Le 1er régiment d’artillerie de Bourogne est le seul régiment français a disposer du lance-roquette unitaire (LRU). Cette arme est en service depuis 2014. Ce lanceur chenillé a été projeté une fois en opération. Dans la reconfiguration actuelle de la typologie des conflits, comme on le voit en Ukraine, le LRU détient un potentiel stratégique incontestable. Portrait.
Le 1er régiment d’artillerie de Bourogne est le seul régiment français a disposer du lance-roquette unitaire (LRU). Cette arme est en service depuis 2014. Ce lanceur chenillé a été projeté une fois en opération. Dans la reconfiguration actuelle de la typologie des conflits, comme on le voit en Ukraine, le LRU détient un potentiel stratégique incontestable. Portrait.
27 tonnes en ordre de combat. 500 chevaux et 8 cylindres sous le capot. 7 mètres de longueur. 3 mètres de largeur. Vitesse maximale, 70 km/h sur route et une autonomie de 500 km. C’est un véritable monstre sur chenille qui se dresse devant les hangars du 1er régiment d’artillerie à Bourogne : le lance-roquette unitaire, communément appelé LRU. En cette après-midi, le caporal Petru Anto poursuit son apprentissage de la conduite de ce lanceur, monté sur un châssis Bradley M 270. « C’est le top », entonne-t-il avec un délicieux accent corse, tout heureux de présenter ce véhicule et d’apprendre à le piloter. À l’instruction, le sergent Aaron, 6 ans de service, dont 3 années comme pilote de LRU. Aujourd’hui, il partage son expérience et guide son élève dans la prise en main de cette arme singulière.
Sur les voies de circulation du régiment, les chenilles crissent sous le frottement métallique. Dans la forêt qui jouxte les quartiers militaires, le soldat de 22 ans va appréhender le véhicule et ses capacités. Dans la cabine ça balance sec dès qu’il met les gaz. Le bruit est assourdissant. Le chenillé avale le terrain. Et pourtant, se dégage un sentiment de relative souplesse. Le char ne subit pas le terrain. Au contraire, il l’absorbe. Une capacité octroyée notamment par la longueur du véhicule. Depuis la tourelle, le paysage défile à grande vitesse. Ça secoue, mais ça ne tape pas. On suit facilement le mouvement du lanceur dans les creux et les virages. Dans les virages, justement, le LRU glisse ; la vitesse de chacune des deux chenilles est adaptée grâce à un calculateur en fonction du braquage donné à la corne – le volant – par le pilote. Les trous d’eau ne sont que des obstacles passés avec facilité. Justement, c’est de cette puissance et de cette facilité qu’il faut se méfier. « Il faut faire attention à ne pas s’emballer », prévient le sergent Aaron. « Cela ne se conduit pas de la même manière [qu’une voiture] », convient le caporal. Le LRU est capable de gravir des pentes de 60 %, de supporter des devers de 40 %, ce qui lui octroie une capacité de déplacement et de franchissement très conséquente. Peu de terrains lui résistent.
Permanence de l’appui d’artillerie
« Nous sommes le seul régiment français à avoir ce lanceur », rappelle le capitaine Jérôme, officier adjoint de la 2e batterie. Le LRU a été livré au Royal Artillerie en 2014. Le régiment dispose de deux types d’artillerie : le LRU et le mortier de 120 mm (lire notre article). À ces feux s’ajoute au régiment la contre-batterie Cobra, un système de localisation de l’artillerie ennemie.
« Le LRU est appelé à être engagé non seulement dans les conflits de “coercition de force”, mais aussi dans un cadre général de “maîtrise de la violence” », précise l’armée de terre dans sa description. Cette arme n’a été projetée qu’une fois sur un théâtre d’opération, au Mali, en 2016. Dans les projections stratégiques actuelles de l’armée, qui prépare des combat de haute intensité impliquant plus d’hommes et de matériels comme on le voit en Ukraine depuis le mois de février, cette arme de précision – contrairement à son ancêtre le lance-roquette multiple (LRM) qui était une arme de saturation – dévoile un potentiel stratégique et tactique certain.
Car au-delà de ses caractéristiques techniques impressionnantes, c’est bien sa force opérationnelle qui en font une pièce de choix. Le LRU, qui embarque jusqu’à 12 roquettes, peut toucher une cible située jusqu’à 70 km, avec une précision de 3 à 5 mètres. On ne l’utilise pas pour un appui aux forces. Le LRU est utilisé pour des « cibles stratégiques », note l’officier. Dans l’artillerie, on appelle cela le feu dans la profondeur. Sa précision permet surtout de limiter les dégâts collatéraux. En fonction des cibles, l’équipage du LRU peut aussi adapter le déclenchement des roquettes : à l’impact, à retardement, ou juste avant de toucher le sol. S’il faut percer un bunker, on retient par exemple la première option. L’impact permettra à la roquette de percer le mur et d’exploser à l’intérieur de la structure, occasionnant plus de dégâts. « [Surtout], une section LRU garantit la permanence de l’appui, 24 heures sur 24, note le capitaine Jérôme. Il est moins vulnérable face aux défenses anti-aériennes. Il peut aussi tirer par tous les temps, qu’il vente, neige ou pleuve ! »
En opération, le LRU est projeté sur le terrain de manière autonome, avec ses trois militaires : le pilote ; le pupitreur, qui assure la communication, la transmission et le tir ; et le chef de pièce. Son autonomie de 500 km lui confère un rayon d’actions important. Il s’enfonce, se dissimule, puis se positionne au point de tir, lorsque sa cible est précisée. Pour le tir, les volets du char sont fermés, la cabine pressurisée et les suspensions du véhicules sont bloquées ; il ne bouge plus du tout, même lors du départ de la roquette, qui est propulsée « comme une fusée », relève le sergent Aaron. En 2 minutes 30, elle atteint sa cible à 70 km, après avoir grimpé jusqu’à une altitude de 22 km. Une fois le tir effectué, le LRU se remet à couvert. Soit il patiente le temps qu’un nouveau tir lui soit affecté, soit il revient au camp de base. Le LRU est blindé, avec un renfort de 25 mm pour la cabine. Il est aussi doté d’une mitrailleuse pour assurer la défense du char si besoin.
Après 20 minutes passées à parcourir les chemins de la forêt située sur le terrain militaire, Petru Anto reprend la route de la base. Le sergent Aaron le guide dans les espaces les plus réduits. Et à raison. Le plus dur à appréhender, « c’est le gabarit », prévient le sous-officier de 24 ans. Et même quand on fait 27 tonnes, une grosse pierre sur le bas-côté pourrait fragiliser facilement les chenilles. Il faut toujours être sur ses gardes. Et se tenir prêt. Si vis pacem, para bellum.