Vous avez visité Arabelle solutions, entreprise importante de la souveraineté nucléaire française, fabriquant la turbine Arabelle. Elle est en cours de cession entre General Electric et EDF. C’est un dossier compliqué, qui s’inscrit dans une guerre commerciale entre Américains et Russes (lire notre article). Comment analysez-vous cela à l’heure de la nécessité d’une indépendance énergétique ?
Il s’agit d’une discussion entre actionnaires, entre anciens actionnaires et futurs actionnaires. Dans ce contexte, je n’ai absolument pas à intervenir. Ce sont des discussions entre des entités et des acteurs privés. En ce qui concerne ma responsabilité de Commissaire européen au marché intérieur, [je me] bat[s] depuis le début de mon mandat pour une autonomie stratégique et aussi, dans certains domaines, [pour] une augmentation de notre souveraineté et de notre indépendance. Évidemment, l’ensemble des éléments constitutifs de la filière nucléaire [sont] important[s]. Sécuriser cette filière et l’ensemble des chaînes d’approvisionnement [sont aussi des] élément[s] très important[s]. Je me place, évidemment, au-delà du cadre stricto sensu que vous venez de rappeler. Et je rappelle que nous avons beaucoup poussé pour la réhabilitation du nucléaire. Il y a quatre ans, on n’en parlait pas comme on en parle aujourd’hui. Avec Christophe Grudler – lui au Parlement, moi à la Commission – on a vraiment travaillé main dans la main pour que, désormais, tout le monde ait bien conscience que, sans nucléaire significatif en Europe, il n’y aura pas de capacités d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés à l’horizon 2050, d’être un continent totalement décarboné. Une part très significative de notre électricité décarbonée devra être produite par le nucléaire (Thierry Breton évoque une part du nucléaire de 20 à 25% du mix énergétique, NDLR). Cela veut dire qu’il faut quasiment doubler nos capacités. Tout ce qui renforce notre capacité de mener à bien ce programme extrêmement important pour nos concitoyens européens, pour notre souveraineté économique, mais aussi pour notre capacité à atteindre nos objectifs du Green deal, est absolument stratégique. Sur le terrain, aujourd’hui, [j’ai pu] mesurer la qualité des savoir-faire et des équipes. Je mesure leur apport pour la France, mais aussi pour l’Europe.
Visite industrielle importante à Belfort🇫🇷 aux côtés de Christophe Grudler.
— Thierry Breton (@ThierryBreton) January 18, 2024
Qu’il s’agisse du #nucléaire —avec les turbines les plus imposantes au monde—, de l’#hydrogène ou la #mobilité, avec le TGV du futur, Belfort est l’un des territoires industriels 🇪🇺 les plus innovants. pic.twitter.com/IDdYm16mns
Vous êtes dans un territoire particulier, avec une concentration forte de fabricants d’équipements de la filière hydrogène (électrolyseurs, piles à combustible, réservoirs). Vous avez beaucoup porté ce dossier à l’échelle européenne…
Je l’ai beaucoup porté, oui. Et je voudrais saluer l’activité des élus, en particulier des élus européens. Christophe Grudler, je peux en porter témoignage, a vraiment joué un rôle très important, y compris pour l’implantation de ceux qui ont choisi le territoire…
Comme McPhy par exemple ?
Par exemple. Je sais le rôle qu’il a joué, car nous en avons beaucoup parlé ensemble. Je vois cela d’un très bon œil parce que nous devons augmenter très significativement nos capacités de production d’hydrogène avec, encore une fois, toute la chaîne de valeur qui va avec. Comme vous le savez, nous avons des Piiec (projet important d’intérêt européen commun, NDLR), qui permettent d’apporter une contribution. Je me réjouis que la région en fasse partie et que le Territoire de Belfort puisse en bénéficier.
Au-delà du rôle de l’hydrogène dans la décarbonation, cela permet aussi de se réindustrialiser.
Je viens de faire une visite des ateliers d’Alstom. Il y a aujourd’hui toute une filière qui se déploie, notamment sur des locomotives hydrogène, de substitution aux locomotives diesel. C’est toute une filière qui se crée, avec des savoir-faire et des sous-traitants nouveaux. On sait très bien que derrière les locomotives « industrielles » – vous me pardonnerez cette expression – il y a évidemment toute une kyrielle de sous-traitants (petits, moyens ou grands) qui sont des éléments indispensables dans la chaîne de valeur. Cette nouvelle filière va évidemment attirer de nouvelles expertises, de nouveaux savoir-faire et donner aussi aux jeunes entreprises l’idée de venir s’installer, car il y a un écosystème qui se crée dans le Territoire de Belfort.
La semaine dernière, vous avez évoqué une volonté de créer un fonds de soutien à l’industrie de l’armement à l’échelle de l’Europe, doté de 100 milliards d’euros. Quelle est l’ambition ?
Ce qui est absolument essentiel, c’est que nous ayons la capacité de soutenir les demandes de l’Ukraine. Le président de la République l’a rappelé au cours de la conférence de presse tenue il y a deux jours. C’est un élément absolument essentiel pour nous, Européens. Et cela passe par l’augmentation de la base industrielle de défense. Et pour faire cela, il faut s’en donner les moyens. Nous savons tout faire en Europe, mais il faut maintenant que l’on augmente très significativement et très rapidement nos capacités de production. Cela passera, très certainement, par un effort commun. Avec mes équipes, on l’a chiffré. Ce ne sera pas pour le mandat de cette commission, qui se termine dans quelques mois. Mais ce sera, je l’espère, l’un des objectifs premiers de la prochaine commission, parce que nous ne pouvons attendre.