Loéva Claverie
L’opposition à l’installation de la centrale d’enrobage mobile de l’entreprise Trabet s’amplifie. En réponse à l’appel du collectif Ecovigie 2, regroupant des habitants des quatre communes de Bourogne, Morvillars, Méziré et Allenjoie, une manifestation a eu lieu à l’entrée de la zone industrielle de Bourogne, mercredi 11 juin à 18h. C’est là que depuis plusieurs jours, l’entreprise Trabet monte progressivement sa centrale mobile, sur un terrain vague privé en périphérie de la zone industrielle.
À cette heure, l’asphalte brille sous les rayons encore ardents du soleil. Les températures élevées de la journée persistent et plusieurs participants ont trouvé refuge sous les arbres en bordure de route. Environ cent vingt personnes ont fait le déplacement. Jean-Christophe Poinas, conseiller municipal délégué au suivi des sites industriels à risques se dit ravi de ce nombre, « pour une manifestation organisée en trois, quatre jours seulement ». « Les délais sont serrés à cause de la consultation publique », explique-t-il.
Les habitants ont jusqu’au 16 juin pour s’exprimer sur le projet. À la suite de quoi, la préfecture du Territoire de Belfort donnera ou non son aval pour le démarrage du chantier. « Il faut qu’on aille vite, car l’exploitant passe en force. » La pétition lancée dix jours plus tôt a dépassé la veille les 1000 signatures, avec « 65% des signatures qui viennent du 25 et du 90 ».

« Un déni de démocratie »
Pour rassurer habitants et collectivités, Trabet, vendredi 6 juin, a organisé une visite du site avec la presse (lire notre article). Durant celle-ci, ils se sont défendus sur les reproches qui lui sont formulés. Mais malgré cela, les doutes sur ses manières de procéder subsistent. Le directeur de Rapala VMC France, Jean-Philippe Nicolle, manifeste lui aussi. Il regrette que son entreprise n’ait pas été consultée. Située juste à côté du site où s’installe Trabet, l’entreprise accueille soixante personnes, organisées en 3×8.
Avec un camion de Trabet annoncé toutes les cinq à sept minutes et un seul portail pour l’entrée et la sortie de la zone industrielle, le directeur de Rapala s’inquiète pour la circulation des véhicules. « Les camions ne peuvent pas se croiser sur la zone, les routes sont trop étroites », assure-t-il. Il dénonce notamment un « déni de démocratie ». « La consultation publique n’est pas finie et la centrale est presque déjà montée. Ils font tout à l’inverse, c’est un choix. Ils nous prennent en otage. C’est le mode de fonctionnement de ce type de centrale. » Dans sa bouche, les mots sont très forts. Et la colère, présente.
À quelques centaines de mètres de la manifestation, il y a en effet de l’activité sur le site loué par Trabet. Des ouvriers en gilet orange fluo et casques blancs sont présents. Depuis la visite du site il y a cinq jours, les îlots ont été montés et des tas de granulats neufs ont été importés de Rougemont. Plusieurs voitures floquées Trabet quittent la zone, croisant les manifestants à l’entrée.
La présentation du projet par Trabet à Rapala VMC France il y a une semaine, n’a pas suffi à rassurer Jean-Philippe Nicolle. Il promet cependant n’avoir « rien contre la société Trabet ». « Ils ont des contraintes, on l’entend. On est dans l’écoute, dans le dialogue, mais pour ça il faut être deux. Et là, on se sent un peu seuls. » Il complète : « On est tous des entrepreneurs qui veulent faire prospérer leur entreprise. Et on est tous pour la rénovation de l’autoroute et le développement de nos territoires. Mais si au début du chantier on a des doutes, comment on garantit la sécurité pendant ? On veut du bon sens et pouvoir se baser sur la confiance. »
Depuis le siège de Rapala VMC en Finlande, le président et directeur général, Cyrille Viellard s’exprime :
Je suis profondément choqué par l’attitude de Trabet qui continue d’assembler sa centrale en pleine consultation. C’est de la provocation. C’est malheureux que l’on ne puisse pas faire les choses de manière posée. Le passage en force discrédite nos procédures et nos institutions qui sont là expressément non seulement pour s’assurer de la légalité d’une action mais permettre de trouver un consensus sans passer par le conflit. […] L’urgence affichée par l’entreprise Trabet témoigne d’un dysfonctionnement dans l’ensemble du projet. […] Il n’est pas normal qu’une entreprise engage des frais conséquents alors qu’elle ne sera peut être et probablement pas autorisée à produire. C’est un gaspillage choquant. La stratégie est d’engager des frais avant l’autorisation pour faire pression. Cela s’appelle du chantage.
L’usine de trop ?
« Nous ne sommes pas la poubelle du 90 » ; « Odeurs nauséabondes NON MERCI » ; « Je veux aller à l’école sans masque ». Les inquiétudes sur la pollution de l’air s’affichent sur les pancartes des manifestants. Plusieurs d’entre eux arborent d’ailleurs un masque bleu chirurgical, symbole de la pollution de l’air et des difficultés à respirer.
L’entreprise Trabet assure respecter les normes en matière de pollutions (lire ici). Mais pour les manifestants, cette usine est celle de trop. Ils estiment que trop d’entreprises polluantes émettent autour de leurs communes. Un argument que pointe Françoise Ravey, maire de Morvillars. « On sait très bien que même si chacun respecte la réglementation, tous ensemble, on dépasse largement les normes. » Dans une réunion commune mardi soir, les maires des quatre communes se sont entretenus avec le sous-préfet Jean-Marie Wendling, la Dreal et l’ARS. Les deux entités ont confirmé aux élus qu’ils ne savent pas actuellement mesurer le cumul de pollutions, autrement appelé « l’effet cocktail », rapporte Françoise Ravey. « On ne veut ni être la poubelle du territoire ni les cobayes. Les gens ne pourront plus respirer. On n’a pas envie d’emmener les gamins à l’école avec des masques », proteste-elle.
Dans la foule, une quinzaine d’écharpes tricolores se détachent. Parmi elles, celle de Ian Boucard, député Les Républicains de la 1ère circonscription du Territoire de Belfort. Il informe avoir « écrit dès la semaine dernière au préfet pour lui demander de refuser l’autorisation d’exploiter de la société Trabet ». Mais le député s’étonne surtout de l’installation de cette centrale mobile, alors « qu’il y a déjà des centrales d’enrobage ici ». « Il y en a une de Colas à Eguenigue et une d’Eurovia à Nommay (lire notre article), précise-t-il. APRR aurait très bien pu contractualiser quelqu’un qui avait déjà une centrale d’enrobage plutôt que d’en créer une nouvelle. »
Une interrogation partagée par le directeur général de Rapala VMC, Cyrille Viellard, qui s’interroge, dans un mail adressé jeudi 12 juin, sur le fait que l’entreprise Colas n’ait pas remporté le chantier. Un chantier que Trabet espère, malgré les contestations et le tumulte, pouvoir commencer le 30 juin.