Qu’est-ce que l’approche One Health ? Une seule santé ?
L’approche One Health incite à avoir une vision intégrée de la santé. Elle prend en compte le fait que les trois santés – la santé humaine, la santé animale et la santé des écosystèmes – sont liées. Une action qui pourrait avoir un impact négatif sur la santé animale peut aussi avoir un impact négatif sur la santé de l’homme et sur la santé des écosystèmes.
En Inde, on a démontré un lien entre la dégradation de la population de vautours et le recours d’antibiotique dans les élevages. Comment l’explique-t-on ?
En Inde, il n’y a pas d’équarrissage des animaux d’élevage ; ils sont laissés sur place et on fait confiance aux charognards pour nettoyer, comme les vautours. On s’est aperçu que la population de vautours s’effondrait. On a fait le lien avec un médicament donné aux animaux d’élevage : le diclofenac. Il est toxique pour les vautours et les tuait. Les conséquences ? Plus de carcasses qui stagnent et possiblement des pollutions et des transmissions de maladies. Ils ont arrêté d’administrer du diclofenac aux animaux d’élevage. La population de vautours est en train de se reconstituer petit à petit. On voit que tout est lié. La santé humaine dépend de la présence des charognards qui nettoient et la santé de l’écosystème est liée à la manière dont nous nous occupons des animaux d’élevage.
On évoque une multiplication par deux des maladies chroniques environnementales en 15 ans.
En France, la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) a mis en évidence qu’il y avait une augmentation très importante des maladies chroniques. Elles sont liées au vieillissement de la population et au progrès de la médecine ; nous soignons mieux les gens, donc nous avons des malades chroniques qui vivent plus longtemps. On a aussi démontré que cette augmentation importante des maladies chroniques était favorisée par des facteurs environnementaux.
Liées à la qualité de l’air par exemple…
Effectivement. La qualité de l’air, la qualité de l’eau, la pollution intérieure, les polluants chimiques…
Plus nous aurons une dégradation de l’environnement, plus nous aurons une dégradation de la santé humaine derrière ?
La santé humaine est étroitement liée à la santé de l’environnement. L’environnement peut vouloir dire beaucoup de choses différentes. C’est par exemple l’air que nous respirons. Si des activités augmentent la pollution atmosphérique, nous aurons plus de pathologies comme les accidents vasculaires cérébraux (AVC), des infarctus…
Dans l’approche One Health, on pointe du doigt l’excès d’utilisation des antibiotiques. Quel mécanisme permet d’expliquer qu’un excès d’utilisation peut entraîner des problèmes de prise en charge par la suite ?
L’antibiotique, en lui-même, n’est pas un problème. C’est l’excès d’utilisation qui en est un. On peut avoir un excès d’usage dans la santé humaine ; on en parle souvent, avec « les antibiotiques, c’est pas automatique ». Mais il y a aussi les antibiotiques que nous donnons aux animaux d’élevage, en lien avec l’élevage intensif. Les animaux sont plus en lien les uns avec les autres et se transmettent des maladies. On est obligé de les traiter, parfois préventivement, avec des antibiotiques. Ces antibiotiques finissent dans les milieux et sélectionnent les bactéries, qui s’adaptent. Et on finit par avoir de la résistance aux antibiotiques. Il y a un autre paramètre : l’usage des produits désinfectants, qui vont aussi sélectionner les bactéries les plus costaudes. Aujourd’hui, nous arrivons à des situations avec des bactéries résistantes et pour lesquelles nous n’avons plus de traitement antibiotique efficace. C’est une vraie préoccupation et un enjeu important.
La crise covid a-t-elle servi de déclencheur à l’approche One Health ?
L’approche One Health existait déjà avant le covid, mais c’était réservé au milieu scientifique. Le Covid est une zoonose ; elle est liée au contact entre l’homme et l’animal et à la transmission potentielle de maladies. En termes infectieux, les zoonoses sont des menaces sérieuses pour notre santé dans les années à venir.
Comment peut-on limiter le risque ?
Cela dépend du niveau où l’on se positionne. Nous pouvons anticiper et se dire que nous risquons d’être confrontés à une nouvelle zoonose dans les années qui viennent et nous nous préparons à réagir dans les établissements de santé. Dans l’idéal – et c’est ce que nous pousse à faire l’approche One health – il faudrait anticiper, aller voir plus en amont et re-questionner nos activités. C’est ce qui montre très bien le film de Marie-Monique Robin La fabrique des pandémies (le 16 avril, lors de la soirée, une projection du documentaire Vive les microbes ! est proposée, NDLR) : comment le fait d’être en contact direct avec les animaux sauvages ou les animaux d’élevage va favoriser le passage des maladies des animaux jusqu’à l’homme. Il faut repenser ces activités, favoriser le maintien des écosystèmes et préserver la biodiversité pour éviter la survenue de zoonoses.
L’approche One Health bouscule le monde médical parce qu’elle invite à repenser la manière de travailler, très en silos aujourd’hui.
Elle invite à avoir une approche globale. Concernant les professionnels de santé, [One Health invite] à avoir une approche plus globale de son patient, mais aussi une approche du patient dans son environnement. Cela amène à repenser aussi l’impact global de nos activités de soins, pour préserver, malgré tout, l’environnement, ce qui va derrière avoir un impact sur la santé humaine.
L’idée n’est pas d’avoir plein de spécialistes One health, à terme. Mais de savoir se mettre tous autour de la table. Quand on parle du comté, il faut des éleveurs, des vétérinaires, des médecins, des écologues pour essayer d’avoir l’approche la plus vertueuse possible. C’est la même chose au niveau de nos activités de professionnels de santé.
L’approche One Health invite à considérer l’environnement. Avec le réchauffement climatique, on observe dans l’Hexagone des maladies qui n’étaient connues qu’en zones tropicales, comme la dengue. Est-ce que cela implique, pour un médecin, de regarder autrement ?
Quand j’ai fait mes études et qu’on nous parlait de la dengue, du chikungunya, je me sentais assez peu concernée en étant en France métropolitaine. Aujourd’hui, c’est un vrai sujet. Le moustique-tigre (lire notre article) est arrivé dans le nord Franche-Comté. Nous n’avons pas encore de cas de dengues autochtones dans le territoire, mais nous devons y penser.
Vous êtes médecin, chargée de santé environnementale, à l’hôpital Nord Franche-Comté. Votre poste est singulier en France. Pouvez-vous le présenter ?
La santé environnementale n’est pas une spécialité médicale. C’est une discipline, une approche, comme One Health. Mon travail consiste à prendre en compte les liens entre la santé et l’environnement, à l’hôpital. Il y a toute la réflexion liée à la réduction de l’impact de nos activités sur l’environnement. Il y a aussi [des actions qui valorisent et favorisent] tout ce que l’environnement peut apporter à notre santé. L’environnement, ce n’est pas simplement une menace. C’est aussi le préserver et voir comment il peut nous apporter du bien-être et de la santé.
Quel est l’objectif de cette soirée du 16 avril ?
L’objectif de cette soirée est de faire connaître l’approche « une seule santé ». Ces concepts sont parfois difficiles à s’approprier dans la pratique quotidienne. Nous voulons faire découvrir cette culture, cette approche globale aux professionnels.
Du côté des professionnels, l’une des clés de l’approche One Health, c’est le travail en réseau. Mais du côté du grand public, comme puis-je considérer cette approche médicale ? En ne jetant pas mes antibiotiques dans l’évier par exemple ?
One health n’est pas qu’une approche médicale. Dans son quotidien, c’est pensé aux conséquences de ses actes. C’est être responsabilisé en tant que usager des soins, car nous sommes tous, un jour ou l’autre, usager des soins. Ce n’est pas jeté ses médicaments dans son évier, c’est être moins consommateur ou demandeur de médicaments, ou regarder des alternatives. Si on a des douleurs, peut-être que de la kiné ou de l’activité physique peuvent soulager des douleurs sans aller d’emblée vers de la prise de médicament d’emblée. Cela peut aussi être dans d’autres aspects de la vie quotidienne. Si on décide d’avoir un jardin, c’est de penser aux conséquences à long terme de la façon dont on le fait, comme l’usage des pesticides, etc.
Cette dynamique s’inscrit dans un politique de santé régionale. Pourriez-vous l’expliquer ?
Le plan régional de santé-environnement 4 (il associe l’agence régionale de santé et le conseil régional, NDLR) a différents axes prioritaires de travail. Un des axes est complètement dédié à « une seule santé ». À l’hôpital Nord France-Comté, nous portons une des actions qui consiste à intégrer l’approche « une seule santé » dans les pratiques de soins. Cette soirée s’inscrit dans cette action. Dans le cadre du contrat local de santé du nord Franche-Comté, nous avons souhaité mettre en avant le concept « Une seule santé ». Une des actions consiste à favoriser cette culture dans le territoire.
- Mercredi 16 avril : soirée-débat autour de la thématique « Une seule santé ». Table-ronde (programme ci-dessus-, suivie de la projection du documentaire de Marie-Monique Robin, « Vive les microbes ! ». Entrée libre, sur inscription : https://my.weezevent.com/cine-debat-une-seule-sante
