Inconfort. Malaise. Gêne. Ce jeudi matin, tous les élus du conseil départemental du Territoire de Belfort étaient embêtés, lors de la séance du conseil départemental. En début de séance, il devait approuver une subvention de fonctionnement de 400 000 euros à l’association Territoire de Musiques, qui organise les Eurockéennes, ainsi que valider la convention liant la collectivité à l’association en mettant à disposition le Malsaucy pour le festival. Une formalité, normalement, surtout pour la collectivité qui est à l’origine de cet événement, en 1989. Pas pour cette édition.
La semaine dernière, le festival a reprogrammé deux artistes, à la suite de désistements, dont le rappeur Freeze Corleone (lire notre article). Une situation qui a ému. Le député du Rassemblement national s’en est étonné (lire notre article). « C’est un artiste qui, pour le moins, nous trouble », a interpellé Christian Rayot, du groupe minoritaire de gauche. « Qu’un adorateur d’Adof Hitler et du IIIe Reich puisse se présenter sur scène nous trouble », a-t-il ajouté, avant d’énumérer les noms de morts pour la France, présent sur les monuments aux morts de Grandvillars. Des noms qui font résonner la diversité des armées de la Libération et des ceux qui ont résisté. « Je suis surpris d’une telle programmation », s’est-il ému. « Pour la première fois en 17 ans, je ne voterai pas cette subvention si l’artiste n’est pas déprogrammé », a-t-il regretté. « Je le dis sans agressivité et en toute solennité. »
« Fonds mercantiliste »
« J’ai passé ma carrière professionnelle à essayer d’inculquer certaines valeurs, s’est émue Isabelle Mougin, élue de gauche, ancienne principale de collège. J’ai le sentiment d’avoir échoué quand je vois le contenu. » Le caractère antisémite, homophobe, d’apologie du terrorisme et raciste des textes la « consterne ». « Ce personnage revendique clairement d’utiliser la polémique pour se faire de l’argent », regrette l’élue d’opposition. D’ajouter : « Je soupçonne qu’il y ait un fond mercantiliste dans le choix de ce chanteur. »
Les élus de droite et de gauche se sont rejoints sur ce malaise et cette incompréhension de programmation. Ils estiment que ce ne sont pas les valeurs que véhicules le festival. Le président du conseil départemental, Florian Bouquet, a proposé d’écrire une motion, approuvée en fin de séance, à l’unanimité. « J’aurais préféré un créneau vide [plutôt que cette polémique] », a soufflé Florian Bouquet.
Il ne voulait pas mettre en balance les subventions ni la mise à disposition du Malsaucy, pour ne pas « compromettre » le festival. Les élus ont aussi souligné la liberté et l’indépendance de l’association dans la programmation. Une liberté qu’il ne faut surtout pas remettre en cause ont-ils plusieurs fois souligné. Et qu’ils ont rappelé dans le texte de la motion, évoquant « un principe artistique fondamental ».
Alerte des organisateurs
Le socialiste Léo Prassel a alerté « sur l’engrenage dangereux que de demander la censure ». Il se demandait si le conseil départemental ne pouvait pas demander aux organisateurs de publier un message avant le concert, pour sensibiliser sur les conséquences et le sens des mots, ainsi que sur les valeurs du festival. « Nous avons un devoir pédagogique envers la jeunesse, indique-t-il. Nous pouvons lui apporter la contradiction. » Didier Vallverdu, élu Les Républicains a souligné que ces propos sont, selon lui, condamnables, donc « ce n’est pas de la censure ». « Ils tombent sous le coup de la loi », ajoute-t-il.
Dans la motion, les élus « déplorent ce choix qui contrevient aux valeurs républicaines qu’ils défendent mais aussi aux valeurs du festival, dont le Département a été le créateur et demeure le premier partenaire ». D’ajouter : « Les élus départementaux regrettent vivement que le festival offre une tribune à un artiste porteur d’un message haineux opposé à nos valeurs. » Les élus n’ont pas demandé de déprogrammer, à l’instar de Guillaume Bigot (lire notre article). Par contre, ils « alertent » les organisateurs sur ce choix, « qui ne correspond pas aux valeurs de notre territoire ». En 35 ans, les élus « n’ont jamais eu à déplorer un choix de programmation qui aille à l’encontre des valeurs défendues par le festival et partagées des élus départementaux ».