Jade Belleville et Thibault Quartier
Reculer pour mieux sauter ? L’annonce du rachat de la branche nucléaire de General Electric par EDF devait se concrétiser ce jeudi 16 mai, à l’occasion du discours d’Emmanuel Macron à Flamanville (Manche) confirment plusieurs sources. Les événements en Nouvelle-Calédonie ont poussé le chef de l’État à annuler son déplacement dans la Manche, où le nouvel EPR doit commencer à produire cet été.
« Les choses avancent », rassure une source proche de l’Élysée. On évoque déjà une reprogrammation, prochainement, de la visite de Flamanville. À Belfort, les salariés trouvent le temps long. Une délégation de la CGT et de la CFE-CGC de l’entité nucléaire de General Electric (GE Steam power), qui doit être rachetée, a été reçue par le préfet, Rapahël Sodini, ce jeudi, à 9 h 30. « On attend ce passage depuis le 1er décembre », souffle Saïd Bersy, délégué syndical CGT de l’entité qui fabrique la turbine à vapeur Arabelle (lire notre article). « Le préfet comprend nos inquiétudes », confie Laurent Santoire, de la CGT, à la sortie de la rencontre, ce jeudi matin. « Il nous dit que l’État est mobilisé à 100 %. » La confiance semble être plus importante que les dernières semaines, pour la finalisation du dossier, évoque le représentant des salariés. “Les discussions avancent”, valide la préfecture, en fin d’après-midi, qui invite toutefois à la “prudence”.
Séparation espérée pour le 1er juin
La vente est empêtrée dans les turpitudes géopolitiques entre la France, les États-Unis et la Russie ; Steam collabore notamment avec l’acteur Russe Rosatom (lire nos enquêtes). « Il est aujourd’hui de notoriété publique qu’il reste à obtenir des autorités américaines une Licence OFAC du département américain du trésor, indique un communiqué de presse commun de la CFE-CGC et de la CGT. Celle-ci permettant de terminer dans les meilleures conditions les affaires en cours avec Rosatom visant à la fourniture de systèmes Arabelle pour des centrales turque, égyptienne et hongroise. » Cette situation a entraîné le report de la vente en décembre 2023. Et ces licences sont au cœur des négociations actuelles, entre les gouvernements, qui semblent donc être sur le point de se terminer. « Il faut sortir de cette attente compliquée au plus vite afin de permettre à l’entreprise de se concentrer sur ses missions d’avenir », ajoute le communiqué. Qui rappelle « l’expectative usante » dans laquelle sont plongés les salariés. “Hier, le préfet ne voulait pas nous recevoir, ce matin on nous annonce que finalement une rencontre est organisée”, s’agace Saïd Bersy. Une inquiétude qui grandit au fur et à mesure que le rachat est renvoyé.
Des procédures informatiques ont bien été engagées. Mais sont-elles des mises à jour traditionnelles des identifiants et autres mots de passe comme les salariés peuvent en avoir régulièrement ou le début de la procédure de migration ? « Nous avons reçu un e-mail automatique de procédure, on ne communique pas dans le sens de la vente », modère Hakan, de la CGT. La date du 1er juin est toutefois évoquée avec insistance pour opérer cette séparation ; les services informatiques doivent engager l’opération le 24 mai pour que ce soit, alors, effectif. Depuis le 1er novembre, l’entité Steam dispose déjà d’une réalité juridique, Arabelle Solutions. Devant les grilles de la préfecture, Saïd Bersy replace encore une fois « les années de désindustrialisation ». “On ne rattrape pas les années perdues”, s’inquiète-t-il. Il déplore l’absence « d’investissements », “des machines obsolètes” et remarque que les commandes liées à la relance d’un programme nucléaire n’existent toujours pas pour son entreprise. “À Framatome (qui fabrique notamment les cuves du réacteur nucléaire, NDLR), il y a des job dating organisés et des investissements de faits”, compare Saïd Bersy.
Souveraineté
Les compétences sont toujours au cœur des préoccupations des syndicats, comme le formule Hakan : « Sans opérateur, il n’y a pas de turbine. » La délégation a également informé l’État qu’elle remettait en cause le projet de développer et de fabriquer le groupe turboalternateur propre au SMR en Inde, « comme voulu précédemment par GE ». Selon eux, pour une question de « souveraineté » et de « réindustrialisation », il faut le faire en France, « particulièrement à Belfort ».
La turbine à vapeur Arabelle est la plus puissante du monde. C’est un actif stratégique de la relance de la filière nucléaire. Elle mesure plus de 70 mètres de long, soit la taille d’un avion A380. Avec l’alternateur, elle compose l’îlot conventionnel de la centrale nucléaire. Ces équipements permettent de transformer la chaleur générée par la fission nucléaire, en électricité, vendue par l’exploitant. La turbine Arabelle revendique une fiabilité de 99,96 % et enregistre un rendement de 2 % supérieur à celui de ses concurrentes.