Un mannequin est allongé sur une table de ce salon de l’Axone, à Montbéliard. Il est intubé et relié au moniteur d’un respirateur pulmonaire, qui diffuse régulièrement son son strident alertant d’une anomalie. Juste la tête dépasse. Un drap bleu recouvre le reste du torse. Le cage thoracique gonfle. Puis se dégonfle. Régulièrement. Dessous, se dissimule « un simulateur des comportements du poumon », dévoile Ludovic Vitu, maître de conférence mécanique et fabrication à l’UTBM. Son nom ? Lusim. Le drap levé, pas de corps, ni d’organes et encore moins de vaisseaux sanguins. Plutôt des cartes à puces, des fils électriques et des sangles !
Le projet est porté par une poignée d’ingénieurs et d’enseignants-chercheurs de l’UTBM, en collaboration avec l’hôpital nord Franche-Comté. « L’idée remonte au covid », raconte Enric Pol Vilagrasa, l’un des ingénieurs qui planche, sur son temps libre, sur le développement de ce projet, au Crunch Lab de l’UTBM, installé au Techn’Hom.
Au printemps 2020, les patients arrivent en masse à l’hôpital. Les besoins en respirateurs sont criants. Et on rapatrie des soignants qui ne sont pas forcément formés à cet équipement. La situation est délicate. Tendue. C’est ainsi que naît l’idée de développer un simulateur pour former le personnel hospitalier en réanimation à l’utilisation d’un respirateur, alors qu’ils apprenaient auparavant « sur power point », sourient les porteurs du projet. Le premier modèle a été développé en juin 2021, lors d’un autre évènement de l’UTBM dédié à l’innovation : le Crunch Maker camp. Celui présenté ce mercredi 22 mars est déjà beaucoup plus évolué. Il est même déjà utilisé pour former des soignants à l’hôpital Nord Franche-Comté.
Cet équipement « permet de simuler des pathologies pulmonaires graves, évolutives, en service de réanimation », explique Jean-Sébastien Buvat, interne en anesthésie-réanimation, actuellement au CHU de Besançon. Son premier semestre d’Internat, il l’a passé à l’hôpital Nord Franche-Comté, en 2020-2021, au cœur des 2e et 3e vague du covid-19. Aujourd’hui, ce simulateur est l’objet de sa thèse. Il comprend plusieurs modules, notamment autour des alvéoles pulmonaires, simulant la compliance ou encore l’élasticité du poumon. Un 2e module simule, quant à lui, la résistance des voies aériennes. Le dernier prépare même le moment où la personne se mettrait à respirer par elle-même. L’encadrant pilote le simulateur depuis une application et détermine les paramètres. Les fait évoluer. Pour que les soignants s’adaptent et découvrent la machine.
« Pour la société, avec la société »
Deux étages plus bas, 1 600 étudiants planchent sur 142 sujets proposés par des entreprises et des associations de la région. Une quinzaine concerne des problématiques de santé, soit 10 % des sujets traités, dont des questions soulevées par l’association des paralysés de France (APF), l’Adapei 90 ou encore l’union départementale des premiers secours (UDPS). Geoffrey, Grégoire, Aubin, Lucas, Deynis, Pierre et Elliot s’activent les méninges depuis lundi pour « améliorer le confort thermique des mains-courantes des fauteuils roulants ». Un sujet proposé par l’APF, qui va déployer prochainement un Indi’lab au sein du Crunch Lab de l’UTBM. Les étudiants proposent de changer le matériel utilisé, remplaçant le métal par du polymère, moins sensible à la variation de température. Une solution qui se veut déjà économique, pour ne pas surcharger le coût d’achat du fauteuil roulant en proposant une solution chauffante, alors que les usagers sont souvent dans la précarité. Une solution qui implique aussi de réfléchir au traitement du plastique. Et d’anticiper l’acceptation par les usagers.
Un peu plus loin, le président de l’union départementale des premiers secours (UDPS) du Territoire de Belfort, Alexandré Tamé, est venu avec un problème tout autre : celui d’améliorer la formation des secouristes. Lors des exercices, il est confronté à un problème « d’immersion ». Si des « acteurs » simulent les symptômes, on ne simule jamais les constantes relevées. Il veut donc développer un simulateur. Les huit étudiants de l’UTBM proposent de concevoir un boîtier pour le formateur, qui sera capable de communiquer, via Wifi, avec différents simulateurs (thermomètre, oxymètre, glucomètre…). « Ce sont des appareils standards quand on fait des bilans », explique le secouriste. Et le formateur pourra ainsi déterminer les données à transmettre aux appareils ; le stagiaire devra ainsi réagir en conséquence. Le programme informatique est développé en Open source pour que l’outil soit simple à utiliser, reproductible et peu onéreux. « Le dossier est suivi de près par l’association nationale des premiers secours », confie-t-il. L’outil pourrait intéresser les pompiers ou les instituts de soins infirmiers. Sur le stand, Sébastien est en train de maquetter l’un des simulateurs. À côté, devant son écran d’ordinateur qui affiche une succession de lignes de codes, Aubert est en train de tester le programme, développé sur une carte de programmation achetée pour l’occasion. Il résout les soucis les uns après les autres afin qu’il soit prêt à la fin de la semaine. C’est ça le défi : avoir un prototype qui fonctionne vendredi.
Ce prisme santé « est une vraie ouverture pour l’établissement et les étudiants », apprécie Ghislain Montavon, directeur de l’UTBM. « Développer quelque chose n’a de sens que s’il est développé pour la société, avec la société », insiste le directeur. Lors de la crise sanitaire, l’établissement avait déjà montré sa proximité avec la réalité : il avait mobilisé ses outils, notamment le Crunch lab, pour façonner avec des imprimantes 3D des embouts à installer sur des masques de plongée pour protéger les patients de l’hôpital nord Franche-Comté ou encore des visières (relire notre article). Le coeur battant pour l’innovation. Toujours.