Le Trois –

En infiltration avec les commandos du 1er régiment d’artillerie

Militaire du détachement d'acquisition dans la profondeur du 1er régiment d'artillerie de Bourogne, lors de l'exercice Diodore 25, en mars 2025. | ©1er RA – Maréchal des logis chef David
Reportage

Le 1er régiment d’artillerie de Bourogne participe à un exercice de grande ampleur, dans le grand est de la France, Diodore 25. La manœuvre travaille les actions en zone ennemie, 50 à 500 kilomètres derrière la ligne de front. Le Royal Artillerie y expérimente des unités commandos qui s’infiltrent pour repérer des cibles de grande importance stratégique et transmettre les coordonnées, afin de les détruire avec l’artillerie.

  • Cet article est le premier d’une série de trois, réalisée lors d’une immersion de 48 heures pendant la manœuvre Diodore 25. En partenariat avec Ici Belfort-Montbéliard, Le Trois a pu suivre l’unité commando et pénétrer dans les postes de commandement. 2e épisode : l’interview du colonel Matthieu Debas, chef de corps du 1er régiment d’artillerie. 3e et dernier épisode : une interview du général Guillaume Danès, commandant du CAPR.

20 h 45. Un faisceau lumineux brise une nuit d’encre. À distance raisonnable l’un de l’autre, deux 4 x 4 rompent le silence du lieu. Sur les hauteurs de Vincey, dans les Vosges, six militaires du 1er régiment d’artillerie de Bourgogne se préparent à franchir les lignes ennemies, marquées par la Moselle, située à un peu plus d’un kilomètre à vol d’oiseau, en contrebas.

Les artilleurs viennent de recevoir les derniers rapports du poste de commandement, renseignés par des vols de drones organisés en fin d’après-midi. Cette opération visait « à blanchir la zone », explique le lieutenant Pierre, à la tête de cette équipe d’acquisition dans la profondeur (EAP), une unité commando.

Le pont de Vincey, dégagé de menaces, doit permettre de franchir les lignes pour s’infiltrer en zone ennemie, a minima de 20 kilomètres. Ils traverseront le pont aux alentours de minuit, après lui avoir tourné longuement autour. « Mon objectif est de m’infiltrer dans la profondeur et de déceler des pièces d’artillerie sol-air », dévoile le lieutenant Pierre. Mais pas de précipitation. L’avancée se fait à tâtons. « Nous avons de nombreuses phases d’écoute, de surveillance et d’observation », confie le jeune officier, notamment avec de petits drones d’observation, « pour ouvrir l’itinéraire ».

Ils avancent de 4 à 5 kilomètres par heure. Quand ils marchent, la vitesse n’excède pas 1 km/h, les militaires dépliant précautionneusement chaque pas. D’abord le talon. Puis le pied. Et veillant à ne pas faire de bruit en le posant. « Nous mettons beaucoup de temps », sourit le lieutenant Pierre, lunettes de vision nocturne accrochées sur le casque et petits micros attachés à ses oreillettes, pour amplifier les bruits alentours.

Retour de la guerre en Europe

L’équipe du lieutenant Pierre participe à un exercice de grande ampleur, Diodore 25, qui mobilise jusqu’à 1 500 soldats dans sa phase la plus forte. L’exercice (lire par ailleurs) simule une guerre de haute intensité entre deux ennemis similaires en nombre et en équipements. L’exercice s’intéresse particulièrement à la zone située derrière les lignes ennemies, entre 50 et 500 kilomètres. C’est ce que l’on appelle « la profondeur ». Depuis septembre 2024, une nouvelle entité de l’armée de terre est totalement dédiée à cette profondeur. C’est le commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR), qui regroupe trois brigades : des services de renseignement et de cyber-électroniques ; des régiments d’aéro-combat ; et des régiments d’artillerie longue portée, dont le 1er régiment d’artillerie. L’objectif est notamment de réduire le temps entre le renseignement et le déclenchement du feu, pour agir de manière plus efficace sur cette zone.

« Nous cherchons à nous opérationnaliser avec le retour de la guerre en Europe », explique le général Vincent Tassel, commandant de la brigade de renseignement et de cyber-électronique du CAPR ; il dirige par ailleurs la task force deep, qui pilote justement ces actions dans la profondeur testée pendant cette manœuvre. « Cette profondeur est essentielle », assure le colonel Alexandre de Féligonde, chef d’état-major de cette structure. Elle permet de cibler les postes de commandement, les centres logistiques et des systèmes de défense sol-air, autant d’éléments stratégiques qui peuvent peser sur l’intensité des combats sur la ligne de front.

Se dissimuler et renseigner

Dans l’exercice, l’objectif final de l’état-major est l’infiltration d’un groupe aéromobile, révèle le lieutenant Pierre.  « Pour réussir, nous devons donc déceler puis détruire les artilleries sol-air », expliquent-ils. Des systèmes d’armes qui menaceraient le passage des aéronefs. C’est pour les repérer que son unité est engagée. Pour avoir des tirs précis, il faut de bonnes coordonnées. Si les images satellites ou les drones apportent de nombreux renseignements, l’œil est souvent nécessaire, « pour trancher le vrai du faux », observe l’officier. Les drones ne permettent pas non plus de repérer ce qui se cache dans les zones de couvert.

Après s’être infiltré derrière les lignes ennemies, « par bonds », le détachement du lieutenant Pierre s’est fondu au milieu de la forêt pour installer une zone de vie. La première zone identifiée s’est avérée dangereuse. Vers 5 h 30, ils se sont déplacés vers un deuxième point de chute, dans le secteur de Damas-aux-Bois. Des toiles de camouflage ont alors été tendues entre les deux véhicules ; une base de 5 m² est aménagée, dans laquelle on tient à genou. C’est un lieu « rustique, mais nécessaire » pour se ravitailler et se reposer. Dès le lever du soleil, plusieurs heures de travaux ont été nécessaires pour dissimuler leur présence dans la zone. De la végétation a été prélevée à près de 500 mètres pour ne pas attirer l’attention. Des feuilles recouvrent les toiles – qui limitent aussi la signature thermique des voitures et des soldats – tout en veillant à ce que la couleur de la cache corresponde bien à la couleur de la végétation proche. Des jeunes pousses d’arbres ont même été replantées… à tel point que l’on ne sait pas comment les véhicules ont pu se déplacer. On a le sentiment qu’ils ont été déposés. Dans le coffre du 4 x 4 : pelles, pioches et petites scies permettent de faire « du jardinage ». Les traces ont été effacées. Et des pièges de bois ont été installés, afin de provoquer du bruit en cas d’approche de visiteurs. Sous la bâche, le silence est la règle d’or. Les équipiers communiquent avec une ardoise Velleda. 

Pendant qu’une partie de l’équipe dissimule les traces, les premières patrouilles sont engagées vers les zones d’intérêt. Si elles repèrent des équipements à détruire, elles les communiquent à la zone de vie avec une messagerie codée, de type SMS. L’information est ensuite transmise au poste de commandement par une liaison longue portée, qui peut alors programmer des tirs d’artillerie.

Militaire du détachement d'acquisition dans la profondeur du 1er régiment d'artillerie de Bourogne, lors de l'exercice Diodore 25, en mars 2025. | ©1er RA – Maréchal des logis chef David

Supériorité tactique

Plusieurs centaines de kilomètres plus loin, en territoire ami, les capitaines Benjamin et Lionel, du 1er régiment d’artillerie, sont au poste de commandement de cette nouvelle task force. C’est ici qu’on reçoit les messages. Le premier officier est en charge des manœuvres des unités du régiment sur le théâtre des opérations : déplacements des lance-roquettes unitaire (LRU), capables de tirer des missiles à près de 80 kilomètres avec une précision métrique (lire notre article) ; gestion de la logistique de ces unités avec l’approvisionnement en munitions et en vivres…

L’autre reçoit les coordonnées de tirs et les programme. « S’il n’y a pas de coordination, le feu n’est pas efficace », assure le capitaine Lionel, militaire depuis 1984 ; avec ces nouvelles méthodes, il retrouve les manières de combattre qu’il a connues à ses débuts, lorsque le bloc soviétique était encore d’actualité. Le capitaine Lionel surveille aussi les menaces adverses, notamment les tirs d’artillerie, les drones, qui jouent sur la capacité de déplacement, et les commandos. « Depuis 2022, nous voyons bien que l’artillerie permet de gagner une supériorité tactique », valide le capitaine Benjamin. « C’est un appui incontournable pour peser très fort sur le champ de bataille », ajoute ce jeune officier.

« Il faut être résilient »

Dans la forêt vosgienne, le détachement du lieutenant Pierre poursuit sa mission. Il continue de quadriller la zone pour repérer des cibles prioritaires. En ce milieu de journée, les équipiers ont revêtu des vestes Ghillie, « qui permettent de se fondre dans la végétation et de casser la silhouette », confie le sergent Ben, fusil de précision SCAR-H PR en bandoulière.

La concentration est palpable. Chaque geste est mesuré. Ouvrir une porte de voiture peut s’avérer dramatique. Comme parler avec ses camarades. « Nous n’avons pas le droit à l’échec, convient l’officier. Une petite erreur peut être fatale. » Les gestes sont lents. Décomposés. Précis. Rien n’est laissé au hasard : odeurs, traces, formes, reflets… « Nous avons plein de petits réflexes pour bouger et ne pas se faire entendre », rassure-t-il. Tout est étudié. Leurs armes ne comportent, par exemple, pas d’éléments métalliques, pour limiter les bruits. Les chargeurs sont en polymères. 

Mais l’équipement n’est pas tout. L’équipe a embarqué de quoi tenir sept jours : vivres, eau, batteries…  Et s’il faut, ils se ravitailleront en récupérant du matériel laissé dans une boite aux lettres morte par des alliés ou des partisans, pour ne pas attirer l’attention sur leur cache. « Il faut être résilient », assure le lieutenant Pierre. « Et être capable d’attendre dans nos caches, sans se parler », ajoute celui qui apprécie faire partie « d’une équipe qui change de l’ordinaire ». Son ordinaire, à lui : s’infiltrer et se dissimuler. En zone hostile.

Qu’est-ce que Diodore 25 ?

L’exercice Diodore 25 se déroule du 3 au 28 mars, dans les camps de Champagne pour les postes de commandement et dans le quart nord-est de la France pour la partie tactique, en terrain libre. Il est organisé par le commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR), dans lequel est intégré le 1er régiment d’artillerie de Bourogne. 1 500 soldats sont mobilisés pour cet exercice, notamment dans la partie « réelle ». Une première partie a été faite grâce à des outils de simulation. C’est un exercice « laboratoire », inscrit dans une démarche de transformation de l’armée de terre pour renforcer sa puissance de combat. On teste notamment un centre de commandement dédié à intervenir sur les arrières de l’ennemi, entre 50 et 500 kilomètres de la ligne de front, la task force deep. Il vise à mieux intégrer les compétences de renseignement, de cyber-électronique, d’artillerie et d’aérocombat. L’exercice intègre et teste de nombreuses innovations avec des industriels de la défense, notamment autour de l’intelligence artificielle. « C’est un outil que nous testons sur la gestion et le traitement des données pour appuyer la compréhension de l’état-major », explique le lieutenant-colonel Frédéric, chef du bureau opération et engagement du CAPR.

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