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Belfort : la maison d’arrêt condamnée à vétusté

Le député a pu s'entretenir avec de nombreux détenus en cellule, dont un détenu en quartier d'isolement. | ©Michaël Desprez
Reportage
Le député Florian Chauche (La France insoumise) a réalisé une visite surprise de la maison d’arrêt lundi 18 septembre. Là où les détenus souffrent des locaux vétustes et d’une surpopulation carcérale en moyenne de 143%, les agents eux aussi pâtissent.

« Ça peut aller, mais on n’a pas assez d’air à cause des grilles. À trois, ça fait un peu beaucoup. » Dans cette chaleur encore moite de septembre, la maison d’arrêt de Belfort suffoque. À l’extérieur, pourtant, le mercure n’affiche que 15 °C. Dans cette cellule pour trois personnes, trois lits sont superposés les uns sur les autres. Une serviette sert à camoufler la lumière au plafond, sûrement trop forte. Après quelques minutes d’échanges avec les détenus, le surveillant pénitentiaire referme la lourde porte bleue aux multiples serrures. Avec elle disparaît l’odeur âcre de la cigarette. « Vous venez de rencontrer l’une des personnes qui ne sort jamais de sa cellule », ponctue le directeur de la maison d’arrêt, Mohamed Messaoudi.

Il est 8 h, ce lundi 18 septembre. Le député la France Insoumise (LFI) du Territoire de Belfort, Florian Chauche, pénètre dans la maison d’arrêt de la cité du Lion avec son assistante parlementaire, Mathilde Regnaud. Il vient user de son droit de visite des lieux de privation de liberté, accompagné de journalistes.

Le directeur de l’établissement pénitentiaire ne dissimule pas sa gêne face à l’imprévu. Il reste courtois, souriant et annonce les consignes de sécurité. Sans rechigner, il accepte. Après une bonne demi-heure de mise en place, il accompagne le groupe dans les antres de la prison. Pendant plus de trois heures. « J’ai travaillé dans beaucoup d’établissements », explique-t-il, dont l’établissement de Lons-le-Saunier dans le Jura. Mais c’est la première fois qu’il se voit confier la direction d’un établissement. 

Mohamed Messaoui, directeur de la maison d'arrêt, fait visiter les cellules du quartier de semi-liberté pour commencer. | ©Michaël Desprez

44 détenus, 43 places

La maison d’arrêt belfortaine enferme actuellement 44 détenus. Cela peut paraître peu, mais c’est en fait une personne de trop par rapport à la capacité de l’établissement. Le directeur l’explique : la maison d’arrêt présente un taux d’occupation de plus de 143 % en moyenne sur l’année. Un taux qui frôle la moyenne nationale. Selon un rapport de l’Observatoire international des prisons, datant de 2023, les maisons d’arrêt atteignent en France un taux de 146 %.

Il y a encore une quinzaine de jours, plusieurs détenus n’avaient pas de place en cellule. Ils ont été plusieurs à dormir sur des matelas, à même le sol, relatent le directeur ainsi qu’un agent pénitentiaire. En ce moment, c’est plus ou moins l’accalmie. Mais elle sera de courte durée. « Nous sommes dans la rentrée judiciaire », replace un surveillant pénitentiaire. En d’autres termes, des condamnations sont attendues. L’un d’entre eux tente de voir le positif : « En 2017, c’était bien pire. Il y avait des détenus au sol dans de nombreuses cellules. Ils s’enjambaient littéralement pour aller aux toilettes. »

La visite démarre par les espaces administratifs. Propres, carrelés, peints fraîchement avec des motifs asymétriques, donnant au bâtiment plutôt vétuste un léger air de modernité. Les premières cellules sont dévoilées dans le quartier des détenus en semi-liberté. Dans un couloir, une douche à la vue de tous, cachée par un rideau dérisoire. Cinq portes bleues sont verrouillées. « Ils sont tous sortis, vous pouvez regarder », indique une salariée de l’administration pénitentiaire. 

Par l’ample Juda d’une porte de cellule, le directeur indique qu’il ne faut jamais mettre son oeil trop près. « On pourrait risquer de prendre un coup de fourchette. » Le ton est donné. La cellule dispose d’un lit superposé, d’une petite télévision, d’un lavabo et d’une cabine de toilette. Grâce à un combiné téléphonique accroché au mur, les prisonniers peuvent appeler leurs proches ou leur avocat ; le dispositif est sur écoute. D’après le directeur, la cellule fait 11 m². Une taille supérieure au standard de 9 m². Comme ailleurs en France, la maison d’arrêt ne peut pas respecter la loi française. « Il est impossible d’avoir un seul détenu par cellule », explique un agent de l’administration pénitentiaire.

Dans le quartier de détention, le député demande à ouvrir plusieurs cellules. Les individus incarcérés sont deux, parfois trois, voire quatre. Dans l’une d’elles, un homme se plaint de la chaleur et de ne pas avoir de ventilateur. Le directeur semble mal à l’aise. « Vous devriez en avoir un, répond-il. Faites la demande et on vous l’apporte. » Un peu plus tôt, le directeur détaillait le plan canicule instauré dans les maisons d’arrêt. « Ils ont pu avoir des ventilateurs. Nous avons baissé la température de l’eau pour les douches, ils ont pu en avoir des supplémentaires », indiquait-il également. 

Dans l’une des cellules de quatre personnes, les détenus expliquent que l’été a été particulièrement rude. Ils disposent de plaques de cuisson pour se restaurer. « Mais quand il faisait trop chaud, c’était très difficile de cuisiner. » Des repas sont aussi servis par l’établissement. Mais la plupart préfère se faire à manger. Un plat encore plein de la veille, composé de blé, en témoigne.  

Dans cette cellule, trois lits se superposent les uns les autres. | ©Michaël Desprez

Une heure de promenade par jour

Un étage plus haut, la musique résonne. Dans la maison d’arrêt, des détenus sont en attente de jugement, d’autres sont condamnés et ont une peine qui n’excède pas deux ans. D’autres encore sont en attente d’affection. « Moi, je n’ai rien fait du tout. » Dans la salle de musculation, un homme se défend. « Ils m’ont mis en prison pour rien. » Un autre homme explique : « On ne peut pas dire que les conditions sont bonnes ici, mais tout est fait dans les règles par rapport à d’autres établissements. » Encore un autre fait passer un message au directeur : « Si juste, on pouvait avoir un peu plus de promenades… »

Les détenus ont le droit à une sortie d’une heure dans la journée dans la cour. Une cour sécurisée, grillagée du sol au plafond, qui empêche les lancers d’objets. Sur le grillage en hauteur, briquets, bouteilles, CDs, peignes ou encore rasoirs n’ont pas réussi à pénétrer dans la cour. Les prisonniers peuvent aussi emprunter des livres, à la bibliothèque, s’inscrire à des formations ; il y en a quatre différentes par an, environ. « Moi, la formation m’a beaucoup appris. J’ai appris à écrire. » Dans une salle de classe, deux hommes sont en formation, en train d’apprendre le français. Au tableau, pas une faute d’orthographe après la dictée qu’il vient de réaliser. Des équivalences du Bac et du BTS sont aussi accessibles. Ainsi que des cours de cuisine ou d’informatique, « pour savoir écrire un mail par exemple », explique un formateur. 

Mais il y a également ceux qui restent dans leur cellule toute la journée. Ceux qui ne veulent pas du tout. « Ils n’ont aucune obligation de sortir ou de faire des formations », précise le directeur. « On essaie, mais on ne peut pas non plus les obliger », poursuit-il. 

CD, rasoirs, briquets, bouteilles sont lancés depuis la rue dans la cour. | ©Michaël Desprez

Parloir et trafic

Dans une petite pièce orange, on accède au parloir. Cinq toutes petites cabines ont été installées. « Il n’y a pas vraiment d’intimité », commente le député. Le directeur hausse les épaules. « Nous n’avons pas d’unité de vie familiale, oui. » L’accès à cet endroit est de 45 minutes, une fois par semaine, pour les condamnés. Trois pour les prévenus, en attente de jugement. Les cabines sont surveillées par les agents. « Pas pour écouter ce qu’ils disent, mais parfois cela dégénère. Parfois, les familles se battent. Il faut surveiller. » C’est aussi par ce biais que peuvent rentrer des téléphones ou des stupéfiants, raconte le directeur qui doit faire face à cette difficulté. 

Dans cette petite maison d’arrêt, il n’y a pas de répit de ce côté-là. « Il y a énormément de stupéfiants et de téléphones qui arrivent et qui échappent à notre surveillance. Et ce, malgré les téléphones fixes dans les cabines. » Mohamed Messaoudi explique que les contrôles et fouilles sont extrêmement fréquents. Mais « ils sont extrêmement doués pour cacher les choses ». Il décrit qu’une hiérarchie existe aussi au sein de la maison d’arrêt, avec « des pressions ». Un surveillant pénitentiaire parle d’un système de « racket ». 

Pour mieux encadrer tous les détenus, la maison d’arrêt, comme de nombreuses autres en France, manque de moyens. Le gérant trouve tout de même que depuis qu’il a commencé, dans les années 1990, « la prison n’a jamais été aussi ouverte vers l’extérieur ». Il rappelle que pour lui, la prison doit rester un lieu de privation. « Il faut qu’elle soit humaine, mais qu’elle reste ferme. » 

400 à 500 heures supplémentaires pour les surveillants pénitentiaires

Au travers de cette visite à la maison d’arrêt, plusieurs surveillants pénitentiaires sont présents. Ceux qui discutent avec le député expliquent que les conditions sont difficiles. « Nous avons des problèmes d’effectifs. L’année prochaine, avec les départs en retraite, il va manquer trois personnes. » Ce même agent témoigne faire plus de 400 heures supplémentaires par an. « Ici, nous avons respiré pendant 12, 13 mois, mais cela repart à la hausse. » La surpopulation carcérale crée de plus en plus de tensions pour les agents en poste. Une surpopulation qui est une réalité la plupart de l’année à la maison d’arrêt. « Moi, avec les nouvelles conditions, je vais travailler un week-end sur deux contre un week-end sur trois jusqu’à maintenant. » Il rêve de pouvoir voir d’autres choses, après plusieurs années dans l’établissement. 

Leurs conditions se sont durcies. « Nous sommes parfois démunis face à des cas d’agressivité énorme, notamment quand il y a des problèmes psychologiques. Et comme à l’extérieur, on remarque qu’il y en a de plus en plus ici », témoigne le directeur. L’infirmière délivre des anxiolytiques à un détenu sur quatre, environ. Quand ce ne sont pas des somnifères ou des traitements de substitution pour le sevrage de drogues. « Il y a plusieurs individus qui ne devraient pas être là », complète-t-elle, en raison de leurs troubles psychiques ou psychologiques. 

. « Il y a quelque temps, un agent s’est pris un coup de boule d’un détenu qui sortait de sa cellule », raconte un surveillant. Le directeur de l’établissement se dit conscient des conditions. « C’est un métier stressant qui a besoin d’être mieux reconnu. » Il sait toutes les difficultés que rencontrent les salariés : que ce soit la violence, le manque de moyens ou encore la pression sur leurs épaules. « Ils doivent toujours faire attention, même à l’extérieur. Les détenus savent beaucoup de choses sur eux, jusqu’à la manière dont ils peuvent tenir une clef, par exemple. » Pour la plupart, les gardiens expliquent tout de même que pour être passés par d’autres établissements, la maison d’arrêt de Belfort n’est pas la plus difficile. Ils relativisent, faute de mieux. 

« Est-ce que l’enfermement est la solution ? »

Florian Chauche, député de la 2nd circonscription du Territoire de Belfort, est revenu par téléphone, lundi après-midi, sur sa visite. « Déjà, disons-le, nous sommes loin du club Med à la maison d’arrêt de Belfort que certains présentent. Il faut venir se confronter à la réalité pour le voir. » Cette visite inopinée était l’occasion pour lui de découvrir le milieu carcéral, quelques jours après le rapport de Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, qui dénonce l’inaction du gouvernement. Il a été marqué par la douche dans les couloirs, la promiscuité, la température, l’idée que des matelas puissent être mis au sol dans des cellules déjà si petites. « On a bien vu que dans l’ensemble, les détenues apprécient être à Belfort car c’est une petite structure. Cela questionne d’autant plus sur les autres structures. » Pour lui, cette visite interroge. « Est-ce que l’enferment est la solution ? » Sur ce point, il rejoint les positions de la procureure de la République du Territoire de Belfort qui souhaite que soient multipliés les travaux d’intérêts généraux (lire ici). Après cette mise en lumière des conditions, il compte faire un rapport et des propositions pour améliorer les conditions de vie des détenus, mais aussi celles des agents. « Il y a besoin de revaloriser le métier », conclut-il. 

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