La cour d’assises de la Haute-Saône et du Territoire de Belfort juge à partir de ce lundi l’auteur présumé de l’assassinat de Stéphane Dietrich, survenu à Essert en 1994. Pendant plus de deux décennies, la famille a fait vivre par l’intermédiaire d’une association la mémoire du jeune étudiant de 24 ans et contribué à ce que cette affaire ne soit pas oubliée.
Juillet 1994. Janvier 2019. 25 ans. C’est le temps qui sépare le meurtre de Stéphane Dieterich du procès de son auteur présumé. Un procès programmé aux assises de la Haute-Saône et du Territoire de Belfort et qui se tient à partir de ce lundi, à Vesoul. 25 années. Une éternité. Une période plus longue encore que l’ensemble de la vie de Stéphane Dieterich, mort alors qu’il n’avait que 24 ans.
Le souvenir de Stéphane Dieterich n’a cependant pas attendu le procès pour être vivant. Chaque année, au début de l’été, une semaine avant les Eurockéennes, un rassemblement en mémoire de la victime était organisée par la famille. Plus d’une vingtaine de concerts ont aussi été programmés par son frère pour perpétuer cette mémoire, à Paris ou à Belfort. Pour ne pas oublier. Ces temps de souvenir ont été construits autour d’une association : l’association des amis de Stéphane Dieterich. Elle est née au printemps 1996. Elle honore « un surdoué, quelqu’un qui avait toujours un livre dans la main », se souvient son frère aîné, Sylvain. Mais aussi « une personne qui était dans le partage. »
« Si on ne fait rien, il ne se passe rien »
« En juillet 1994, nous étions des néophytes en matière de justice », rappelle Sylvain Dieterich. « L’objectif était d’honorer sa mémoire et de se donner les moyens de retrouver le(s) auteurs(s) de ce meurtre », confie-t-il. Mais il y a aussi une démarche militante derrière cette association. Car depuis le début de l’affaire, ils ont le désagréable sentiment de ne pas être informés. « Nous avions une volonté de moderniser la justice », poursuit Sylvain Dieterich, qui dénonce le lien distendu avec le juge d’instruction.
Cette association a permis de poursuivre la quête de la vérité, même lorsqu’une ordonnance de non-lieu est prononcée en 2001. Ils font appel de la décision et la motivent par treize points. Pourtant, cette décision de justice est confirmée par un arrêt de la cour de cassation en 2003. Mais en attendant, ils ont gagné du temps. Un précieux temps attaché au délai de prescription, l’un des combats de l’association. Aujourd’hui, les délais de prescription pour les crimes sont de 20 ans. À l’époque, ils étaient de 10 ans. Eux réclamaient l’imprescriptibilité.
Pendant deux décennies, Sylvain Dieterich a donc rencontré des hommes politiques, des Gardes des Sceaux, des conseillers de présidents de la République pour raconter son combat et présenter ses requêtes, espérant ainsi relancer l’instruction. Des anonymes, confrontés aux mêmes problèmes, ont rejoint son combat. Mais aussi des célébrités : politiques, acteurs, chanteurs, journalistes, animateurs ou encore sportifs… Autant de personnes qui soutiennent ce projet. « Si on ne fait rien, il ne se passe rien », insiste-t-il.
« C'est digne d'un film d'Alfred Hitchcock »
Un jour, ils sont contactés par Alexandre Chevrier, procureur de la République de Belfort. Il s’intéresse de nouveau à l’affaire. « La justice nous a tendu la main », témoigne Sylvain Dieterich, très reconnaissant à l’égard de ce magistrat. Il regarde le dossier. Des analyses sont relancées sur des scellées non exploitées. Des démarches permises par l’avancée des technologies. Ces éléments permettent de rouvrir l’instruction. Nous sommes en février 2013. Quelques temps seulement avant l’expiration du délai de prescription. « C’est digne d’un film d’Alfred Hitchcock », note Sylvain Dieterich. En parallèle, deux émissions de télévision spécialisées dans les faits divers abordent ce crime non élucidé. On en parle à Belfort. Des témoins se manifestent auprès des enquêteurs. En décembre 2015, Christophe Blind est placé en garde à vue, puis mis en examen pour assassinat.
Depuis 25 ans, la famille Dieterich cohabite avec cet événement. Son père ne connaîtra cependant pas le dénouement. Trois mois après la mort de son fils, il contractait un cancer. « Il s’est battu pendant plus de dix-sept ans », rappelle Sylvain Dieterich, qui n’appréhende pas ce procès, aux côtés de sa maman, avec de la haine, mais « avec la colère de l’incompréhension ». Et il n’attend pas non plus forcément d’explications. « C’est toujours facile de salir la vie de quelqu’un quand il est mort », tance-t-il, conscient des enjeux du procès.
Par les manifestations et les concerts, l’association a mobilisé. Elle a alimenté une flamme pour ne pas baisser les bras. « Je ne pensais pas au procès, mais j’ai toujours su que l’on saurait la vérité », affirme aujourd’hui Sylvain Dieterich, alors que le procès est sur le point de débuter. « Depuis 2015, j’ai reçu plus de 33 000 messages et courriers de soutien », témoigne-t-il. Des soutiens à la mesure du combat colossal qu’ils ont mené. « Nous n’avons jamais lâché. »