
Bastien Faudot, vous venez d’annoncer votre candidature aux élections municipales 2026. Qu’est-ce qui la motive ?
Depuis 10 ans, Belfort, ce sont près de 5 000 habitants en moins, 80 % des jeunes travailleurs entre 18 et 30 ans qui ont des contrats précaires, 40 % des foyers avec des familles monoparentales, une pauvreté qui s’accroit puisque nous sommes passés de 25 % de la population qui vivaient sous le seuil de pauvreté à près de 30 %, des commerces qui ferment les uns après les autres, y compris en centre-ville, 3 000 logements vides, un taux de vacance commerciale qui approche les 20 %, soit plus de 2 fois la moyenne nationale. Et je ne parle pas de la suppression des emplois industriels lors du rachat d’Alstom par General Electric. C’est le constat d’une ville qui connaît un déclin féroce et auquel on doit apporter une réponse politique. Les élections municipales vont décider de quelle équipe, quel projet et quelle orientation vont présider au destin de Belfort pour les six années qui viennent. Il faut changer de braquet.

Autour de quoi se construit votre liste ?
Nous travaillons de façon rapprochée avec le Parti socialiste depuis les élections législatives de juin 2024. Notre rapprochement s’est effectué de façon assez spontanée et instinctive, autour d’un socle de valeurs communes. La gauche ne peut avancer de façon conséquente auprès de la population que si elle marche sur deux jambes. La première, c’est l’exigence républicaine. Et la seconde, c’est le progrès économique, social et environnemental.


Le Parti Socialiste belfortain a manifesté une rupture avec la France Insoumise. Votre liste ne travaillera donc pas avec cette force politique…
C’est le positionnement que nous avons pris depuis le début d’année. Il ne vous a pas échappé qu’il y a un débat autour de la stratégie de radicalisation et de brutalisation pour laquelle a opté l’état-major de la France Insoumise. Nous avons des divergences, notamment sur les sujets qui touchent à la République : nous prônons une République universaliste, laïque et une République dans laquelle nous ne remettons pas en cause les institutions matin, midi et soir. Par exemple, nous ne faisons pas nôtre le slogan « la police tue ». Par ailleurs, il y a aussi des questions de méthode. La purge subie par François Ruffin, Alexis Corbière et Clémentine Autain, au lendemain des législatives 2024, nous a posé beaucoup de questions. Les gens qui émettent un avis différent du grand chef se font liquider. Ce sont les procès de Moscou. Un dernier exemple : l’exclusion des journalistes de l’université d’été des Insoumis.

Localement, au printemps, on a tenté de porter l’héritage du Nouveau Front populaire et de construire une union de la gauche (notre article), autour de la France Insoumise qui a eu un député dans le Territoire de Belfort (2022-2024), Florian Chauche. Pourquoi ne voulez-vous pas rejoindre ce mouvement ?
J’ai toujours été un militant du rassemblement et de l’unité, mais je n’ai jamais été un militant du rassemblement pour le rassemblement. Si nous voulons avoir un minimum de crédit auprès des citoyens et des citoyennes, la moindre des choses est de s’assurer que le rassemblement ait un sens. Si c’est simplement une coalition tactique comme a été le Nouveau Front populaire pour essayer de limiter les dégâts, la démonstration a été faite que cela ne permettait pas de l’emporter. Si les forces de gauche sont arrivées, de façon relative aux élections législatives, en tête des autres forces, elles ne sont pas majoritaires. [Lors des législatives, dans la 2e circonscription du Territoire de Belfort], nous n’avons pas présenté de candidat et toutes les forces de gauche – nous y compris – avons soutenu Florian Chauche. Et il a perdu face au Rassemblement national (RN). Cela illustre l’enquête d’opinion, parue vendredi dernier : aujourd’hui, le front républicain marche plus contre la France insoumise que contre le RN. C’est un renversement politique. Ce serait pure folie que de ne pas en tenir compte. Après, je ne veux pas aller plus loin car, si LFI est un concurrent, ce n’est pas un adversaire, au sens où je l’entends pour le maire sortant (Damien Meslot, NDLR) et pour le Rassemblement national.


Il se profile trois listes à gauche. La vôtre, une est évoquée avec Lutte ouvrière et une dernière autour de La France insoumise et d’autres forces de gauche : les Verts, les Communistes et des citoyens ont signé un document commun au printemps…
(Il coupe). Pour l’heure, le document qu’ils ont signé consiste à appeler à une liste unique de toute la gauche. À ma connaissance, je n’ai pas encore vu d’engagement de ces formations politiques derrière la France insoumise.

Plusieurs listes se profilent tout de même. N’est-ce pas le meilleur moyen de faciliter la réélection de Damien Meslot ou l’arrivée du Rassemblement national ?
Je ne vais pas faire de la politique fiction ! Nous verrons bien combien il y aura de listes à gauche au moment des déclarations de candidatures. En matière électorale – sauf à considérer que les électeurs nous appartiennent – 1 plus 1 ne fait pas 2 à gauche. Une partie de l’électorat de la gauche radicale ne se déplacerait pas si elle devait se mettre derrière une figure de la gauche républicaine ou modérée, parce qu’elle la considère comme un social-traitre. S’il y a une candidature LFI, une partie de l’électorat modéré fera défaut. Au fond, il faut partir du mode de scrutin. Le seuil pour se qualifier au second tour est de 10 % des suffrages exprimés. Il n’y a donc aucun risque pour que la gauche soit absente du second tour. Dès lors, que les différentes sensibilités de gauche présentent leur projet au suffrage des électeurs, c’est aussi une façon de respecter la diversité des sensibilités. Belfort ne va pas être un cas isolé. Des listes insoumises sont annoncées pratiquement partout où des maires de gauche sortant sont candidats. Ma conviction, c’est que les citoyennes et les citoyens de Belfort ont droit à ce débat public. Ils sont souverains. Ils voteront. Nous prendrons nos dispositions les uns et les autres au regard du résultat.

Vous avez déjà travaillé avec la France Insoumise. Aujourd’hui, vous êtes en désaccord. Vous étiez en désaccord en 2020 avec Maude Clavequin, maintenant vous êtes partenaires. Comment garantir aux gens que vous n’êtes pas une girouette ?
(il marque une pause) J’ai des défauts et je les connais. Mais il y a une chose que je supporte assez mal, c’est que l’on puisse remettre en cause la rectitude de mon engagement politique. Je suis engagé et militant de la gauche républicaine depuis avril 2000, quand j’ai pris mon premier engagement politique au côté de Jean-Pierre Chevenement, au Mouvement des citoyens (MDC). Je n’ai jamais fait de tourisme électoral, ni eu de positionnement par intérêt. J’aurais rejoint une grande écurie si j’avais voulu être élu à tout prix. Nous sommes bien obligés de penser les choses en situation et en prenant en compte le contexte. Et parfois, on peut se tromper. C’est la vie. Ma ligne n’a pas changé. Par contre, celle de Jean-Luc Mélenchon, je peux en parler. Je ne suis pas une girouette. Comme le dit Edgard Faure : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. » Jean-Luc Mélenchon représentait, quand il était au Parti socialiste, l’aile la plus républicaine et laïcarde. Aujourd’hui, il a décidé de faire un ciblage assez communautariste, à mille lieux des engagements politiques dans lesquels il s’était engagé initialement.

Quels sont les éléments clés de votre programme ?
Nous allons porter cinq grands thèmes et une grande cause pour le mandat. En premier lieu, Nous allons mettre le cap sur l’emploi, le travail et la production industrielle. L’industrie a fait le génie de Belfort depuis un siècle et demi, dans le secteur de l’énergie et du transport. J’ai toujours contesté le choix de Damien Meslot de développer la logistique et l’hydrogène. La logistique, c’est ce qui consomme le plus de foncier, alors que nous n’en avons plus, et c’est le domaine le moins créateur d’emplois. Sur l’hydrogène, je ne suis pas du tout opposé. C’est une technologie nécessaire au mix énergétique. Mais elle pose des défis technologiques importants. On n’est pas prêt pour l’industrialisation. Il est important que Belfort poursuive l’effort, mais il ne faut pas mettre tous nos œufs dans le même panier.

Vous évoquez aussi les services publics et la sécurité…
Les services publics, c’est le capital de ceux qui n’en ont pas. C’est un enjeu d’aménagement territorial, de la République au coin de la rue. C’est un enjeu en matière d’impartialité, de mobilité, d’accès aux livres et à la culture. Nous ne voulons pas nous contenter de défendre les services publics. Notre ambition, c’est de les développer, notamment en matière d’éducation et de santé. La troisième priorité, c’est la sécurité. Pour l’édifice républicain – je cite Jean-Pierre Chevènement – c’est le socle nécessaire à l’exercice de toutes les libertés. Ce sont nos compatriotes les plus fragiles, qui vivent dans les quartiers les plus difficiles, qui sont concernés tous les jours par l’insécurité. Ce n’est pas la criminalité en permanence au coin de la rue, Belfort n’est pas Chicago, mais nous devons maintenir un cap républicain, selon une logique : la prévention autant que l’on peut et la répression autant qu’il est nécessaire.

Votre quatrième point ?
Une écologie populaire. Nous ne voulons pas opposer les transitions nécessaires – notamment au regard des défis du réchauffement climatique – et les conditions de vie des gens. L’enjeu qui va beaucoup se poser aux collectivités locales, c’est d’abord l’adaptation au réchauffement climatique. Nous n’hésiterons pas à faire des propositions très audacieuses dans ce domaine, mais nous voulons absolument que l’écologie reste un enjeu populaire. Nous devons embarquer la population dans ces combats et ne pas donner le sentiment que nous le faisons contre elle.


Vous vous intéressez enfin au nord Franche-Comté…
C’est le sujet où Damien Meslot a commis les erreurs les plus graves. Nous pensons qu’il faut aller vers un nouvel acte de construction du nord Franche-Comté. Depuis dix ans, Damien Meslot engage une logique de rapport de force avec Montbéliard : la clinique, qui devait se construire à la JonXion ; la fusion des scènes nationales, qui a duré un an ; le dossier du siège du FC Sochaux à Moval, qui a été reçu par les Montbéliardais comme une véritable humiliation ; le transfert du Mittan, qui se fait contre l’accord initial donné aux Montbéliardais au moment de l’implantation de l’hôpital médian. Des reculs ont été engagés dans un certain nombre de domaines. Le pôle métropolitain est une coquille vide. Je pense qu’il est temps d’enterrer la hache de guerre et d’envoyer des signaux forts au pays Montbéliard.

Quelle sera cette grande cause de ce mandat ?
Ce sera la jeunesse ! Je veux parler de l’avenir de Belfort. Si Belfort veut sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouve aujourd’hui, cela passe par la mobilisation de ceux qui seront les forces vives dans les 10, 20 et 30 années qui viennent. Il y a eu un doublement de fréquentation des jeunes au Secours populaire. Certains se trouvent dans des situations de précarité très avancées. Il y a un enjeu considérable en matière de logement, de vitalité culturelle et associative. Nous avons un bassin de vie de 300 000 habitants et une offre universitaire pour 6 500 étudiants. Dijon et Nancy, comparables en termes de population, ont quatre fois plus d’offres étudiantes. Une grande partie de notre jeunesse part pour faire ses études. Les projections de l’Insee en matière de démographie sont très préoccupantes. Si nous continuions sur cette voie, nous devrons, à la fois, prendre en charge davantage de personnes âgées et nous aurons moins de ressources pour le faire. Il y a un effet ciseau. Il faut voir loin et agir dès maintenant.
Le candidat dévoile les premiers visages de sa liste
Pour présenter sa candidature, Bastien Faudot n’est pas venu seul. Autour de lui, les premiers visages de sa future liste donnent un premier éclairage sur la campagne à venir. À ses côtés, Luc Fleury, représentant départemental de Place publique, le parti de Raphaël Glucksmann. Thierry Chipot, passé par le PS puis le MRC avant de s’en éloigner en 2012, est président de la nouvelle association « Tous Belfortains » qui s’occupera de la campagne. Ancien directeur général des services de la mairie de Belfort jusqu’en 2017, il se présente aujourd’hui comme une voix de la « société civile ». Marie-Eve Bélorgey, première secrétaire fédérale du Parti socialiste dans le Territoire de Belfort, est aussi présente dans la liste. À leurs côtés encore, Farida Basbas, élue GRS et adjointe au maire de Frais et Vivien Schwalm, lui aussi issu du PS.
