Il faisait chaud, ce 30 août, lorsque Nevin Aydin et Patrick Plaisance ont ouvert les portes de la Maison pour tous pour partager une histoire particulière. Celle de six habitants, qui à travers leur investissement à la Maison pour tous de Bavans, ont voulu faire renaître de ses cendres le quartier prioritaire de Champerriet (lire la partie I). Une histoire qui a inspiré l’écriture et la mise en scène d’une pièce de théâtre par Patrick Plaisance (partie II).
Que devient désormais ce collectif, plusieurs années plus tard ? La pièce continue de faire vivre leur histoire. Mais le collectif vit-il toujours ? Pour cela, rendez-vous au pied des tours, à Champerriet. Un jeune homme y boit une bière, dans la fine ombre que lui offre son immeuble en plein milieu d’après-midi. L’immeuble a grise mine. La façade est décrépie et les fissures nombreuses dans les murs témoignent du manque d’entretiens de ces habitations. Tout autour, le vide. Celui des tours démolis, de l’école désaffectée. Partout sur les parvis, des chats. Mais pas l’ombre d’un bruit, alors que la chaleur assomme. Au deuxième étage de l’un de ses immeubles habite toujours Renée, en cette fin août 2024.
Que dire de son appartement ? Il est coquet. Coquet, car elle l’a décoré avec soin. Des petits chats trônent un peu partout dans la cuisine: en statues, en dessins, en pochoirs… Ils permettent de ne pas voir de suite ce qui cloche: les peintures décrépies, les fenêtres mal insonorisées, les volets qui n’occultent plus la lumière, ou la cuisine, des plus vétustes. À 85 ans, Renée ne fait pas son âge. Elle papote quelques minutes. « Ici, l’hiver, il fait très froid », glisse-t-elle. Avant d’accueillir Daniel, 65 ans. Il vit juste à côté. Mais hors de question de mettre un pied chez lui. « Je suis bordélique », s’excuse-t-il. D’ailleurs, les réunions se sont toujours tenues chez Renée. Son petit salon est devenu comme un espace de pensée et de réflexion pour bâtir les stratégies de l’association.
Pas de changement
Les deux inséparables, qui s’appellent par des surnoms amoureux, tout en affirmant être simplement amis, vivent à Champerriet depuis quinze ans. Ils font partie du collectif Réveillez Champerriet. Ils en sont même les moteurs. Plusieurs années plus tard, l’enthousiasme est quelque peu redescendu. Deux personnes de l’association ont déménagé. Ils se sont retrouvés en – beaucoup – plus petit comité. Les années ont passé, l’engouement est retombé. « Personne ne répond, rien ne se fait », se désole Renée. Daniel parle, au départ, par monosyllabe, visiblement ému : « Le néant ».
Ils ont tout deux l’impression d’avoir été au bout de cet engagement citoyen, sans avoir vu de véritables changements. « Au départ, notre volonté était que nos logements soient rénovés », raconte Renée. Daniel est pessimiste : « Le mot détermination est passé à la poubelle. Maintenant, je m’en fous. J’ai l’impression que cela ne se fera jamais. » Renée se dit dégoûtée. Fin 2024, ils attendent toujours que leur logement soit rénové thermiquement. Sollicité à ce sujet, le bailleur social concerné n’a pas encore répondu à nos sollicitations. Daniel entonne le chant de Dalida « Paroles, paroles, paroles… »
Un café associatif ?
Un peu moroses de prime abord, à l’évocation de leur parcours, ils ont tout de même encore, tous les deux, des étoiles dans les yeux. Ils se détendent aussitôt. « Ce qui nous est arrivé, c’était un rêve. C’est devenu un miracle avec la pièce. On a mis du temps à comprendre et à prendre conscience qu’on avait réussi à déclencher certaines choses. Les cinq cons qu’on était, on a réussi. » Ils éprouvent beaucoup d’affection pour Nevin, la directrice de la Maison pour tous. « C’est la maison du bon dieu », avance timidement Daniel, le sourire aux lèvres. C’est elle qui a permis de déclencher tout cela, pour eux. La Maison pour tous, en les conviant à travailler à ce rapport, a été le levier de cette mobilisation citoyenne par l’espace de parole qu’il a ouvert.
La pièce, au début, les a impressionnés. Daniel n’a d’ailleurs pas aimé la première représentation. Et puis, il est venu la revoir. « C’était grandiose ». Pour Renée, cela a été l’opportunité de voir le chemin parcouru. « On se reconnaît à chaque passage, c’est fidèle », commente Daniel.
Pour ces deux membres du collectif, même si l’espoir est retombé, la pièce fait chaud au cœur. Mais cela ne change pas le principal : aucuns travaux n’est fait pour le moment. Et rien ne permet la vie de quartier. Daniel aimerait voir un terrain de pétanque, un banc, des tables. Mais le cœur n’y est plus, en cette fin de mois d’août. Nevin, la directrice de la Maison pour tous de Bavans, est là aussi, ce jour-là. Elle a vu tout leur parcours. Et les félicite, encore et encore. « Leur histoire est inspirante, même si elle n’a pas la fin espérée, pour le moment. » Et malgré leur apparente morosité, leur engagement citoyen transpire encore par tous leurs pores : ils souhaitent monter un café associatif dans le quartier. Alors… affaire à suivre.
Cette histoire, c’était celle de Renée, Jocelyne, Ginette, Alicia, Olivier et Daniel. « Le statut de citoyen semble se forger là, à travers un collectif d’habitants qui élabore sur lui-même son rapport à l’histoire, à l’avenir et au cadre de vie », lit-on dans un recueil qui parle d’eux, et qui continuera de faire vivre leur histoire.