L’association pour la promotion des liens interculturels et fraternels (Alif) organise ce jeudi 3 février au soir une représentation de la pièce Passeports pour la liberté, de Dominique Lurcel, à L’Arche de Bethoncourt. Une pièce adaptée du livre du sociologue Stéphane Beaud, La France des Belhoumi, qui suit le destin des huit enfants d’une famille algérienne installée en France depuis 40 ans. L’occasion de regarder autrement la question de l’immigration et celle de l’ascenseur social. Rencontres avec les acteurs d’un projet ambitieux.
L’association pour la promotion des liens interculturels et fraternels (Alif) organise ce jeudi 3 février au soir une représentation de la pièce Passeports pour la liberté, de Dominique Lurcel, à L’Arche de Bethoncourt. Une pièce adaptée du livre du sociologue Stéphane Beaud, La France des Belhoumi, qui suit le destin des huit enfants d’une famille algérienne installée en France depuis 40 ans. L’occasion de regarder autrement la question de l’immigration et celle de l’ascenseur social. Rencontres avec les acteurs d’un projet ambitieux.
« Un passeport pour la liberté. » Cette expression est celle de Samira Belhoumi. L’une des huit enfants (cinq filles et trois garçons) d’une fratrie d’une famille algérienne installée en France il y a 40 ans. De 2012 à 2017, le sociologue Stéphane Beaud les a suivis et les a interrogés pour regarder leur trajectoire. Individuellement. Ces parcours, le sociologue les retranscrits dans un livre : La France des Belhoumi, portraits de famille, 1977-2017 (La Découverte, 2018). L’ouvrage trace l’histoire d’une « intégration silencieuse ». Il regarde aussi les destins de chacun, en fonction de leur lieu de naissance, de leur place dans la fratrie, du rôle de l’école, des interdits culturels ou des difficultés financières de la famille détaille une présentation de l’ouvrage par la compagnie Passeurs de mémoires. Une compagnie de théâtre, dirigée par Dominique Lurcel, qui s’est saisie de cette histoire. Et plus particulièrement de celle de Samira, l’aînée de la fratrie. Et cette expression « un passeport pour la liberté », reprise dans le titre de la pièce, « est une expression récurrente dans la bouche de Samira », confie Dominique Lurcel, le metteur en scène. Elle rythme différentes étapes de sa vie. Le bac. Un mariage. Autant d’étapes d’émancipation.
Cette pièce a été présentée à des élèves du lycée Courbet, à Belfort, ce mardi. Des élèves de quatre lycées du pays de Montbéliard la découvre ce jeudi, à l’Arche de Bethoncourt. Des représentations qui s’inscrivent dans des dynamiques de « lutte contre le racisme et l’antisémitisme », confie Aurélien Aramini, professeur de philosophie en classes préparatoires, au lycée Courbet, et chargé de mission au rectorat ; il mène justement une enquête sur ces thématiques. « [La pièce] est un outil pour concourir à cette lutte », adhère Jilali El Rhaz, président de l’association pour la promotion des liens interculturels et fraternels (Alif), qui organise les représentations à L’Arche, dont celle ouverte au public, ce jeudi soir (lire par ailleurs). Cette association, créée il y a une dizaine d’années, sensibilise à tous les phénomènes de radicalisation et prévient le racisme. Une pièce qui invite « à l’esprit critique, à l’esprit d’ouverture » y contribue forcément. C’est « une arme de guerre contre le racisme », valide Dominique Lurcel, confiant la critique formulée par une enseignante à la suite d’une représentation.
Famille ordinaire
Mieux, cette pièce invite à connaître l’autre. Ou à se reconnaître. Car si le livre et la pièce retracent le parcours d’une famille algérienne, l’histoire « peut coller à toutes les formes d’immigration », estime Jilali El Rhaz. « Beaucoup se retrouve dans ce texte », appuie-t-il. Et au-delà de l’immigration, le propos présente une proximité bien plus proche qu’on ne le pense avec les familles populaires françaises. Et les témoignages reçus par l’auteur et les comédiens après les représentations – « Les Behloumi, c’est moi » – témoignent de cette double dynamique. Cela raconte une histoire « universelle », résume Dominique Lurcel, dont le théâtre transpire des questions d’actualité ; dès 2006, il s’était aussi saisi des traces laissées par la colonisation. Il a travaillé sur l’Algérie, mais aussi les Tutsis.
L’approche de la démarche sociologique est par ailleurs singulière. On regarde l’immigration à l’échelle de la famille. Et de l’évolution de la fratrie. On ne la regarde pas à l’échelle d’un territoire. Ou d’un quartier. « Je montre ce que l’on ne montre jamais : une famille ordinaire qui ne défraie pas la chronique », confie le sociologue Stéphane Beaud. « Cela va à l’encontre des représentations médiatiques dominantes », ajoute-t-il. Des images qui surreprésentent une minorité, qui « contamine tout le groupe », observe le sociologue. Il ne veut pas proposer un énième miroir déformant de cette réalité sociale. « Il est important de casser cette altérité sans cesse mise en scène », souligne-t-il. Et il veut aussi casser l’image misérabiliste.
Pour autant, Stéphane Beaud n’est pas dupe. « L’ascenseur n’est pas en panne, mais plus difficile car les conditions de vie des classes populaires, notamment dans les quartiers HLM, sont plus dégradées », observe-t-il. Le parcours de Samira montre le poids de l’école dans cette promotion sociale. « Ce livre redit l’importance dans le milieu populaire de l’école. La seule grande issue », insiste Stéphane Beaud, conscient, également, « que les stigmatisations, ça use ».
Finalement, le livre et la pièce viennent donner de l’espoir. « Samira a brisé des plafonds de verre en tant que femme et en tant que femme issue de l’immigration, relève Nadia Larbiouene, comédienne. Cette dernière dirige également une compagnie de théâtre, où elle joue des femmes connues, moins connues ou inconnues ; « des femmes invisibles », comme elle résume, qui s’apparentent notamment à Samira. « Elles ont des choses à dire », insiste-t-elle. Et de conclure : « Le parcours de Samira est exemplaire. Inspirant. » Et ce miroir reflète une autre réalité de l’immigration.
Jeudi 3 février, 20 h, Passeports pour la liberté, de Dominique Lurcel, à L’Arche de Bethoncourt. Gratuit. Passe sanitaire obligatoire. Réservations : asso.lifs@gmail.com – 07 80 58 94 37. Représentation suivie d’une discussion avec Stéphane Beaud, le sociologue auteur du livre La France des Belhoumi.