Mardi 13 juin. Un incendie se déclare dans la commune de Bois-de-Champ (Vosges), dans le massif vosgien. Il part d’une habitation. Le lendemain, on déplore plus de 30 hectares de forêts brûlés.
En 2022, la métropole a été particulièrement touchée par les feux de forêt et de végétation. 70 000 hectares d’espaces naturels ont brûlé, dont près de la moitié en Gironde. Dans 18 départements de l’Est de la France, plus de 3 000 hectares de forêt ou d’espaces naturels ont brûlé, a rappelé Josiane Chevalier, préfète de la région Grand Est, préfète de zone de défense et de sécurité Est (qui comprend ces 18 départements), et préfète du Bas-Rhin, notamment dans le Jura et les Vosges ; cela représente l’équivalent de plus de 2 000 terrains de foot. « Il y a eu 10 fois plus de surfaces brûlées en 2022 par rapport à 2021 », compare le colonel Sacha Demierre, sapeur-pompier et chef d’état-major interministériel de la zone de défense Est. « Et pour la première fois, nous avons dû avoir recours à des moyens aériens », replace également la préfète. Avant de constater : « Aucun territoire n’est épargné par le risque feu de forêt. » Cette accentuation du risque met à rude épreuve les moyens, sachant qu’il faut assurer la solidarité nationale et le risque, dorénavant, local.
L’incendie constaté mi-juin dans les Vosges témoigne également de l’allongement de la période à risque, qui s’étend « de mi-juin à mi-septembre », confirme l’officier. Et les données des dernières années confirment cette recrudescence des feux d’espaces naturels. Dans le Doubs, par exemple, la part des feux d’espaces naturels (forêts, friches, chaumes, broussaille) dans le nombre total d’interventions pour incendie est passée de 14,1 % en 2015 à 18,5 % en 2020 et 17,4 % en 2022, selon des données consultées par Le Trois. Entre 2015 et 2018, la moyenne annuelle des feux naturels s’établit à 393. Entre 2019 et 2022, cette moyenne monte à 425, alors même que l’année 2021 fut une année particulièrement humide ; 236 feux naturels se sont déclarés en 2021 contre 513 en 2020 et 474 en 2022.
L’identité forestière de la zone est structurée autour de trois massifs : les Vosges, avec 537 258 hectares sur 7 départements ; le Jura avec 368 400 hectares sur 4 départements ; et le Morvan avec 145 000 hectares sur 4 départements.
Moyens mutualisés
Pour faire face à ce risque, l’État a débloqué 150 millions d’euros à destination des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), pour qu’ils puissent investir dans du matériel et notamment acquérir de nouveaux camion feux de forêt (CFF). 17 des 18 départements de la zone ont fait des demandes, représentant 18,4 millions d’euros d’investissement et 65 engins ; le Territoire de Belfort a par exemple commandé un CFF d’une capacité de 4 000 litres. Le département compte actuellement trois camions de ce type, dont l’un a plus de vingt ans et les deux autres une dizaine d’années. L’État va financer ces engins à hauteur de 50 % ; ils ne seront toutefois pas livrés de suite.
Des « colonnes » feux de forêt sont également organisées et potentiellement mobilisables ; une colonne représente environ 75 pompiers et une vingtaine de véhicules. Deux sont orientées pour soutenir les régions à risque, à l’extérieur de la zone Est. Et deux sont orientées pour soutenir les départements qui seraient touchés à l’intérieur de la zone, contre une en 2022. Une colonne a été mobilisée pour le feu des Vosges. Et le fait que le risque soit anticipé a permis de la déclencher plus rapidement. Chaque département savait ce qu’il devait faire pour composer cette unité interdépartementale. Si, individuellement, les moyens des Sdis apparaissent limités, « combinés », ils sont solides insiste le chef d’état-major. Et l’investissement dans une soixantaine de véhicules correspond, remarque-t-il, à la création ex nihilo de trois colonnes de renforts supplémentaires.
L’un des enjeux des feux de forêt est aussi de former les pompiers ; sur les 45 000 pompiers de la zone de défense Est, 5 000 sont aptes à intervenir sur les feux de forêt. « Des manœuvres » sont également organisées, notamment au niveau départemental confirme Josiane Chevalier.
Des moyens aériens mobilisables
À l’échelle nationale, des moyens aériens peuvent être mobilisés. Ils sont répartis dans le cadre d’un dispositif national. Ils ont été renforcés, notamment au niveau des hélicoptères bombardier d’eau (HBE), dont la flotte passe de 4 à 10 appareils loués ; un hélicoptère est notamment intervenu les 13 et 14 juin dans les Vosges. Il a été sollicité en fin d’après-midi. Il a alors quitté Avignon (Vaucluse). Il est arrivé dans les Vosges à 21 h. Ce super Puma, qui emporte 3 500 litres d’eau, a pu effectuer 19 rotations le soir même. Le lendemain, il a assuré 32 largages. L’avantage des hélicoptères, c’est qu’ils peuvent facilement se recharger en eau : il faut un plan d’eau de 2 mètres de large minimum et de 2 mètres de profondeur. Cela assure une rotation rapide. « Il peut se recharger un peu n’importe où », apprécie le colonel Sacha Demierre. Son emploi a permis de « faire baisser la pression » du feu confirme le pompier. Et d’accéder à des lieux escarpés. Deux types d’hélicoptère existent : l’hélicoptère lourd, comme ce super Puma, ou des hélicoptères légers, qui emportent 1 000 litres d’eau et interviennent toujours par deux.
16 zones d’écopage ont également été identifiées dans la zone Est pour accueillir si besoin des Canadairs, comme en 2022 dans le Jura, où il se chargeait sur le lac de Vouglans. Et l’aérodrome d’Épinal est équipé pour accueillir un autre type de bombardier d’eau, les Dash, qui emportent 8 tonnes de retardant, qui ralentit la progression du feu. Si les indicateurs de risque sont particulièrement « sévères », on peut imaginer le pré-positionnement de moyens aériens dans la région, notamment à Lons-le-Saunier (Jura) ou à Épinal (Vosges).
« La forêt est un puits de carbone et c’est notre patrimoine », note la préfète pour replacer l’enjeu. 90 % des feux sont d’origine humaine rappelle-t-elle. Des préfectures ont pris récemment des arrêtés pour interdire les feux de la Saint-Jean, les feux d’artifices privés ou encore « les feux festifs », en milieu naturel. C’est à l’étude, selon nos informations, dans le Territoire de Belfort.
Florian Chauche : « Il va falloir faire face »
« 150 millions, c’est bien », convient le député La France insoumise du Territoire de Belfort, Florian Chauche. « Mais le délai de livraison [des camions] est de deux ans », pondère-t-il. Le député est rapporteur du rapport spécial rédigé dans le cadre du projet de loi de Finances pour 2023, abordant le programme 161 Sécurité civile, qui concerne notamment les fonds octroyés aux moyens nationaux de lutte contre les incendies, comme les Canadairs (lire notre article). Il remarque aussi que les moyens supplémentaires octroyés cette année correspondent « au dimensionnement des années 1990 », glissant au passage le déficit d’investissement ces dernières décennies. Il remarque aussi que si la flotte de Canadairs doit être renouvelée, cela ne sera pas effectif rapidement car la chaine de production doit être relancée au Canada, patrie de l’avion ; une problématique forte, alors que les avions français ont en moyenne 25 ans. Il pointe aussi du doigt que les colonnes de renfort sont armées par des pompiers qui prennent sur leurs jours de congés pour pouvoir assurer cette solidarité nationale. « Il va falloir faire face et on n’est pas sûr de ne pas arriver à la rupture capacitaire », s’inquiète-t-il. Il y a donc un important travail à mener aussi sur le financement des Sdis, aujourd’hui contraint, pour leur donner les moyens d’agir (lire ici les pistes envisagées, dans un rapport parlementaire).