créé le chemin, avec en plus l’accélérateur du plan de relance pour pouvoir, dans les trois prochaines années, voir éclore de manière réelle et ferme, avec des emplois, des projets hydrogène dans le nord Franche-Comté.