Depuis mi-septembre, EDF et General Electric mènent des discussions « exploratoires », afin que le conglomérat américain cède la partie nucléaire de son activité à l’énergéticien EDF (notre article). Malgré la volonté politique de l’Élysée d’avancer vite, les négociations sont dans le dur. La question épineuse : la valorisation des commandes d’équipements à General Electric dans le prix de vente, sachant qu’EDF est l’acheteur de l’activité et le commanditaire de ces équipements ! Le point
Depuis mi-septembre, EDF et General Electric mènent des discussions « exploratoires », afin que le conglomérat américain cède la partie nucléaire de son activité à l’énergéticien EDF (notre article) ; une activité acquise à Alstom en 2015. Malgré la volonté de l’Élysée d’avancer vite, les négociations sont dans le dur. La question épineuse : la valorisation des commandes d’équipements à General Electric dans le prix de vente, sachant qu’EDF est l’acheteur de l’activité et le commanditaire de ces équipements. mis à jour le 12 novembre 2021, à 18h04.
On a soufflé la date du 16 novembre. Avant, une date mi-octobre. Des réunions sont organisées régulièrement. Des visites de sécurité ont déjà été réalisées. Les équipes sont sur le pont pour préparer la venue d’Emmanuel Macron, président de la République, à Belfort. Mais ce ne sera pas le 16 novembre. Peut-être la semaine suivante. Ou encore celle d’après… La dernière fois qu’un président de la République est venu dans le Territoire de Belfort, c’était en février 2017 (lire ci-dessous) ; François Hollande avait visité Alstom Transports, qui venait de traverser une période difficile, et General Electric.
Dans l’agenda présidentiel, une visite dans la Cité du Lion est cochée depuis plusieurs mois ; elle doit permettre d’annoncer formellement la construction de 6 nouvelles tranches nucléaires, ainsi que le rapatriement sous pavillon français de la branche nucléaire de General Electric. Le 28 mai 2015, celui qui était encore ministre de l’Économie avait déjà visité les ateliers d’Alstom. C’était pour matérialiser sa confiance dans la vente de la partie énergie de l’industriel français au conglomérat américain.
Cette séquence politique doit sceller le dossier nucléaire, à quelques mois de l’élection présidentielle. De fait, la question n’est pas de savoir s’il vient, mais quand. Et ce dernier élément ne dépend pas entièrement de l’Élysée, mais bien des négociations en cours entre General Electric et EDF, officialisées le 22 septembre (notre article). Où en sont-elles ? De sources concordantes, on confirme des négociations délicates, voire tendues. General Electric ne veut pas « brader » l’activité pour reprendre un terme d’un représentant du personnel de Steam, exprimant la position de la direction.
Cette tension s’explique aussi parce que nous sommes « dans la phase finale », confirme une source proche du dossier. Les négociations ont été « soutenues ». La période est propice aux “intox”, ajoute-t-elle. On joue des coudes. On met la pression. Chacun abat ses cartes, en tentant de ne pas dévoiler son jeu. Les politiques veulent aller vite. General Electric, même s’il veut capitaliser sur ses annonces de mardi sur sa réorganisation, l’a bien compris. Et EDF ne veut pas être le dindon de la farce en rachetant trop vite et n’importe comment. « Il doit s’assurer d’avoir un bon outil industriel », observe un syndicaliste. À l’origine, on projetait la signature d’une lettre d’intention sur la vente mi-novembre et la signature d’un accord-cadre au mois de décembre. « C’est plus long que prévu », confirme une source politique. « C’est la dernière ligne droite, image une source syndicale. Mais comme dans toutes dernières lignes droites, ça peut durer longtemps. » Cela peut être une question de jours, de semaines, voire de mois.
1 milliard de dollars
Le point d’achoppement, c’est « le prix », sourit une source syndicale qui connaît bien la filière. Selon nos informations, le prix de vente oscille entre 500 millions et 1,5 milliard de dollars. Actuellement, on s’approche plutôt du milliard de dollars. Mais au-delà du prix, c’est le contenu de la corbeille qui compte. General Electric veut valoriser ses actifs et son carnet de commandes. EDF, qui rachète un fournisseur, ne veut pas, de son côté, payer deux fois ces mêmes commandes, d’abord en qualité de client, puis en qualité de repreneur. Par ailleurs, « General Electric intègre à sa charge les futures commandes d’EDF, qui ne les a pas encore annoncées publiquement », remarque une source bien informée ; ce sont les 6 nouvelles tranches nucléaires évoquées depuis plusieurs mois et qui ne sont pas encore officialisées, ni par le gouvernement, ni par EDF. Sur le montage financier, la Banque publique d’investissement (BPI) devrait intervenir.
Le périmètre semble aujourd’hui fixé, avec une dynamique plutôt « large », note une source bien informée. L’empreinte industrielle française est conservée (Belfort, Massy, La Courneuve). On évoque les équipes de la fabrication d’Arabelle, mais aussi les équipes d’intégration et de gestion de projet. Des usines à l’étranger sont aussi concernées : Rugby en Angleterre ; et le site de production d’alternateurs de Sanand, en Inde. Tout ce qui concerne la gamme des small modular reactor est aussi intégrée, selon nos informations. Par contre, l’activité de services, liée à la maintenance des centrales à charbon et très rentable, serait conservée par General Electric.
« Projet industriel »
Aujourd’hui, les syndicats ont des incertitudes autour de l’emploi : on craint les doublons et on redoute un nouveau plan de restructuration avec cette reprise. Laurent Humbert, de la CFE-CGC, l’a souvent formulé. Pour y remédier, il faut donner des “perspectives” à la filière, ajoute-t-il, afin de garantir du travail pour tout le monde. Un nouveau programme EPR doit permettre de “stabiliser et renouveler les compétences”, insiste-il. « On a un besoin d’investissement humain et dans le parc machine », complète Laurent Santoire, de la CGT, qui note la force du carnet de commandes, surtout si l’EPR 2 est enclenché. « Nous prenons de plus en plus de risques à mesure que l’on tergiverse sur les embauches – et c’est vrai pour toute la filière – car les plus anciens s’en vont et les savoirs ne sont pas transmis », met-il également en garde. « L’expertise est encore là, mais pas en nombre. Il faut faire l’effort maintenant », estime-t-il, rappelant que les plans sociaux et les plans seniors n’ont pas fait de bien. Laurent Santoire est aussi inquiet « du projet industriel », rappelant l’attitude du gouvernement lors de la vente en 2015 et le fait qu’il ait « laissé se dérouler » les plans sociaux ensuite. « [Le rachat] doit renforcer la filière électronucléaire », glisse-t-il. Il faut donc que la future entreprise ait « les moyens » de ses ambitions. Il pointe du doigt, enfin, le dossier du control command des turbines et alternateurs, qui doit être transféré, afin d‘avoir « une autonomie pleine et entière ».
« De notre point de vue, la stratégie d’un électricien n’est pas de racheter tous ses fournisseurs », rappelle de son côté Alexandre Grillat, secrétaire national du syndicat CFE-CGC, fédération de l’énergie, car « le modèle d’EDF a été bâti sur la logique d’un architecte-assemblier ». Si ce choix est « légitime », notamment au vu de la souveraineté nationale et du maintien des compétences de la filière nucléaire, il implique deux choses. La première, c’est une « visibilité » sur l’avenir de la filière, ce qui semble se dessiner à l’écoute des dernières positions formulées par le chef de l’État. La deuxième, ajoute Alexandre Grillat, est de donner des moyens à EDF de racheter. « L’État ne peut s’exonérer de ses responsabilités dans cette opération », glisse ce salarié d’EDF, attendant une recapitalisation, dans le même esprit que lors du sauvetage d’Areva.
Sollicité en début de semaine, General Electric n’est pas revenu vers nous. Yves Chevillon, directeur de l’action régionale d’EDF en Bourgogne-Franche-Comté, a simplement confirmé « qu’il y [avait] bien des discussions exploratoires entre le groupe EDF et General Electric sur les activités nucléaires de GE Steam Power ».
Les visites présidentielles
Cela fait bientôt 5 ans qu’un président de la République est venu dans le Territoire de Belfort. Le 22 février 2017, à la fin de son quinquennat et alors qu’il ne se représentait pas, François Hollande était venu à Belfort. Il avait visité les ateliers d’Alstom transports et General Electric. Le constructeur ferroviaire venait de traverser une période très difficile. On avait menacé de fermer le site ; on attendait les commandes pour garantir l’avenir. Le 8 septembre 2011, c’est Nicolas Sarkozy qui avait fait une halte à la gare TGV Belfort-Montbéliard, alors qu’il inaugurait la ligne à grande vitesse (LGV) Rhin-Rhône (retrouvez ici le discours de Nicolas Sarkozy). Ensuite, il faut remonter à François Mitterrand. Le 31 mars 1987, il a posé la première pierre de ce qui allait devenir l’université de technologie Belfort-Montbéliard (UTBM) et qui n’était encore que l’institut polytechnique de Sévenans ; le bâtiment avait été dessiné par l’architecte Roland Castro. Le 12 décembre 1988, François Mitterrand s’était de nouveau déplacé à Belfort, pour lancer le revenu minimum d’insertion (RMI) ; il rendait ainsi hommage à une expérimentation lancée en 1985 par Christian Proust, président du conseil général (retrouvez ici le discours prononcé à l’occasion).