Le Trois –

À l’ère du cyber, le mortier n’a pas encore rendu les armes

Reportage avec un section d'appui mortier du 1er régiment d'artillerie de Bourogne, au camp militaire de Valdahon. Tir réel de mortier de 120 mm.

Le 1er régiment d’artillerie de Bourogne organise jusqu’au 15 octobre la 9e édition de l’exercice militaire interarmes, interarmées et interalliés Royal Black Hawk. 550 militaires participent à cette manœuvre d’envergure. Le Trois a suivi une section d’appui mortier du Royal Artillerie, à l’occasion d’un tir réel au camp militaire de Valdahon (Doubs). Reportage.

Le 1er régiment d’artillerie de Bourogne organise jusqu’au 15 octobre la 9e édition de l’exercice militaire interarmes, interarmées et interalliés Royal Black Hawk. 550 militaires participent à cette manœuvre d’envergure. Le Trois a suivi une section d’appui mortier du Royal Artillerie, à l’occasion d’un tir réel au camp militaire de Valdahon (Doubs). Reportage.

13 h 07, ce jeudi 7 octobre. Une importante détonation résonne depuis le camp militaire de Valdahon (Doubs), qui s’étend sur 3 500 ha. Quelque trente secondes plus tard, une explosion retentit au loin. À plus de 3 km. C’est la première d’une longue série. Plusieurs dizaines d’obus de mortier vont être tirés par cette section d’appui mortier du 1er régiment d’artillerie de Bourogne. En fin de matinée, la section du lieutenant Johan – qui appartient aux Griffons, la 3e batterie du 1er RA – a installé deux mortiers de 120 mm, des pièces d’artillerie de plus de 500 kilos, capables, lorsque la charge de l’obus est au maximum, de toucher une cible à plus de 8 km (retrouvez la fiche technique). Elle participe à l’exercice militaire Royal Black Hawk (lire par ailleurs), « qui simule un combat de haute intensité », rappelle le sous-lieutenant Timothée, officier communication du régiment. Ces conflits impliqueraient plus de ressources humaines et matérielles, mais entraîneraient aussi plus de pertes.

L’état-major de l’armée veut intensifier les entraînements, les complexifier et renforcer les exercices à plusieurs pays, comme le rappelait Le Monde. « Les menaces augmentent, il faut donc être prêt à faire face à ce genre de conflit », glisse le jeune officier. En début de semaine, le général Burkhard, originaire de Delle (notre article) et chef d’état-major de l’armée, a présenté sa doctrine militaire. Si le général veut renforcer la haute intensité, c’est pour être « crédible et cohérent » écrit Le Monde en citant l’officier, tout en notant que l’objectif est « de gagner la guerre avant la guerre ». Des efforts doivent notamment être faits autour de la lutte informationnelle, le renseignement ou sur le cyber. Selon le général, les conflits sont aujourd’hui à comprendre selon le triptyque « compétition-contestation-affrontement » et non plus « paix-crise-guerre ». Les observateurs sont également nombreux à estimer qu’un conflit armé entre États n’est pas impossible, notamment entre les États-Unis et la Chine, comme le théorisait le politologue américain Graham Allison.

Haute intensité

Justement, l’exercice Royal Black Hawk simule l’opposition entre deux armées « régulières » « de forces équivalentes », tant au niveau numérique qu’en capacités opérationnelles et technologiques ; un format de guerre qui s’éloigne des conflits dans lesquels est engagée l’armée française depuis 20 ans en Afghanistan ou au Sahel, où la lutte était plutôt de type anti-insurrectionnelle. D’où l’importance d’insister sur ces exercices à haute intensité.

Dans cette manœuvre, « les rouges ont envahi le Jura Land », raconte le sous-lieutenant Timothée. « Les bleus doivent reprendre le territoire et interviennent sous le mandat de l’Onu », poursuit-il. Seule l’une des deux équipes, les bleus, dispose d’un appui aérien, alors que l’autre, les rouges, dispose d’armes sol-air, capables de détruire des aéronefs.

L’exercice fait intervenir des forces américaines, britanniques, belges et allemandes aux côtés des militaires français, ce que pourrait entraîner une intervention sous mandat onusien ; des Allemands travaillent justement avec les artilleurs français, ce jeudi, depuis un poste d’observation. Camouflés, en contact visuel direct avec la zone ciblée qu’ils observent avec des jumelles dotées de télémètres voire de vision nocturne, ces artilleurs de l’avant sont postés sur une petite butte. Il guette les explosions des obus à 1 200 mètres de leur position. « En France, on ne tire pas si on ne voit pas », rappelle le lieutenant Johan. « Ces militaires sont les yeux et les oreilles des artilleurs », image le sous-lieutenant Timothée. Les observateurs transmettent les coordonnées GPS aux sections de mortier, les artilleurs de l’arrière. Ces derniers traduisent ces données en angle et en direction et répètent leur tir, après avoir réglé la pièce d’artillerie. Le lieutenant Johan dégaine justement sa boussole d’artillerie et cale son œil dedans pour vérifier l’orientation de la pièce.

550 militaires

Cette 9e édition du Royal Black Hawk est d’une envergure jamais vu. 550 militaires participent à la manœuvre, contre près de 400 les autres années. D’importants moyens aériens participent à l’exercice : cinq hélicoptères d’attaque Apache ; deux hélicoptères américains Blackhawk ; deux hélicoptères américains Chinook avec double rotor ; des avions de chasse F-16 belges ; des Mirages 2000 D et des Rafales ; ainsi qu’un Atlantic 2, un avion de patrouille. Côté français, l’armée de terre, l’armée de l’air et de l’espace ainsi que la Marine nationale sont associées à l’exercice. Côté français, on compte notamment des éléments d’une dizaine de régiments, dont le 1er régiment d’artillerie de Bourogne, du 35e régiment d’infanterie de Belfort, du 13e régiment du génie, du 54e régiment d’artillerie, du 2e régiment de Hussards de Haguenau, du 3e régiment de Hussard de Metz ou encore du 68e régiment d’artillerie d’Afrique du camp de La Valbonne. Au cours de l’exercice, les militaires vont notamment prendre d’assaut la citadelle de Belfort, ce lundi 11 octobre.

Les militaires multiplient les tirs à la mi-journée et travaillent le rituel, depuis l’artificier qui prépare l’obus, au pointeur qui oriente la pièce, jusqu’au chargeur-tireur qui doit introduire l’obus dans le canon ; un poste très difficile qui nécessite sang-froid, maîtrise et précision, notamment lorsque la mise à feu est automatique et non pas déclenchée en tirant sur une ficelle (vidéo).

Rustique

Dans cet environnement où l’on parle technologie, cyberattaque ou guerre de l’information, le mortier pourrait faire pâle figure. Et pourtant, après un demi-siècle d’existence dans l’armée française du mortier de 120 mm, son utilité n’est plus à prouver ; il est toujours utilisé, actuellement, au Sahel par exemple. « Avec un mortier, une boussole et des obus, on peut arroser l’ennemi », sourit un militaire de l’exercice. En d’autres termes, aucune technologie n’est nécessaire pour le faire fonctionner. Et même en cas de blackout et de hacking, il est opérationnel.

« C’est un armement rustique qui permet de travailler en mode dégradé », valide le sous-lieutenant Timothée. « C’est aussi une machine qui ne coûte pas chère et qui est robuste », complète le lieutenant Johan. Cet artilleur apprécie « la polyvalence » de l’arme, capable de tirer des obus explosifs, des obus de semonce, des obus infrarouges ou des fumigènes. On peut « préparer » le terrain pour une avancée de l’infanterie, protéger cette même avancée avec des fumigènes ou encore opérer une diversion pour désorienter l’ennemi. « Il ne faut pas non plus sous-estimer l’impact psychologique, ajoute le lieutenant Johan, avec une menace qui vient du ciel et qu’on ne voit pas. » Cette arme est un atout précieux dans les mains de l’officier coordinateur des feux qui déploie sa tactique. Si la pièce pèse plus d’une demi tonne, elle n’en est pas moins mobile. Et est facilement transportable. Le mortier peut être tracté derrière un véhicule blindé mais aussi héliporté rapidement sur les zones de combat. Et sa mise en batterie est tout aussi rapide : « Entre trois et cinq minutes pour être opérationnel », garantit le lieutenant Johan.

Il est 13 h 37. Le lieutenant rassemble les équipes des deux mortiers. Il débriefe les derniers tirs. Et prépare les suivants, alors que deux hélicoptères Apache fendent le ciel, prêts à prendre le relais pour une autre action de feu. Et le jeune officier de rappeler que c’est « la combinaison » de toutes les armes qui fait l’efficacité d’une action militaire. « Seul, on ne sert à rien », prévient-il. L’exercice du Royal Black Hawk sert justement à coordonner toutes ces spécialités. Des spécialités dans lesquelles les sections d’appui mortier continuent de jouer un rôle clé.

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