« Ils ont réussi à me faire aller dans la rue ! » Gilles n’est (vraiment) pas un habitué des cortèges de grève. La première fois qu’il a manifesté, c’était en juin 2019, pour la défense des salariés de General Electric. Ce jeudi 19 janvier, dans la matinée, c’est sa seconde fois. Mais le projet de réforme de la retraite, avec un départ possible à 64 ans, ne passe pas. Dans le cortège belfortain, qui s’est élancé peu après 10 h de la Maison du Peuple en direction de la place d’Armes, ils étaient nombreux dans son cas.
La police a compté 4 000 manifestants et la CGT, 5 380. La CFTC et la CFE-CGC estimaient plutôt le cortège à 8 000 personnes, comparant à de précédents mouvements, dont celui de 2003. En 2019, l’importante manifestation de soutien aux salariés de GE, avec la présence notamment de Jean-Luc Mélenchon, avait rassemblé 5 000 personnes selon la police (notre article). « J’ai rarement vu ça », témoigne Dominique Thiriet, de la CGT et salarié de l’entité nucléaire de General Electric. La grève a notamment été particulièrement suivi dans le monde enseignant. Selon le rectorat, 35,75 % des agents de l’Éducation nationale de Franche-Comté était en grève, un taux légèrement supérieur au taux national. Chez les enseignants du premier degré, le taux était même de 44,48%. Plus de 200 points de rassemblement sont prévus en France ce jeudi, selon l’AFP ; les autorités attendant 550 000 à 750 000 manifestants. Le 5 décembre 2019, au démarrage de la contestation contre le précédent projet de réforme des retraites, la police avait compté 806 000 manifestants en France. Pour la CGT, ils étaient 1,5 million.
Le cortège belfortain était particulièrement long, atteignant la trentaine de minutes entre le début et la fin ; la tête de cortège n’était pas loin de rejoindre la queue du cortège, au pont Carnot, après avoir fait une boucle par le faubourg de France, la gare, la rue Aristide-Briand et le faubourg de Montbéliard.
« Il y a urgence »
En tête de cortège, les syndicats sont unis. Main dans la main. Unsa, Force ouvrière, CFDT, CFTC, CGT, CFE-CGC tiennent la même banderole : « Salaires-emplois-retraites : tous mobilisés ! » « C’est assez rare [cette intersyndicale] », confirme Vladimir Djordjevic, à la tête de l’union départementale de la CFTC ; toutes les organisations syndicales se sont retrouvées pour préparer cette manifestation. « C’est une bonne chose, ajoute-t-il. Et cela dit que le Gouvernement fait une erreur. Il s’entête. » Si les syndicats pouvaient avoir des différences sur la manière de réformer les retraites, ils partagent tous la même opposition sur le recul de l’âge légal de départ à la retraite, de 62 à 64 ans.
« Cette unité salariale témoigne du fort rejet des salariés », ajoute Damien Pagnoncelli, de l’union départementale de la CGT. « Il y a urgence », souligne Olivier Laurent, de la CFE-CGC. « On ne serait pas là aujourd’hui s’il y avait eu un vrai dialogue avant », regrette-t-il. « C’est une loi régressive », renchérit Damien Pagnoncelli. Et qui concerne tous les travailleurs. « Ils ont réussi à faire l’unanimité contre eux », sourit Yves Feurtey, du syndicat Unsa, qui ne comprend pas pourquoi on s’acharne sur cette réforme alors que « la période est déjà très compliquée ».
Manifestation contre la réforme des retraite à #Belfort. Départ du cortège dans quelques minutes. pic.twitter.com/PCqVSNEhMw
— Le Trois (@letrois_info) January 19, 2023
« Comment peut-on décemment demander plus ? »
Non loin de la tête du cortège, Océane et Lucie arborent leur pancarte. Et sont à l’image d’un cortège où les jeunes sont bien présents. Elles sont étudiantes à l’école d’art Gérard-Jacot. En arrivant à l’école ce matin, elles ont discuté avec le directeur qui les informe de la manifestation. Et qui glisse qu’il comprendrait qu’elles y aillent. Elles récupèrent alors des cartons – l’avantage d’être dans une école d’art ! – et laissent parler leur imagination pour dessiner leur pancarte. « Pas envie d’être un squelette à la retraite », scande Lucie, 20 ans. Sa voisine, Océane, 27 ans et en reconversion, est plus philosophe. « Escroquerie : délit, tromperie consistant en l’obtention d’un bien ou la fourniture d’un service au moyen d’une fausse qualité ou de manœuvres frauduleuses. » Le message est clair. Elle a travaillé dans les Ehpad pendant le covid-19. A bossé dans la restauration. Les emplois précaires, elle maîtrise. « Les conditions de travail se durcissent », observe-t-elle. « Comment peut-on décemment demander plus ? » questionne Océane. « On a l’impression qu’ils tirent encore sur un chewing-gum déjà mâché et qui n’a plus de goût ! » Philosophe… et créative. Lucie, pour sa part, « voit ses parents qui galèrent ». Avec une fatigue qui s’accentue. Comment peut-on encore demander plus interroge-t-elle elle aussi.
Plus. Encore plus. Comment faire plus. La question tourne en boucle dans les discussions des manifestants. Et les sorties de parlementaires de la majorité autour des genouillères des carreleurs et des exosquelettes des ouvriers laissent un goût amer. « C’est effrayant, obscène », tance Dominique. Une nouvelle mobilisation est d’ores et déjà envisagée le 31 janvier. La première est une réussite.