Loéva Claverie
Les rayons du soleil miroitent à la surface de l’étang des Forges. Entre deux jours de pluie, l’accalmie qui passe au-dessus de Belfort en ce mercredi 23 juin est propice aux promenades et à la contemplation. Pour cette dernière, Guillaume Locatelli est d’ailleurs venu équipé. Installé dès 13h30 dans l’observatoire en bois au bord de l’eau, ce passionné des oiseaux, qui les observe tous les jours, a sorti la longue-vue. Posé sur son trépied, l’appareil pointe droit sur l’étang et sur un arbre mort où se regroupent des dizaines de hérons garde-bœufs.
« Très tôt, j’ai voulu mettre des noms sur les oiseaux que je voyais. » Pour cet « ornithologue de passion », tout commence durant son enfance et les escapades en nature avec son grand-père paternel, originaire de la région de Bergame en Italie. Une zone où les oiseaux étaient chassés et capturés avec des filets et des pièges, et où ce savoir se transmettait de génération en génération. « Avant, quand les gens aimaient la nature, ils chassaient. Là-bas, les jeunes apprenaient très tôt à fabriquer des pièges. Quand j’étais gosse, mon grand-père m’emmenait en forêt et il m’a transmis un peu de ces connaissances d’Italie. » Jusqu’au jour où, l’année de ses 11 ans, il capture une mésange charbonnière, dans un piège en trappe destiné à une souris. Une expérience qui a marqué sa vie. « Je ne savais pas ce que c’était et j’ai eu besoin absolument de savoir. »
Capturer en photo
Guillaume Locatelli trouve alors sa réponse dans un des numéros de la revue La Hulotte, donné par son oncle professeur de sciences naturelles. « Je m’en souviendrais toujours, assure-t-il. C’était le numéro 8 qui s’intitulait « Les oiseaux de l’hiver ». Avec lui, je me suis rendu compte qu’il y avait de nombreuses autres espèces d’oiseaux, et l’envie m’a pris de les découvrir et de les identifier. » Un coup de cœur qui s’est poursuivi ensuite avec un abonnement à la revue.
Dans l’observatoire aux allures de cabane dans les arbres, ces confidences sur sa passion se font au gré du va-et-vient des oiseaux. À plusieurs reprises, Guillaume Locatelli s’interrompt soudainement pour pointer une espèce et braquer sa longue-vue dessus. « Quand on est gamin, on aime bien capturer, reprend-il. On attrape des insectes, on les met dans des boîtes, on les regarde… On se confronte au vivant. Et après on les capture en les prenant en photo. C’est un peu la même chose, parce que par la photo, on s’approprie l’oiseau en quelque sorte. »
Un martin-pêcheur, flèche bleu vif insaisissable, passe à toute vitesse. Deux goélands leucophées traînent autour de poteaux en bois au milieu de l’eau. Une grive musicienne se pose, puis repart aussitôt.
Si son premier oiseau identifié était une mésange charbonnière, l’espèce de mésanges la plus commune, Guillaume Locatelli a aujourd’hui un penchant pour les oiseaux rares. Et il a fait de l’étang des Forges son terrain d’observation principal (découvrir ici 18 espèces à observer à l’étang des Forges). Habitant à Denney et travaillant à Belfort, l’enseignant en primaire de 47 ans passe devant l’étang matins et soirs à vélo. Toujours avec les jumelles dans le sac à dos, il s’arrête « quelques minutes » le matin, un peu plus le soir, et plus longuement les week-ends.

Chasse aux Pokémons
Cette passion et ce dévouement quotidien pour les individus à plumes lui a valu d’observer des espèces rares à l’étang à plusieurs reprises. Comme cette fois-là, il y a un peu moins d’un an, le 13 septembre 2024. « Je me souviens que c’était un vendredi 13. J’ai vu trois cormorans pigmés et c’était la première fois qu’ils étaient observés dans le département », se remémore-il avec le sourire. Pour lui comme pour beaucoup de ses confrères et consœurs passionnées, l’observation relève de la chasse au trésor. « C’est le jeu Pokémon mais dans la vraie vie, rigole-t-il. Avec l’excitation de trouver l’oiseau rare et de l’identifier. »
En face de l’observatoire, les pépiements continus de l’héronnière ajoutent un fond musical à la discussion. « J’aime observer la colonie, l’évolution du nombre d’oiseaux, les nids… », confie ce bénévole de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Depuis une vingtaine d’années qu’il observe l’étang, ce n’est que la deuxième fois qu’il voit cette espèce y nicher. Des observations qu’ils rapportent ensuite sur les applications et sites dédiés au recensement ornithologique, telle que l’application téléphone Naturalist.

Avec les autres espèces plus régulières, un attachement a fini par se créer et au fil des années et des observations, le passionné s’est surpris à attendre certaines espèces. « On les voit arriver puis repartir à la fin de la saison, on prend de leurs nouvelles, on suit l’évolution des jeunes qui grandissent… Il y a un cycle qui s’installe toujours. On sait à quelle date on va retrouver telle espèce. Chaque année, j’attends le premier chant du rossignol. Je sais que je dois tendre l’oreille à partir d’avril. »
Une passion faite de patience, où les retrouvailles vont de pair avec les aurevoirs. Au loin, les cloches de l’église d’Offemont tintent. S’il remballe son matériel à 16h aujourd’hui, il arrive à Guillaume Locatelli de rester jusqu’à la nuit complète. Alors qu’il range sa longue-vue, il s’exclame soudainement dans un rire : « Au fait, la mésange a été libérée. »