La gestion du dossier Eau agite Pays de Montbéliard Agglomération. Ou ne serait-ce pas plutôt la gestion de la gestion du dossier qui serait le fond du problème ? Le groupe Indépendants et solidaires dénonce le mépris du débat et sa précipitation.
La gestion du dossier Eau agite Pays de Montbéliard Agglomération (PMA). A tel point que la dernière séance de PMA a été annulée, après que des conseillers ont quitté la réunion. Ou ne serait-ce pas plutôt la gestion de la gestion du dossier qui serait le fond du problème ? Le groupe Indépendants et solidaires dénonce le mépris du débat et sa précipitation. Entretien croisé avec Jean Fried, maire d’Allenjoie et président du groupe Indépendants et solidaires, et Christian Méthot, maire de Meslières, et responsable de la commission eau dans ce groupe.
Où la problématique du dossier Eau à Pays de Montbéliard Agglomération (PMA) se noue-t-elle ? Pourquoi êtes-vous en conflit avec l’exécutif ?
Jean Fried – Avant que nous soyons constitués en groupe (en septembre 2018, ils sont 45 conseillers communautaires sur 112, NDLR), nous avons été interrogés sur ce dossier en mars 2018. On nous a proposé une délibération, conformément à la loi NOTRe, qui imposait à PMA de prendre la compétence eau et assainissement sur les 72 communes au 1er janvier 2020. Ça, nous ne le remettons pas en cause. PMA souhaite assortir cette prise de compétence globale d’une gestion unique du système. Pourtant, en mars 2018, on nous a présentés ce terme gestion unique d’une manière un peu différente. Personnellement, j’ai compris la gestion unique comme le rapprochement entre la gestion de l’eau potable et la gestion de l’assainissement. Cela me semblait légitime. La gestion unique telle que comprise par la gouvernance actuelle, c’est la gestion unique de l’eau et l’assainissement sur l’ensemble de PMA 72 au 1er janvier 2020.
Sans choix, ni débat sur le fait d’avoir une régie ou d’avoir une délégation de service public…
Christian Méthot – Dans la délibération de mars 2018, on évoque différents scénarios à étudier. Dans ces scénarios, il y avait les régies (à autonomie simple ou à autonomie financière), ainsi que les délégations de service public (par affermage ou DSP complète). Il y avait aussi une possible société d’économie mixte à opération unique (Semop). Pour cette dernière, on nous a dit qu’il était trop tard et que les délais n’étaient pas compatibles avec la prise de décision au 1er janvier 2020. Il y avait aussi quelque chose qui aurait pu être intéressant, en lien avec la régie du Grand Belfort. Pas le temps non plus. Cette délibération était un peu ambiguë. Comme nous n’avions pas encore de groupe, nous n’avons pas eu cette réflexion, nous n’avons pas regardé ce qui se faisait ailleurs, au Grand Besançon, à la communauté de communes du Sud Territoire ou au Grand Belfort. Pourtant, nous nous sommes rapidement aperçus [après la constitution du groupe], qu’il y avait d’autres solutions possibles.
Que prônez-vous ?
JF – Nous prônons la transparence complète. Pour l’instant, en dehors de tout dogme, nous prônons l’intégration d’une troisième formule, qui n’est pas présentée, c’est-à-dire une partie en régie, et une autre partie en DSP, comme au Grand Besançon.
Vous demandez aussi de revenir sur la délibération approuvée le 16 mars 2018…
JF – Cette délibération n’incluait pas cette 3e formule. Nous ne pouvons donc pas rester là-dessus. Cette délibération de mars 2018 nous entraîne forcément vers un choix binaire.
CM – Nous sommes dans un entonnoir où il faudra faire un choix entre une régie étudiée par PMA et le choix de la DSP, pour laquelle il y a une consultation de Véolia, de Suez et de la Saur. Ce choix sera fait au mois de décembre, en sachant que l’on a écarté les autres : la Semop, la possibilité de s’associer au Grand Belfort ou de contractualiser une DSP par simple affermage.
Règlementairement, peut-on annuler la délibération ?
JF – On étudie cette piste administrative. Nous demandons à la gouvernance de PMA de reconnaître que la délibération de mars 2018 était incomplète. Nous considérons que la décision votée en mars 2018 n’apportait pas toutes les informations nécessaires pour qu’il y ait une décision individuelle.
Pourrait-il y avoir une démarche judiciaire ?
CM – C’est une possibilité.
JF – Notre était d’esprit n’est pas orienté là-dessus, mais c’est une possibilité dont on ne se privera pas, si nous avons vraiment l’impression qu’il n’y a pas d’évolution au niveau de la gouvernance et que l’on ne veut pas nous entendre. Si l’exécutif ne veut pas réintégrer la proposition et que nous avons l’impression que nous avons été trompés de manière délibérée, à ce moment-là, nous ne nous interdirons pas des recours administratifs.
CM – Nous pouvons considérer comme un oubli ou une méconnaissance cette troisième solution ; volontaire ou involontaire, nous n’allons pas le juger. Par contre, un document rédigé par l’Assemblée des communautés de France, en lien avec Suez, un partenaire privé, précise : « (…) il n’existe aucune obligation légale ou réglementaire imposant aux communautés ou métropoles la mise en place d’un unique mode de gestion sur le territoire. Il apparaît donc possible de maintenir au sein de son périmètre plusieurs modes de gestion, en conciliant par exemple une gestion en régie sur une partie du territoire et une gestion sous la forme d’une ou plusieurs délégations de service public pour la partie restante. » C’est ça que nous demandons.
Comment l’eau s’organise-t-elle dans le périmètre de PMA ?
JF – PMA à 29, c’est une DSP, avec Véolia.
CM – Pour les 43, il y a des régies, il y a des syndicats des eaux, d’autres en DSP… On trouve de tout, notamment pour l’eau. Pour l’assainissement, c’est beaucoup en régie.
À titre personnel, quels avantages voyez-vous à un système mixte ?
CM – On ne se positionne pas pour dire qu’il faut maintenir un système mixte ad vitam aeternam. Nous demandons que cela soit étudié. Nous demandons que l’on se cale sur la fin de la DSP PMA à 29, fin 2022, pour mener à bien cette étude. Il y a un autre élément essentiel, qui a été occulté par PMA : la mise en place du schéma directeur. L’étude vient seulement d’être votée. Quand on fait un schéma directeur, c’est pour analyser l’existant du territoire, connaître les travaux à réaliser et avoir des plans sur plusieurs années. Ce schéma directeur arrive à son terme en 2021. On met donc la charrue avant les bœufs. Pourquoi n’attendons-nous pas ces études ?
À l’occasion du dernier conseil communautaire, le 23 mai, votre groupe a décidé de quitter l’assemblée, entraînant l’annulation de la séance. Une décision réfléchie à la suite d’une suspension de séance… Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
JF – Nous avons fait un courrier à Charles Demouge (président de PMA, NDLR), le 25 avril, où nous lui demandions d’inscrire à l’ordre du jour de ce conseil la question de la délibération du mois de mars 2018. Nous avons attendu très longtemps une réponse de sa part (en date du 21 mai, NDRL). Nous l’avons reçu deux jours avant le conseil avec une fin de non-recevoir en disant que la démocratie s’était déjà exprimée. J’ai donc ramené ce sujet dans ma question préalable de début de conseil. Et il faut laisser à Charles Demouge ses qualités de démocrate ; il m’a laissé m’exprimer et il n’y était pas obligé. Mais c’était important de me laisser parler, car le conseil devait contenir une question que nous avions demandé à être inscrite à l’ordre du jour ; il fallait donc que nous nous exprimions dessus. Y revenant, nous avons fait une déclaration assez forte sur l’eau et sur la gouvernance, c’est-à-dire sur la manière d’évacuer la question… Non seulement il ne l’a pas mis à l’ordre du jour, mais il ne l’a pas non plus confiée à une commission. Ce faisant, il est en décalage avec l’article 39 du règlement intérieur. Quand un groupe pose une question dans les temps, officiellement, il n’y a que deux manières d’y répondre : soit en l’inscrivant à l’ordre du jour, soit en la traitant par la commission ad hoc. Son courrier nous dit que la question n’est ni à l’ordre du jour, ni soumise à une commission. On a voulu lui laisser une dernière chance, en disant : « Tu ne peux pas nous traiter comme ça. »
La réponse de Charles Demouge nous a ensuite fortement froissés. Il a remis en cause notre honnêteté intellectuelle et notre indépendance d’esprit. Il nous repousse vers les défenseurs dogmatiques de la régie et nous dit que nous avançons masqués. Il a remis en cause la charte de bonne conduite qui a prévalu à la naissance de notre groupe : chacun garde son indépendance d’esprit. Le groupe n’est pas une écurie pour 2020 ; nous ne sommes pas un groupe d’opposition à Charles Demouge ; c’est un groupe de travail pour faire avancer l’agglomération sur des gros dossiers.
Ces épisodes mettent en avant la création de votre groupe en septembre 2018…
JF – Ce que je ressens, c’est qu’il y avait une vraie attente des communes rurales et des communes rentrantes. Ce que l’on veut, c’est que chacun comprenne les enjeux et qu’ils soient à-même de décider. Et que l’on ne nous ramène pas à une gestion un petit peu rabougrie, un petit peu politique, un peu binaire, un peu clivée. Nous n’en voulons plus. Il y a un vrai souffle d’oxygène qui émane du groupe. J’ai l’impression que certains ont du mal de prendre en compte ce nouveau schéma. Depuis la création du groupe en septembre 2018, se sont mises en place des commissions thématiques. Depuis, nous nous sommes renseignés, nous avons regardé à nouveau les textes, nous avons regardé les expériences de communautés voisines.
Y-a-t-il une obligation de prendre une décision avant le 1er janvier 2020 ?
JF – C’est ce à quoi on nous incite. Mais ce n’est pas une obligation.
CM – Au départ, dans les délibérations, tout devait être fait au 1er janvier 2020. Maintenant, on parle du 1er mars. Ils se trahissent un peu. La prise de compétences ne veut pas dire gestion unique. On se précipite beaucoup. On veut plier la décision avant les élections. On veut faire porter à la gouvernance actuelle la décision, alors que quelques semaines après, il y aura une nouvelle assemblée qui n’aura peut-être pas la même vision des choses.
PMA a sollicité un cabinet pour étudier toutes les opportunités (délibération de septembre 2018, NDLR)…
CM – Sur les mêmes bases qu’en mars 2018, nous avons approuvé les moyens alloués, 430 000 euros, à un cabinet indépendant pour faire un audit et un état des lieux, afin d’avoir tous les outils nécessaires pour trancher entre une régie et une DSP. Il aurait été mieux de le mettre en place pour étudier toutes les solutions possibles. Jamais, il n’a été abordé les solutions mixtes. On aurait pu penser, quitte à dépenser 430 000 euros, qu’il nous éclaire sur toutes les solutions.