Loéva Claverie
« La liberté n’est pas chose dont on vous fait cadeau. La femme qui pense avec sa tête à elle est libre. La femme qui lutte pour ce qu’elle croit juste est une femme libre. »
Ces trois phrases, emplies de force et de puissance, auraient pu être prononcées par une des grandes figures historiques des droits des femmes. Par Gisèle Halimi par exemple, dont les anniversaires de sa naissance et de sa mort ont été célébrés il y a quelques jours, les 27 et 28 juillet. Par une des cinq figures féminines célébrées à Belfort à l’occasion du 8 mars 2025 : Olympes de Gouges, autrice en 1791 de Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ; par Alexandra David-Néel, exploratrice qui a défendu l’émancipation des femmes et l’accès à l’éducation ; Clara Zetkin, intellectuelle et militante qui est à l’origine de la Journée internationale des droits des femmes ; Angela Davis, philosophe et militante afro-américaine, qui a lutté pour les droits civiques et l’égalité des genres ; ou encore par Simone Veil, qui a porté la loi pour légaliser l’IVG en France en 1975.
Mais il n’en est rien. Car, parmi tous ces grands noms, français ou internationaux, dont l’œuvre a été jugée suffisamment grande pour figurer dans les livres d’histoires, quid des autres femmes ? Quid des femmes de l’ombre, des figures locales qui se sont battues avec la même force et la même volonté pour faire avancer les droits des femmes ?
Contre l’oubli collectif
Ces trois phrases sont en réalité issues d’un discours prononcé par Nicole Claverie, lors d’une réunion publique intitulée « Femmes dans la cité », organisée par l’association Femme 89, en janvier 1989. Anciennement membre de cette association, Nicole Claverie a été, des années 1980 à 2000, une figure belfortaine de la lutte pour l’avancée des droits des femmes.
Et Nicole Claverie est aussi ma grand-mère.
Longtemps perçue à mes yeux comme étant simplement « femme de… » et « grand-mère de… », je n’ai découvert que tard l’engagement qui avait été le sien pendant des années et l’ampleur des projets menés. Ma grand-mère prenant de l’âge et les souvenirs s’en allant progressivement avec les années, il m’est alors apparu important de retracer son histoire et ses combats et de les figer quelque part. Contre l’oubli familial tout d’abord. Contre l’oubli collectif ensuite.
Car, comme prévenait Simone de Beauvoir : « Rien n’est jamais définitivement acquis. Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes. » Une affirmation qui fait particulièrement écho à notre époque, où les droits des femmes sont en recul dans plusieurs pays du monde, dont les États-Unis, et restent difficiles à défendre dans beaucoup d’autres.
Un rôle associatif d’ampleur
Profitant de débuter un master de journalisme, je me suis donc lancée il y a deux ans dans des recherches sur la période active et militante de ma grand-mère. Je savais que tôt ou tard, mon parcours de recherches me ferait passer par Belfort. Et par un étonnant concours de circonstances, je me suis retrouvée en stage pour la fin de mes études dans le média local Le Trois. Profitant du réseau de mes collègues qui la connaissaient ou qui connaissaient des personnes qui l’avaient côtoyée, j’ai pu, peu à peu, dessiner l’entourage qui avait été le sien pendant une vingtaine d’années et découvrir, au fil de mes rencontres, le panorama de ses actions à Belfort.
Car si vous ne connaissez pas son nom, vous connaissez sûrement les fruits de son travail. Le Centre d’informations sur les droits des femmes (CIDF), nouvellement nommé Centre d’informations sur les droits des femmes et des familles, CIDFF) ; Solidarité Femmes (ex-SOS Femmes) ; Pluri’elles ; Femmes Actives (nouvellement Énergie emploi) ; Parenthèses à la violence… Aux côtés d’une dizaine d’autres femmes, Nicole Claverie a eu, tour à tour, un rôle de créatrice, de directrice, de présidente, d’informatrice ou encore de médiatrice familiale dans ces associations. Devenues aujourd’hui des institutions pour l’aide aux femmes et la défense de leurs droits, ces associations de l’époque continuent le travail initié il y a plus de quarante ans à Belfort. Seule Parenthèses à la violence a dû fermer en 2013.
Une figure politique de Belfort
« Ta grand-mère a fait une œuvre ici – et j’emploie ce mot volontairement –, que ce soit au niveau de l’associatif ou de la vie professionnelle, me confia avec émotion Véronique Mougey, une de ses amies et collègues, lors de notre rencontre en juin. Elle avait un axe : redonner aux personnes du pouvoir sur leur vie. » Car Nicole Claverie ne s’est pas arrêtée au domaine associatif. Après avoir été conseillère municipale déléguée, à Éloie, où elle fut à l’origine de l’ouverture de l’école maternelle, elle s’investit dans la politique belfortaine et intégra, en 1989, l’équipe municipale de Jean-Pierre Chevènement. Elle fut ainsi adjointe à l’enfance, la petite enfance et aux droits des femmes de 1989 à 1995. Puis conseillère municipale sur les mêmes domaines, de 1995 à 2001.
Décrite par son amie Chantal Marchand comme « imposante », « déterminée », « qui ne se laissait pas impressionner par les refus », ma grand-mère me laisse ainsi un impressionnant héritage à dépoussiérer. Multipliant les rencontres, les entretiens, les excursions aux archives municipales de Belfort, je découvre à chaque fois de nouvelles actions qu’elle put mener et qui font encore partie intégrante du fonctionnement de Belfort.
Elle fut d’ailleurs récompensée de l’Ordre national du Mérite, au grade de chevalier, pour ses 37 ans de services civils, d’activités associatives et de fonctions électives, en 1998.
« Citoyennes, donnons-nous des moyens pour que la liberté fleurisse, déclamait ma grand-mère en 1989. […] On ne va pas mendier sa liberté aux autres. La liberté, il faut la prendre. » Se souvenir du passé pour inspirer le présent. Telle est la motivation qui anime mon travail de recherches et de mémoire, pour que des bibliothèques et des cartons d’archives, revivent l’expérience et le savoir de nos aînées.