Au cours de l’année écoulée, plusieurs jugements ont rappelé le rôle d’un tribunal administratif dans les débats locaux : dire le droit, même quand celui-ci est impopulaire. Le 3 juillet 2025, le juge des référés a confirmé l’arrêté préfectoral interdisant au rappeur Freeze Corleone de se produire aux Eurockéennes de Belfort. Plusieurs associations avaient invoqué la liberté d’expression et de création artistique, mais le tribunal a retenu que « les propos et contenus reprochés à l’artiste justifiaient l’interdiction, compte tenu du risque de troubles à l’ordre public ».
Quelques jours plus tôt, le 26 juin, la juridiction avait ordonné le retrait du drapeau palestinien hissé devant la mairie de Besançon. Pour le préfet, ce geste constituait une prise de position politique étrangère aux compétences d’une collectivité. Le juge a donné raison à l’État, considérant que la ville avait « excédé ses attributions ».
En décembre 2024 et janvier 2025, c’est l’hôpital Nord Franche-Comté qui a été condamné à indemniser deux patients, à hauteur de 1,5 et 1,3 million d’euros. Des indemnisations record qui rappellent la responsabilité lourde qui pèse sur les établissements de santé.
Ces affaires, qui ont alimenté le débat public, ne doivent pourtant pas faire oublier l’essentiel du travail de la juridiction, a rappelé Cathy Schmerber, présidente du tribunal administratif, lors de l’audience solennelle de rentrée, ce mardi 16 septembre. Car au quotidien, la majorité des contentieux ne suscitent pas d’écho médiatique particulier. Permis de construire, impôts, litiges liés à la fonction publique ou à la sécurité : autant de dossiers où se joue, pour les justiciables, un enjeu de taille. « Souvent, un dossier est l’histoire d’une vie pour un requérant », expliquait Cathy Schmerber lors d’une précédente rencontre.
« Trancher les litiges »
« Dans tous les cas, notre cœur de métier restera toujours de trancher les litiges », rappelle-t-elle. Les magistrats veillent à vérifier que l’Administration respecte le droit. Ils peuvent annuler des décisions, contraindre une administration à agir ou encore accorder des dommages et intérêts.
Le champ est vaste : sécurité, enseignement, urbanisme… La plupart du temps, ce sont des questions en lien avec le quotidien. Cette mission se traduit par une activité toujours plus soutenue. Entre septembre 2024 et août 2025, le tribunal a enregistré 2 584 nouvelles requêtes, soit une hausse de 7,7 % en un an. Les procédures d’urgence connaissent une progression encore plus spectaculaire : +21,4 %.
Dans le même temps, 2 642 affaires ont été jugées, en hausse de 15 %. Le délai moyen de jugement est désormais d’un an et 13 jours. Le stock de dossiers en attente s’élève à 1 725, en recul de 3,3 %.
La répartition des affaires illustre la diversité des dossiers : 27 % concernent les étrangers, 16 % le social, 10 % la fonction publique, 7,5 % l’urbanisme et l’environnement, 9 % la police, 5 % la fiscalité, et 25,5 % d’autres contentieux.
Pour accomplir cette tâche, le tribunal, qui couvre le Doubs, la Haute-Saône, le Jura et le Territoire de Belfort, s’appuie sur dix magistrats, quatorze agents de greffe, un assistant du contentieux et un assistant de justice.

Hausse attendue avec les municipales
Derrière ces chiffres globaux se dessinent des évolutions plus singulières. Les expulsions ont bondi de 550 %, passant de 4 à 26 procédures. Les contentieux fiscaux connaissent également une hausse marquée. « Cela a un caractère atypique, ce n’est pas dans les tendances nationales », souligne Cathy Schmerber.
L’année à venir s’annonce particulièrement dense avec les élections municipales de 2026, qui génèrent traditionnellement un grand nombre de litiges. « Nous aurons une charge particulière en 2026 », anticipe la présidente. Litiges qui viendront s’ajouter à une hausse continue du nombre de procédures en référés depuis trois ans, ajoute-t-elle.
Mais l’enjeu n’est pas seulement quantitatif. Le tribunal doit aussi composer avec les critiques. Si elle sait faire, la juridiction regrette une montée de la violence contre la juridiction en France. « Le tribunal a été malmené ces derniers mois, et depuis quelques temps. Nos membres sont mis en cause, de manière violente parfois », déplore Cathy Schmerber, faisant référence notamment au tribunal admnistratif de Melun, qui a subi un déferlement de haine après l’annulation de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai dont faisait l’objet l’influenceur algérien « Doualemn ».
À Besançon, les attaques restent limitées : « Ici, cela s’arrête à des petites mentions dans des articles de presse », dit-elle. Le juge des référés de Besançon avait par exemple été ciblé par Matthieu Pigasse, président des Eurockéennes, lors de l’affaire Freeze Corleone, qui déplorait que la décision soit « constitutive d’une censure » (lire ici). Rien de comparable toutefois avec la virulence observée ailleurs en France, sur laquelle la juridiction bisontine a voulu attirer l’attention lors de cette rentrée solennelle.