Sur les murs de la maison d’arrêt de Belfort, rue des Boucheries, une banderole : « Morts pour la France ». Deux agents pénitentiaires, dans l’Eure, ont été tués dans une attaque qui visait leur fourgon pour libérer Mohamed Ama, détenu de 30 ans. Trois autres ont été blessés. À Belfort, les agents se sont mobilisés à partir de 6h30. La maison d’arrêt suit le mouvement national « des prises mortes ». Sur le parvis, ce mercredi 15 mai, Cathy Soler, déléguée syndicale UFAP explique attendre l’intervention du garde des Seaux, Eric Dupond-Morreti, qui devait recevoir l’intersyndicale de l’administration pénitentiaire au niveau national à 13h. En attendant, la maison d’arrêt est à l’arrêt. Personne n’entre à part le personnel médical. Les agents pénitentiaires n’ont pas le droit de grève. Alors, pour montrer l’ampleur des contestations, les collègues en repos, en vacances, sont venus devant l’établissement. « Les autres aimeraient être là. Mais ne le peuvent pas. » Ils étaient une vingtaine à peu près, ce matin du 15 mai.
Dans cette mobilisation, il y a d’abord la volonté de rendre hommage à leurs collègues. Celle d’avoir une pensée pour leur famille. Par dessus tout, il y a l’amertume. Car cette violence, c’est celle qu’ils vivent eux aussi au compte-goutte. Ce drame délie les langues sur leur réalité. Ce mercredi 15 mai, Cathy Soler, aussi surveillante pénitentiaire considère que le travail d’agent pénitentiaire est devenu « le parent pauvre » des forces de sécurité. Elle travaille à Belfort depuis plus de 20 ans et remarque une très forte dégradation des conditions pour les agents. « La population pénale a changé », raconte-t-elle. Il y a beaucoup de jeunes gens, mais aussi beaucoup de personnes ayant des troubles psychiatriques, qui font preuve d’une violence difficile à contrôler.
Des propos qu’avait soutenu le directeur lors d’une visite surprise du député LFI de la 2nde circonscription du Territoire de Belfort, Florian Chauche, à la maison d’arrêt de Belfort le 18 septembre dernier (lire ici). Il expliquait que l’établissement se retrouvait démunis face à des cas d’agressivité énorme « notamment quand il y a des problèmes psychologiques », expliquant qu’il y en avait de plus en plus. L’infirmière, sur place, exposait d’ailleurs délivrer des anxiolytiques à un détenu sur quatre environ. « Il y a plusieurs individus qui ne devraient pas être là », complétait-t-elle, en raison de leurs troubles psychiques ou psychologiques.
« On ne doit jamais entendre parler de nous »
Coup de boule, agressions, les agents pénitentiaires de Belfort racontent plusieurs cas de violences auxquels ils ne sont pas formés pour faire face. Cela s’ajoute aux problématiques de drogues, endémiques dans la maison d’arrêt de Belfort. Et celles des téléphones qui circulent : « Un puits sans fond », témoigne Cathy Soler.
« On vit en petit ce qu’il y a de pire ailleurs », témoigne encore un agent pénitentiaire, ce qui renforce ce sentiment de colère face aux décès de deux collègues. Tristesse, choc, certains ne souhaitent pas témoigner, ne veulent pas rajouter leurs problématiques face au drame. D’autres saisissent ce moment de médiatisation pour lâcher les vannes. Alors que la société est de plus en plus violente, « nous sommes confrontés de façon encore plus forte à cela dans les prisons », raconte un agent pénitentiaire. Plusieurs d’entre eux témoignent se sentir seuls face à des situations de violences où « on se débrouille », « on arrondit les angles pour éviter les incidents ». Cela passe par de la bienveillance envers les détenus mais aussi par plus de souplesse, « pour éviter les clashs ». Ce qui n’était pas le cas avant. « Un détenu, au bout de 15 minutes à la maison d’arrêt, a blessé un autre détenu. Il venait pour avoir mis quatre coups de couteau à un facteur. Quand il est arrivé, il cherchait toujours son courrier. » Le surveillant pénitentiaire souffle. « Nous ne sommes pas armés. Nous n’avons pas le droit de contorsionner. On a l’impression d’être à la fin de la chaîne. On ne doit jamais entendre parler de nous. Sous peine de sanctions si on fait la grève, par exemple. »
« On leur demande de réussir là où tout le monde a échoué »
Face à cela, le personnel manque, ce qui rajoute de la difficulté encore. Cela engendre des heures supplémentaires : jusqu’à 60 heures par mois, expose la déléguée Cathy Soler. Lors de la visite surprise du député du Territoire de Belfort Florian Chauche, plusieurs agents pénitentiaires s’étaient confiés, entre deux couloirs, sur les conditions difficiles de l’exercice entre manque de personnels et surpopulation. Et ce, même dans une petite maison d’arrêt comme celle de Belfort. Le directeur de l’établissement, Mohamed Messaoui avait aussi ajouté que la maison d’arrêt de Belfort présente un taux d’occupation de plus de 143% en moyenne sur l’année. Un taux qui frôle la moyenne nationale. Selon un rapport de l’Observatoire international des prisons, datant de 2023, les maisons d’arrêt atteignent en France un taux de 146 %.
Sur place, l’ensemble des membres du tribunal sont venus en soutien ce 15 mai. Jessica Vonderscher, procureure de la République du Territoire de Belfort, exprime quelques mots sur ce qu’il s’est déroulé dans l’Eure : « Le drame effroyable qui s’est déroulé montre l’ampleur de la criminalité organisée. On le dénonce tous dans l’administration. Avec les agents pénitentiaires, nous faisons partie du même ministère. Cela aurait pu nous arriver également. Nous sommes de la même chaîne pénale et nous indispensables les uns aux autres. En France, il y a 45 000 agents pénitentiaires. Plus de la moitié des personnels du ministère de la Justice.»
Elle ajoute : « Pour moi, c’est le métier le plus difficile. Entre la surpopulation, les conditions de travails, les établissements parfois insalubres. Aussi parce qu’on leur demande de réussir là où tout le monde a échoué et ce 24h sur 24 et sept jours sur sept et sans aucun moyen pour le faire. » Quant au directeur de l’établissement, Mohamed Messaoudi, il comprend la fatigue des agents face à « un nombre croissant de missions liées notamment à la surpopulation carcérale ». Il explique néanmoins que des formations sont faites régulièrement pour les agents, et que les moyens « suivent et vont suivre ». Devant la maison d’arrêt comme devant le tribunal, une minute de silence a été faite à 11h.