Avec Éva Chibane
Ce lundi, la mairie de Valdoie est restée fermée toute la journée. Une banderole blanche a été accrochée sur la façade de l’Hôtel de ville, affichant le numéro de téléphone de la préfecture. À 17 h 15, la sirène municipale a retenti, comme pour alerter symboliquement les habitants : l’heure est grave. La municipalité a voulu marquer les esprits avec une opération « ville morte » pour dénoncer la baisse continue de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée par l’État.
25 km plus loin, Philippe Claudel, le maire divers gauche d’Étupes, dans le pays de Montbéliard, est tout aussi sonné. Sa commune passe à la caisse pour contribuer à l’effort budgétaire considérable demandé par les collectivités dans le budget de l’État français. L’effort global, rappelle-t-il, citant Intercommunalités de France, se situe à hauteur de 5,5 milliards d’euros, dont deux milliards pour les intercommunalités et 1,3 milliard pour les communes.
18 euros par habitant à Étupes
La dotation globale de fonctionnement d’Étupes, composée d’une dotation forfaitaire et de la dotation de solidarité rurale s’élèvent à 70 194 euros, contre 103 938 en 2024. En 2015, ces dotations s’élevaient à 451 637 euros. Il déplore aussi être retenu dans le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), pour un montant de 17 916 euros ; c’est un dispositif qui ponctionne les collectivités. 19 autres communes du Doubs sont concernées par ce mécanisme qui prélève une partie des recettes des collectivités, dont dix sont le pays de Montbéliard, s’étonne Magali Duvernois, maire socialiste d’Exincourt, elle aussi concernée. Au total, Étupes va perdre 127 774 euros entre 2024 et 2025 sur l’ensemble des dotations touchées, soit 36 % de l’autofinancement net de la commune.
« Depuis 2015, nous avons déjà rendu à l’état 2,7 millions d’euros à l’État », interpelle Philippe Claudel, qui a fait ses calculs. Selon lui, la dotation moyenne par habitant touchée dans sa commune s’élève à 18,57 euros ! Bien loin de la moyenne nationale avancée par Marie-France Cefis, maire Les Républicains (LR) de Valdoie : « Nous touchons 75 euros par habitant et par an au titre de la DGF, contre 152 € en moyenne pour les communes de la strate. Delle touche 119 euros par an et par habitant, Offemont 170 euros, Bavilliers 137 euros et Beaucourt 213 euros, détaille l’édile. Depuis 2020, les dotations ne cessent de baisser. Et les chiffres sont tombés sur Valdoie, elle baisse encore de 4 000 euros alors que les budgets ne sont plus tenables. »
« Ils partent du principe que si on ne prélève pas l’impôt, c’est qu’on est riche », s’étonne Philippe Claudel, évoquant l’énigmatique méthode de calcul, basée sur le potentiel fiscal estimé. Tout comme Magali Duvernois, Marie-France Céfis s’interroge surtout sur les critères d’attribution de la dotation : « Pourquoi une telle différence ? On ne comprend pas. Toutes les personnes que j’ai pu côtoyer, les ministres des collectivités, personne n’a d’explication à nous donner. » Le sénateur Cédric Perrin (LR), présent à Valdoie, partage ce constat : « Nous demandons à comprendre le mode de calcul de la DGF, qui pourrait expliquer de telles disparités d’une commune à l’autre. » Philippe Claudel de dénoncer : « Ils vont finir de faire de nous une commune pauvre. »
Magali Duvernois est inquiète du symbole. Dans le Doubs, la moitié des communes touchée par la baisse du Dilico sont des communes industrielles. Sur les intercommunalités, Pays de Montbéliard Agglomération est concerné mais pas le Grand Besançon ni le Grand Pontarlier s’étonne-t-elle. Des communes qui doivent gérer la désindustrialisation, d’importantes friches industrielles et qui font face à un besoin de relance. À Exincourt, le choix du propriétaire de la friche Peugeot-Japy de détruire les bâtiments sur son terrain lui fait perdre, par exemple 100 000 euros de taxes foncières ; mêlée à la baisse des dotations, le coût est rude. Et c’est sans compté sur la perte générée par la réduction de l’usine Stellantis et de la destruction des bâtiments de PSA Sud. Elle a le sentiment « d’une double peine ». Et d’une « injustice ».
Le blues des élus
La diminution drastique de ces dotations fait craindre le pire aux édiles. « Chaque année, nous dégageons 350 000 euros en autofinancement net », indique Philippe Claudel. « Si on nous rogne cela, on réduit notre capacité d’investir et notre capacité à investir. Aucune banque ne nous suivra si nous n’avons pas d’autofinancement. » Et de placer, finement, que 70% des investissements publics sont assurés par les collectivités locales. Réduire leurs capacités conduira mécaniquement à une diminution drastique des investissements.
À un an des municipales, pas facile non plus d’envisager des hausses d’impôts. Les contre-mesures sont donc limitées. Pour les communes, si les recettes reculent, il faudra baisser les coûts de fonctionnement. L’étape d’après consiste à arrêter les services redoute Philippe Claudel. De lister : crèche ; restauration scolaire ; centre social ; périscolaire ; les dotations aux écoles… « Tous ce qui donne du sens à mon mandat, indique l’élu, ce sont ces services. » « Nous avons déjà fait tous les efforts qu’il fallait », replace Magali Duvernois. Prêts renégociés, plan pluriannuel d’investissements… La mairie de Valdoie dit faire face à un effet ciseau : des recettes en chute et des charges qui s’alourdissent. « Faire fonctionner une mairie avec peu de moyens et de nouvelles charges à assumer de la part de l’État est difficile, alerte Marie-France Cefis. Et nous apprenons que deux classes vont fermer à la rentrée, là encore, l’État se désengage. »
Depuis près de 15 ans, les différentes réformes fiscales ont considérablement affaibli les collectivités locales. Elles n’ont plus la taxe professionnelle, ni la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Si elles ont été compensées, les communes n’ont plus de ressources « dynamiques », redit Magali Duvernois. Et la compensation disparait aujourd’hui. « Les différentes réformes fiscales sont catastrophiques », critique-t-elle, évoquant notamment la suppression de l’ISF ou le remplacement du reversement de la CVAE aux collectivités locales par une quote-part de la TVA… qui ne va plus dans les caisses de l’État. « Il s’est coupé l’herbe sous le pied », analyse Magali Duvernois.
Ces nouvelles, souvent annoncées quelques jours ou heures avant le vote d’un budget, sèment le trouble chez les élus. Ils ont le blues. « Quelle raison de se représenter si on ne peut rien faire ? » lance alors Philippe Claudel. Un brin résigné.