En 1990. En 2001. En 2022. Trois évacuations dans l’histoire du festival. Celle-ci restera dans les mémoires. Dans la mienne, en tout cas, de jeune journaliste qui n’avait encore jamais mis un pied aux Eurockéennes dans au Malsaucy. Lancée pour écrire un reportage sur le risque d’orage au camping, c’est détrempée que j’en suis revenue. Témoignage.
1990, 2001. Et maintenant, 2022. Une troisième date s’ajoute aux évacuations exceptionnelles des Eurockéennes. Celle-ci restera dans les mémoires. Dans la mienne, en tout cas, de jeune journaliste qui n’avait encore jamais mis un pied aux Eurockéennes au Malsaucy. Lancée pour écrire un reportage sur le risque d’orage au camping, c’est détrempée que j’en suis revenue. Témoignage.
La surprise, puis le choc. Il est 16 h 31 lorsque je me mets à courir, comme tous les festivaliers, pour trouver un point de refuge au milieu de ce champ, au camping des Eurocks, localisé à Chaux, dans le Territoire de Belfort. Courir, car un rideau gris se dirige à toute vitesse sur nous, amenant pluie et rafales de vent en cascade. L’affolement vient vite : nous sommes trop loin de tout pour nous abriter dans une maison ou un hangar à ce moment-là.
Pourtant, à 16 h 15, tout semble calme, quand je pars interroger les campeurs sur le risque d’orage et l’alerte de Météo France. Le matin même, la préfecture prévenait : « Risque d’orage. Vigilance orange. » Cela n’a pas découragé les 2 500 campeurs qui chargent sur des chariots chips et packs de bières pour assurer le ravitaillement, entre deux rires et deux montages de tente. Et ce, malgré un ciel qui tourne déjà au noir.
Malgré le ciel, personne n’a l’air inquiet. Musique à fond, ils sont nombreux à avoir installé des paquetages robustes, contenant tentes, chaises, tables, parfois tonnelles… Et surtout, glacières ! Certains ont des bottes de pluie, des ponchos: de fins connaisseurs! Torses nus, en maillots de bain, les autres manient les ouvre-bouteilles pour ouvrir les nombreuses bières disposées par terre. J’interroge un groupe d’amis sur la possibilité d’un orage. Ils sont 8. Le plus blagueur, Nathan, se marre : « Eh oh, on n’est pas en sucre ! Au pire, ça remplira mon verre de Ricard. »
Effectivement. Pas le temps de finir la conversation, que sa collègue, Charline, hurle : « Faut ranger le pastis ! »
Une bourrasque. Énorme. Et des cris. Tentes, chaises, bobs, casquettes, tables, lunettes de soleil rien n’échappe au vent. Un horizon : la tonnelle d’accueil, qui n’est pas protégée de chaque côté, mais qui constitue la seule possibilité de repli. Là se dirige, en même temps, une centaine de festivaliers. Un abri de très courte durée: très vite, l’eau s’aplatit sur la tonnelle qui menace de s’écrouler. « Courez ! » hurle une responsable de la sécurité, les traits marqués par la peur.
L’ ambiance est digne d’un scénario apocalyptique ou d’un film sur la fin du monde. Je ne distingue plus mon collègue, qui était pourtant à quelques mètres à côté de moi avant le déluge. L’inquiétude est amplifiée par cette sensation inconfortable de ne plus savoir où aller pour s’abriter, alors que la grêle fouette les mains et les visages. Ce qui marque, à ce moment précis, ce sont les regards, hagards. Personne, même pas les bénévoles de la sécurité, ne savent comment gérer la masse qui court, hurle, pour tenter à ce moment-là de se mettre à l’abri.
Sous une tonnelle plus robuste, quelques mètres plus loin, deux types de comportements se dessinent : ceux qui pleurent, et ceux qui chantent pour garder le moral. Tous ont un point commun : le visage rougi par la pluie et l’émotion, les habits détrempés, les cheveux qui dégoulinent. Entre cette tempête et la suivante, ceux qui chantent lancent un mouvement. Tout le monde se met à danser et chanter. Encore une fois, l’épisode est de courte durée. La seconde bourrasque arrive.
Après la pluie, le beau temps… ou pas
17 h sonne. L’heure de se réfugier dans le hangar au fond du camping. « Une troisième vague arrive », indique gravement un homme chargé de la sécurité du site. « Vite ! » Le ton monte. On ne laisse plus sortir ceux qui sont rentrés dans le hangar. Les bénévoles hurlent, quand les festivaliers font la sourde oreille.
Sur le chemin, des habits parsèment le sol. Ils sont devenus le refuge de grêlons qui n’ont pas encore fondu. Des arbres se sont abattus sur les tentes. « On a failli y passer », souffle un jeune homme en essorant son tee-shirt. Les membres de la sécurité sont abasourdis. En fond, la sirène de l’ambulance retentit. « Il y a pas mal de blessés », entend-on d’une conversation entre deux bénévoles. « Une personne souffre d’un traumatisme crânien », raconte un autre.
Dans le hangar, les esprits s’échauffent : « C’est annulé ou pas ? » hurlent les festivaliers. Depuis le camping, très peu d’informations me parviennent. Mon téléphone n’a plus de batterie et la housse de mon ordinateur est imbibée d’eau. Mes notes aussi, d’ailleurs, pour écrire ce reportage. La sentence retentit dans un ultime cri : oui, la soirée du festival est annulée. Et peut-être même plus que la soirée. Sûrement la journée du vendredi aussi (lire notre article). Une femme arrive, seule et tremblante, avec une couverture de survie. En pleurs elle aussi, elle est accueillie par les bénévoles, qui la prennent dans leurs bras.
Quelques minutes plus tard, l’alerte est levée. Tout le monde est à nouveau dehors. Tout le monde remballe. Direction les voitures, pour ceux qui en ont une. Pour les autres, ni les navettes bus, ni les navettes trains ne circulent. Il faut rentrer à pied. Pour moi, en voiture. Essorant mon sweat, j’engage la 1ère difficilement, avec la peur de m’embourber.
C’était ma première fois aux Eurocks.