24 heures avec le 35e RI. Le Trois a passé 24 heures avec les soldats de la 4e compagnie du 35e régiment d’infanterie de Belfort, lors d’un stage d’aguerrissement dans les Vosges. Dans ce premier opus de cette série estivale de trois articles, on sue avec les Scorpions, surnom de la compagnie, dans les chemins menant au sommet du ballon d’Alsace. 25 km. 1 000 m de dénivelés positifs. Avec le bivouac en prime. Reportage.
24 heures avec le 35e RI. Le Trois a passé 24 heures avec les soldats de la 4e compagnie du 35e régiment d’infanterie de Belfort, lors d’un stage d’aguerrissement dans les Vosges. Dans le premier opus de cette série estivale de trois articles, on sue avec les Scorpions, surnom de la compagnie, dans les chemins menant au sommet du ballon d’Alsace. 25 km. 1 000 m de dénivelés positifs. Reportage.
Tous Gaillards, pas d’traînards. Telle est la devise du 35e régiment d’infanterie de Belfort. Une devise que la 4e compagnie a honoré pendant son stage d’aguerrissement, fin juin, dans les Vosges. Pendant trois jours et demis, les soldats du régiment de la cité du Lion se sont préparés « à des combats à très haute intensité », explique le commandant Enguerrand, en charge de l’exercice. Au programme, une centaine de kilomètres à parcourir à pied, des milliers de mètres de dénivelés positifs à gravir puis à descendre. Et bien sûr, des opérations militaires à mener.
La haute intensité, l’armée en parle depuis quelques années (notre article). La guerre en Ukraine rappelle qu’elle est plausible. « L’hypothèse d’un engagement majeur existe », convient l’officier au briefing matinal, dans une ferme vosgienne, sur les hauteurs de Kruth, dans le Haut-Rhin.
Les Gaillards du 35e RI sont « des fantassins mécanisés », replace le commandant Enguerrand. S’ils se déplacent à bord des imposants VBCI, les véhicules blindés de combat d’infanterie de 28 tonnes, les soldats terminent toujours l’engagement à pied. « Il convient donc de développer puis d’entretenir ses qualités fondamentales : endurance, rusticité, conception des ordres en situation de grande fatigue », énumère l’officier. Ce sont les objectifs quotidiens de leurs entraînements. Et les objectifs spécifiques de ce stage d’aguerrissement.
Le poids du matériel
8 h 41. La troupe se met en branle. Une soixantaine d’hommes environ. Le chemin s’échappe de la ferme à travers la forêt. Le sentier ne tarde pas à s’élever. Les Gaillards encaissent les premier dénivelés, alors que leur corps est déjà marqué par la marche de la veille et une nuit très courte. Sur le dos, chaque soldat porte en moyenne une vingtaine de kilos. Auxquels s’ajoute le HK 416, le nouveau fusil d’assaut de l’armée française, qui pèse 4 kg. Il faut aussi compter les rations de combat, 4 litres d’eau, le gilet ; et là, les soldats n’ont pas les plaques balistiques, qui pèsent au total une quinzaine de kilos. Les officiers ont également le nouveau pistolet Glock 17 et des petites radio portatives. La tenue, avec un treillis ignifugé, n’a pas la légèreté des dernières technologies des vêtements de randonnée ! Et ce n’est pas le but. Au pied, les Gaillards ont tronqué les traditionnelles rangers pour des Mendel qui s’apparentent à des chaussures de randonnée. Les opérateurs radio ont quant à eux un sac qui dépasse allégrement les 30 kilos. Parfois, ils se l’échangent tant l’effort pour le transporter est conséquent. Les réseaux de solidarité s’organisent, souvent en binôme, quand des soldats marquent le pas. Souvent dans les montées. Surtout quand l’irradiation solaire ralentit la cadence et meurtrit les corps.
La compagnie se meut en file indienne, menée par la 2e section du sergent-chef Matthieu, qui a tracé le chemin du jour. Non loin de la tête, les officiers supérieurs de la compagnie suivent le rythme. Pas tout en avant. Mais jamais loin de la tête. La compagnie progresse dans le cadre d’une mission d’infiltration. Elle doit rejoindre le sanctuaire d’un groupe paramilitaire, les Combattants de Léonie occidentale (CLO), à une vingtaine de kilomètres. Une opération sur les arrières de l’adversaire, pour éviter qu’il ne renforce ses unités qui tiennent le fort des Perches, à Danjoutin, près de Belfort.
Forger la résilience
9 h 43. On marque une pause. La première. « Vous déclenchez un chrono de 5 minutes après l’arrivée du dernier », ordonne le chef Matthieu, alors qu’il consulte ses cartes pour repérer sa trace. Certains se posent. D’autres mangent. Tous s’hydratent. À l’armée, si t’as 1 minute, tu bois. Si t’as 2 minutes, tu manges. Si t’as 5 minutes, tu dors. Récupérer. Gérer l’effort. Se tenir prêt. Toujours.
Mais le rythme de ce début de journée n’est pas du goût de l’encadrement. « Vous êtes inaptes au combat », s’emporte le chef Matthieu, alors que ça traine dans une petite montée. Ça souffle. La pression monte. Le stage d’aguerrissement doit pousser les soldats « dans leurs retranchements », explique le capitaine Julien, à la tête de la compagnie. L’objectif, acquérir de la résilience. Se forger.
Les soldats sont jeunes. Cette dureté, ils doivent l’apprendre. L’apprivoiser. À la pause suivante, le capitaine Yohan passe dans les rangs. Il s’intéresse aux soldats. Les écoute. « Il faut prendre soin de l’homme », insiste celui qui vient d’être promu capitaine. C’est l’impact de l’individu sur la réussite collective. Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin, dit un proverbe africain, bien adapté à cette mission. Surtout, ils sont tous ensemble. Hommes du rang, comme officiers. « On ramasse ensemble », sourit un capitaine pour résumer la situation.
La chaleur assomme
Avec la fatigue accumulée, le chef de file opte pour un chemin « plus roulant ». On va descendre dans le talweg pour rejoindre Bussang, puis Saint-Maurice-sur-Moselle. On rattrape une route. On se met en colonne. Par deux. Et on trace. À 12 h 30, une pluie s’invite dans la chaleur moite. Au cœur du village vosgien se dévoile un abris. Le capitaine Julien ordonne de s’y réfugier. Il donne 15 minutes. Le temps d’avaler un bout. On sort la ration de combat. Ce sera un risotto de porc aux champignons, en ce qui me concerne. On le mangera froid. Pas le temps de sortir le kit pour le réchauffer. Pendant cette pause, à chacun sa technique. Certains en profitent pour dormir, d’autres pour avaler quelques aliments énergétiques et les derniers un vrai repas.
« Remballez tout, ordonne le capitaine Julien. Il est 12 h 48. Sac au dos ! » La route est encore longue jusqu’au plain de la Gentiane, l’objectif de la journée. « Allez, on ne perd pas de temps », interpelle-t-il. La voix est distincte. Le ton, ferme. Le message, clair. Pas besoin d’hurler. Dès qu’il parle, on s’exécute. Comme un seul homme. « 20, départ », annonce-t-il alors, s’adressant ainsi au chef Matthieu, qui continue de mener la danse.
Il est 12 h 56. La compagnie pause le pied sur la voie verte qui relie Bussang à Saint-Maurice-sur-Moselle. Mais elle n’a de verte que le nom ; le goudron fait monter drastiquement la température. On déroule, à un rythme élevé. Le convoi s’étire déjà. Certains marquent le pas. À la pause suivante, à l’ombre d’un hangar de Saint-Maurice-sur-Moselle, la fatigue se fait de plus en plus présente. La chaleur assomme. Mais la difficulté est encore devant nous : 600 mètres de dénivelés positifs jusqu’au sommet du ballon d’Alsace, sur 5 km.
Après la marche, une opération militaire
Dans la montée, chacun y va à son rythme. Mais l’élongation du groupe – la distance qui sépare le premier du dernier – s’accroit constamment tout au long de l’ascension. Le soleil, au zénith, ne pardonne pas. Des signes de malaise se font sentir chez certains. Peu avant 15 h, le capitaine Julien demande une évacuation de quelques Gaillards. « On a de la casse », annonce-t-il par téléphone. Trois soldats seront récupérés par un camion de transport de troupe, un Renault GBC 180, avant de plus s’enfoncer dans la montée du ballon d’Alsace. On ordonne aux hommes de redescendre au croisement du chemin avec la R.D. 465, « point caractéristique Jacques Henry », annonce l’officier par téléphone ; il donne un point de repère géographique, en l’occurrence une stèle en mémoire du pilote de rallye, pour faciliter l’évacuation. Un Gaillard a voulu finir, mais le chef Matthieu a refusé. « On en prend pas de risque », souffle-t-il. On ne joue pas avec la chaleur. On préserve les hommes.
L’ordre transmis, le capitaine Julien demande de faire « le point ». « Qui a de l’eau ? » questionne-t-il. Le moment est au rationnement. On partage. Et surtout on conseille les jeunes sur la manière de s’hydrater. De petites gorgées. Régulièrement. La montée se poursuit. Le rythme est régulier en tête. Au loin se dessinent les courbes du ballon d’Alsace. Après la Jumenterie, on suivra la route du sommet, pour couper ensuite par le domaine des Sapins afin de rejoindre La Gentiane.
18 h 55, l’unité débouche sur la station de ski alpin, après s’être regroupée en amont. Alors que le gros de la troupe file à la zone de bivouac, la 2e section s’isole. « Vous avez 10 minutes pour manger et récupérer », annonce le chef Matthieu. Ensuite, ils se prépareront pour le coup de main. À 200 mètres, ils devront récupérer dans un refuge gardé par des combattants du CLO des renseignements. Avec 25 km et 1 000 m de dénivelés positifs dans les jambes. Après avoir mené la troupe toute la journée. Malgré la fatigue, il faudra faire les bons choix. « Un mauvais choix, on le paie cash », rappelait sans ambages, en début de journée, le commandant Enguerrand. C’est tout l’enjeu de l’aguerrissement : éprouver les corps, garder la tête froide et l’esprit clair. Le lendemain, ils remettront ça.
- Retrouvez l’épisode 2 de cette immersion, lundi 8 août, sur letrois.info. Nous proposons un reportage au cœur d’une mission furtive. L’épisode 3, publié le 15 août, présentera les rations de combat de l’armée française.