La ferveur résonne de nouveau dans le cœur des habitants du pays de Montbéliard à la faveur d’une fin de saison épique du Football-club Belfort-Montbéliard (FCSM). Entretien avec le journaliste Jean-Baptiste Forray, auteur de l’ouvrage Au cœur du grand déclassement, la fierté perdu de Peugeot-Sochaux. Un livre au vitriol, qui replace l’histoire commune du club et de la firme industrielle dans un temps long.
La ferveur résonne de nouveau dans le cœur des habitants du pays de Montbéliard à la faveur d’une fin de saison épique du Football-club Belfort-Montbéliard (FCSM). Entretien avec le journaliste Jean-Baptiste Forray, auteur de l’ouvrage Au cœur du grand déclassement, la fierté perdu de Peugeot-Sochaux. Un livre au vitriol, qui replace l’histoire commune du club et de la firme industrielle dans un temps long.
17 avril 2004. Nuit d’ivresse dans le pays de Montbéliard. Les héros s’appellent Benoit Pedretti, Pierre-Alain Frau, Teddy Richert, Jérémy Mathieu ou encore Souleymane Diawara. Les Lionceaux viennent de soulever la coupe de la Ligue. C’est le jour de gloire pour le Football-Club Sochaux-Montbéliard (FCSM), 66 ans après le dernier trophée, soulevé par l’icône locale Étienne Mattler. Le FCSM était alors tout en haut de l’affiche. C’étaient les balbutiements du foot professionnel, initié dans le berceau de Peugeot. Et par Peugeot.
17 mai 2022. Le FCSM affronte le Paris FC en play-off d’accession à la Ligue 1. 8 ans après le psychodrame de 2014. Une défaite à la dernière journée contre Évian-Thonon-Gaillard qui condamne alors le club à la relégation. Un club sur le point d’être vendu par PSA à Ledus. Contre toute attente. On évoque « une trahison » dans le pays de Montbéliard.
Désillusion
217 mois séparent ces deux évènements. À l’époque, l’usine PSA de Sochaux est pavoisée aux couleurs des Jaunes et Bleus rappelle Jean-Baptiste Forray, journaliste et auteur de l’ouvrage Au Cœur du grand déclassement. L’industriel affrète des bus pour monter les supporters à Paris, afin de participer à la fête. On est presqu’à l’époque de l’ancien régime. Si Montbéliard a repris en 2022 des couleurs et si la ferveur remplit de nouveaux les travées du stade Auguste-Bonal, l’écho sonne creux désormais dans l’usine. Les liens sont coupés. Définitivement. L’ouvrage raconte justement cette rupture brutale. Cette désillusion. À l’époque, l’attaquant Pierre-Alain Frau saluait son père sur la chaine de montage pendant la traditionnelle visite annuelle de l’usine rappelle Jean-Baptiste Forray. C’est une période révolue.
Le point de rupture a un accent espagnol, Isabel Salas Mendez. Elle est directrice du sponsoring et des partenariats chez Peugeot. Sur Europe 1, en mai 2019, elle est interrogée sur l’opportunité d’aider le FCSM – « à l’agonie », écrit Jean-Baptiste Forray – empêtré dans les méandres d’une gestion calamiteuse. « Le football, c’est un sport qui ne va pas trop avec nos valeurs, confie-t-elle à l’antenne. Il véhicule des valeurs populaires, alors que nos, on essaie de monter en gamme. » La réplique fait l’effet d’une bombe dans le pays de Montbéliard. Car la désillusion laisse la place au déclassement, pour reprendre le titre de l’ouvrage. Le déclassement d’une industrie. D’une ville. Et d’une France jugée « dépassée » écrit-il.
Société verticale
Cette sortie (de route) de Peugeot avait généré de nombreuses réactions, dont celle d’Adeline François, journaliste à BFM TV originaire du pays de Montbéliard. Brut lui avait même octroyé un sujet (voir ci-dessous). C’est pourtant un journaliste fan du FC Nantes qui a décidé de se saisir de cette histoire. « C’est le sujet qui a aiguisé ma curiosité », précise Jean-Baptiste Forray, journaliste à La Gazette des communes. Ses premiers pas, il les fait avant le confinement. Il prend alors la direction du stade Auguste-Bonal. Au mois de février. Pour assister à un FC Sochaux – Le Mans…
Cette phrase illustre surtout, estime-t-il, la rupture entre un capitalisme paternaliste, encore un peu présent en 2004, et une élite mondialisée, « qui foule du pied l’histoire de l’entreprise », constate également le journaliste. L’industriel, de son côté, a décidé de ne pas répondre aux questions du journaliste.
Sochaux « était une grande cathédrale industrielle et le modèle social s’ordonnait autour de cette usine », résume l’auteur, qui a longuement documenté son ouvrage, agréable à lire. On avait le club de football. Onze joueurs qui permettaient de maintenir des milliers d’ouvriers. Des supermarchés, aussi, créés par la famille, les fameux supermarchés Ravi. Sans oublier les associations sportives, dont l’histoire Peugeot se dissimule aujourd’hui derrière les lettres d’un acronyme, l’Ascap, pour association sportive et culturelle des automobiles Peugeot. « La famille était considérée comme des bienfaiteurs. Ils ont fait la fortune de la région, observe le journaliste, avant d’ajouter : Et leur propre fortune au passage. » Car c’est aussi « une société très verticale » que régit le constructeur automobile. Si on dessine un capitalisme noir et décomplexé aujourd’hui au regard d’un passé plus heureux, il ne faut pas non plus oublier la dureté des conditions de travail, les méthodes de maintien de l’ordre de l’industriel ou encore la mainmise sur les affaires politiques du pays, des pratiques pas beaucoup plus réjouissantes.
Mémoire supprimée
Mais la différence, c’est qu’aujourd’hui, Sochaux est un parmi tant d’autres. Une usine en concurrence avec les autres. Certes, les 200 millions d’euros d’investissement pour en faire l’usine de montage la plus moderne d’Europe façonnent un horizon, mais ils ne compensent pas le déclassement. Ni n’efface l’effritement inexorable des effectifs. « Sochaux perd son statut privilégié », résume Jean-Baptiste Forray, à partir du moment où le retrait de la famille est acté, en 2012. « Il y a une histoire officielle que le groupe était totalement à l’agonie et que rien d’autre n’était possible, rappelle Jean-Baptiste Forray. Mais ce sont aussi des choix du groupe qui l’ont mis en difficulté. » Et de préciser : « On a sacrifié l’outil industriel au profit des actionnaires. »
La guerre entre Thierry et Robert Peugeot n’a pas facilité cette vision stratégique industrielle. Le journaliste rappelle les investissements du second nommé dans les services, l’institut Ipsos, les autoroutes Sanef ou encore dans les maisons de retraite Orpéa. « C’est autant d’argent qui ne pouvait plus sortir », analyse-t-il. Et « quand elle vint à manquer » on ne pouvait plus la mobiliser. « La responsabilité de la famille est grande à ce moment-là », estime Jean-Baptiste Forray. En parallèle, le nouveau dirigeant, Carlos Tavares, engage un grand désengagement de PSA. Il se retire du foot. Il se retire de Gefco, autre création sochalienne (lire notre article)… On arrête les bus (lire notre article). La fin d’une époque.
Le retrait des Peugeot du pays de Montbéliard n’est pas non plus nouveau. « Dès l’après-guerre, la plupart avait quitté le pays de Montbéliard », replace l’auteur. Le siège de l’entreprise prend place à Paris, avenue de la Grande-Armée. « Les seuls Peugeot à demeurer dans le pays de Montbéliard sont au cimetière de Valentigney », glisse, cinglant, le journaliste. Aujourd’hui, le siège de l’entreprise, fondue dans un groupe automobile italo-americano-français est à Amsterdam, « un paradis fiscal », déplore Jean-Baptiste Forray. L’éloignement est sidérant et l’oubli est construit : l’histoire du FC Sochaux-Montbéliard disparait du musée de l’Aventure Peugeot. Notamment l’icône locale, Étienne Mattler. « Bon capitaine, bon soldat, bon Français : c’est ce personnage-là, longtemps érigé en modèle par le constructeur, qu’on a fait disparaître du musée de l’aventure Peugeot après la cession du club », écrit Jean-Baptiste Forray, à la page 68.
Dernièrement, les représentants du personnel de l’usine de Sochaux ont alerté sur la réforme des strates hiérarchiques. En relevant, également, l’anglicisation des titres attribués aux salariés. Une marque de plus de cette distance qui s’accroit, couplée à un « sentiment d’insécurité fort » qui monte. C’est l’histoire d’une industrie qui s’est transformée au pas de course. De la désindustrialisation d’un territoire. D’une perte de repères de ses habitants. « C’est une histoire qui dépasse de très loin le cadre du pays de Montbéliard », relève Jean-Baptiste Forray. Mais que le pays de Montbéliard illustre très bien.
Dans le pays, les grandes heures de cette industrie se cristallisaient dans un stade. Le stade Auguste-Bonal, construit en marge de l’usine. La mémoire de ces illusions perdues sonne creux, aujourd’hui, dans ce temple du football qui a bien du mal à remplir ses 20 000 places. Mais quel que soit le résultat de ces play-off 2022, un parfum d’antan a soufflé de nouveau, avec l’espoir d’enfin repartir de l’avant. Avec une figure forte, celle de l’entraîneur Omar Daf. Il était de l’aventure, en 2004.
- Dédicaces : 21 mai, dès 14 h, à la librairie Littéra, Montbéliard. 20 euros.