Depuis le 1er janvier 2023, la gestion du Feader (qui finance des investissements stratégiques dans le monde agricole, notamment pour la modernisation des exploitations et la transition agroécologique) a été transférée de l’État à la Région, accompagnée d’une refonte de l’outil informatique d’instruction des dossiers, complexifiant encore davantage la procédure. En novembre 2023, Le Monde titrait sur « le fiasco de la distribution des fonds européens aux agriculteurs » en Bourgogne-Franche-Comté (lire ici). Lors du transfert, l’État devait détacher des agents des directions départementales des territoires (DDT) pour appuyer la Région, mais ces derniers ont refusé de s’installer à Besançon et Dijon. Les recrutements lancés par la Région n’ont pas suffi à combler le manque de personnel : 17 postes n’ont pas été pourvus. Conséquence : à peine 300 dossiers d’aides ont été traités sur les 3 500 en retard de paiement lors de la première année.
Résultat, deux ans plus tard : les agriculteurs et porteurs de projets font toujours face à des retards significatifs dans le traitement de leurs demandes, qu’il s’agisse des dossiers de l’ancienne programmation (2014-2022) ou de la nouvelle (2023-2027). Ces deux programmations permettent aux agriculteurs de postuler à des appels à projets pour obtenir un certain nombre de fonds pour leurs exploitations. De nombreuses mobilisations ont eu lieu en 2024 pour faire part du mécontentement général (lire ici).
Le point sur l’ancienne programmation
Face à ces retards, la Région a annoncé en juillet 2024 un quadruplement des effectifs d’instruction avec 50 agents supplémentaires. L’objectif affiché est de solder les dossiers de la programmation 2014-2022 avant fin juin 2025, date à laquelle les fonds seront perdus s’ils ne sont pas versés. Lors d’une séance plénière, le 15 juillet 2024, la présidente de la Région, Marie-Guite Dufay, a affirmé : « Nous mettons tout en œuvre […] pour que le rendez-vous de juin 2025 soit honoré et que pas un euro ne reparte à l’Europe [à cause des difficultés de la Région]. » Pour atténuer les conséquences financières des retards, la Région a aussi pris en charge une partie des intérêts des prêts contractés par certains porteurs de projet.
En parallèle, l’État a repris une partie des dossiers en 2024, permettant d’en traiter 732. Selon une note de la chambre d’agriculture régionale du 14 février 2025, 54 % des dossiers de l’ancienne programmation étaient instruits au 31 décembre 2024, laissant encore 1 070 dossiers en attente. Il restait donc (au 1er janvier) 46% des dossiers à écluser en six mois. Une donnée que la Région ne nie pas. Mais la présidente de Région, lors de la dernière assemblée plénière, a expliqué que les délais étaient encore tenables d’ici juin 2025. Elle mise sur une rétrocession de dossiers à l’État, l’intervention d’un cabinet externe pour la nouvelle programmation (pour un coût de 700 000 euros) et le renforcement des équipes internes pour résorber le retard.
« La trajectoire est conforme », a-t-elle affirmé le 21 février . Les chiffres de fin décembre, transmis par la chambre d’agriculture, ne sont plus d’actualité, commente-t-elle. Sur les 1 070 dossiers restants, elle précise que 520 demandes sont en cours de paiement, 219 sont en cours de traitement administratif, mais ne nécessitent pas de paiement. « Il ne faut pas brandir ces 1 000 dossiers restants comme un chiffre rouge montrant qu’on ne va pas s’en sortir. On s’en sort, les choses sont maîtrisées. Le plan d’action qui a été mis en place nous permet d’aborder en toute sérénité le 30 juin 2025. Tout aura été traité. »
La nouvelle programmation déjà en difficulté
Pendant ce temps, la nouvelle programmation 2023-2027 est déjà confrontée à des blocages. Le module de paiement de l’outil Europac, développé dans le cadre d’un groupement de commandes pour neuf régions, n’est toujours pas pleinement fonctionnel. Les 99 jeunes agriculteurs sélectionnés en décembre 2023 pour recevoir 4,2 millions d’euros d’aides n’ont toujours pas été payés, malgré la validation de leurs dossiers. De même, 601 porteurs de projet ayant déposé une lettre d’intention en juin 2023 attendent toujours une convention officialisant leur sélection et l’attribution de leur subvention. Seuls 400 dossiers étaient attendus, lit-on dans un communiqué de la Région, ce qui a encore compliqué la donne. La chambre d’agriculture alerte sur le fait que l’absence de convention, plus de 18 mois après le dépôt des dossiers, met certaines exploitations en grave difficulté financière.
Pour répondre à ces blocages, la Région a débloqué plus de 4 millions d’euros de fonds propres pour 135 agriculteurs sur les 600 concernés. Le 21 février, lors du vote de cette « aide », Marie-Guite Dufay a assuré que « les dates annoncées pour les versements seront tenues » et promet un retour à la normale d’ici l’été 2025.
« Agenda politique »
Dans sa note, la chambre d’agriculture formule plusieurs recommandations pour éviter que ces retards ne se reproduisent : harmonisation des règles d’instruction entre la Région et l’État, transparence accrue sur l’avancement des dossiers, suivi individualisé des porteurs de projet et simplification des procédures pour la nouvelle programmation.
Des éléments sur lesquelles la présidente a répondu en séance : « Nous n’effacerons pas deux ans de difficultés administratives que j’ai toujours reconnues. Mais personne ne peut nous contester l’énergie que nous déployons pour que les agriculteurs bénéficient des aides auxquelles ils peuvent prétendre. » Elle expose aussi regretter « l’agenda politique » de la chambre d’agriculture qui « accélère singulièrement les communications, dans les dix jours avant l’assemblée plénière et les dix jours précédant le salon de l’agriculture ».
À l’approche de l’échéance du 30 juin 2025, l’urgence est désormais de terminer le traitement des demandes de l’ancienne programmation. Si les fonds disponibles ne sont pas attribués à temps, ils seront perdus et renvoyés à Bruxelles.« Les délais seront tenus, tout comme la promesse d’un retour à un rythme de programmation normal dès l’été », a martelé la présidente de Région. Reste à savoir si les moyens déployés suffiront à respecter cet engagement.