À Anteuil, la société Vipp & Philippe mène un projet associant ruralité et handicap. Autour d’une plateforme de télé-conseil se tisse un projet à la fois économique, social, solidaire et culturel.
À Anteuil, la société Vipp & Philippe mène un projet associant ruralité et handicap. Autour d’une plateforme de télé-conseil se tisse un projet à la fois économique, social, solidaire et culturel. Dans la droite lignée des valeurs portées par la famille Streit, à la tête de la société Delfingen depuis plus de 50 ans.
Il est 10 h 15. C’est l’heure de la pause à la société Vipp & Philippe, installée dans le périmètre de l’équipementier automobile Delfingen, à Anteuil. La cité de 666 habitants, à 30 kilomètres de Montbéliard, accueille une référence mondiale de l’industrie, spécialisée dans les gaines recouvrant les fils électriques. Une dizaine de personnes quitte leur poste de travail pour venir partager un temps de pause, collectif. Depuis le mois de janvier, les salariés œuvrent pour le site de petites annonces Le Bon Coin, qui a externalisé une partie de sa modération. Ils gèrent en moyenne 1 000 mails par jour, voire 1 600 le lundi.
Remettre le pied à l’étrier
Vipp & Philippe est une entreprise adaptée, disposant de deux agréments lui permettant de recevoir des aides. Elle est née d’une rencontre au printemps 2018 entre Bernard Streit, ancien p-dg de Delfingen, et Charles-Emmanuel Bec, président du groupe Vipp, spécialisé dans le traitement des relations clients. Ce fut une fenêtre d’opportunité pour les deux hommes. Le premier cherchait à développer une activité à caractère social au profit des personnes handicapées. En marge de ses activités et de son développement à l’international, le second avait développé un laboratoire, Vipp les 400, recrutant des travailleurs handicapés, mais il n’avait pas eu les agréments. Avec cette rencontre, l’un et l’autre pouvait concrétiser leur projet. « Notre ambition, c’est d’insérer le maximum de personnes en situation de handicap dans des entreprises classiques, avec bienveillance et exigence », remarque Magali Postif, responsable recrutement et formation, pour expliquer la finalité de Vipp & Philippe. « On veut faire de notre région un centre de réinsertion des personnes en situation de handicap », résume-t-elle.
Régulièrement, elle visite les centres de rééducation du Grand Est et présente le projet de réinsertion. Lorsqu’une personne quitte le centre, après un accident de la vie par exemple, on l’accueille à Anteuil. On propose au travailleur un CDD de 24 mois maximum. On le forme au métier de téléconseiller. On lui trouve également un logement dans le secteur – que l’on fait adapter si besoin – et on organise le transport pour qu’il puisse se rendre au travail. Hébergement et transport sont en effet des freins à l’insertion professionnelle.
« Il faut trouver des solutions », remarque Anaïs Denis, responsable administratif et ressources humaines. « Et on s’adapte au handicap des salariés », complète Magali Postif. « Six mois avant la fin de son contrat, une équipe sera constituée autour du travailleur pour lui retrouver un métier dans sa région d’origine », poursuit Magali Postif. Chaque salarié est formé en tutorat, afin de tisser des liens entre les gens et de valoriser le métier.
Un projet de territoire
D’ici 3 à 4 ans, Vipp & Philippe espère employer 150 personnes, dont la moitié serait en CDI et l’autre moitié serait de passage, comme un tremplin, pour se relancer. « Il faut recruter avant d’avoir les besoins », note Johnny Bentz, vice-président de Vipp & Philippe et responsable technique. Car si Le Bon Coin est un premier client, la société compte bien développer son activité. Disposer des solutions et des moyens avant de démarcher est donc primordial. Et elle dispose d’un argument de poids pour démarcher des clients.
Travailler avec Vipp & Philippe permet aux sociétés ne répondant pas aux critères de recrutement de personnes en situation de handicap de diminuer leur pénalité. Un atout qui positionne favorablement la jeune société dans ce marché concurrentiel et fortement externalisé à l’étranger. Pour répondre à l’extension de cette activité, un plan de réaménagement du bâtiment – un ancien hangar de stockage de Delfingen – est en cours de réalisation. Il accueillera des salles pouvant recevoir des groupes de dix salariés. Pas plus. Il sera aussi composé d’espaces de convivialité.
Mais le projet ne s’arrête pas là. Vippe & Philippe est soutenue par l’association Action Philippe Streit (lire par ailleurs), qui conçoit un projet plus vaste autour de l’activité de télé-conseil et qui s’inscrit dans les murs de ce bâtiment de près de 5 000 m2. L’association porte, déjà, le transport des travailleurs depuis leur logement jusqu’à leur lieu de travail. Ensuite, elle va construire prochainement un centre médico-sportif, jouxtant Vipp & Philippe. Il accueillera, en libéral, un médecin et un kiné. Ils seront là pour accompagner les salariés ayant des besoins de rééducation et d’un suivi médical. Mais le centre recevra aussi les patients du territoire. Cet espace disposera d’équipements de sports collectifs et d’une salle de renforcement musculaire. « Pour s’entretenir », sourit Bernard Streit. Une salle de spectacles pouvant recevoir jusqu’à 300 personnes sera également bâtie. C’est donc un véritable projet de territoire qui se noue autour de Vipp & Philippe, piloté par l’association Action Philippe Streit. « L’association n’aurait jamais vu le jour si mes parents ne m’avaient pas sensibilisé à la bienveillance des uns et des autres », confie Bernard Streit, pour expliquer la genèse de son projet. C’est toute une vision de la société qui est résumée dans cette phrase. Et même la vision d’un territoire où résonnent les valeurs de solidarité et de ruralité.
L’héritage éthique et solidaire de Delfingen
Si Delfingen, dont le siège social est à Anteuil (25), est implantée sur quatre continents, c’était pour suivre les constructeurs automobiles. Mais elle n’approuvait pas pour autant d’avoir une main d’œuvre low-cost. En 2007, Delfingen crée donc la fondation Delfingen, autour de trois axes, la santé, l’éducation et l’habitat, à destination des salariés du groupe et de leur famille. Elle a ainsi doté tous ses salariés d’une couverture santé, elle a mis en place de vastes plans de vaccination ou des opérations pour contrôler les yeux. Pour célébrer les 10 ans de la fondation – et au lieu d’organiser une grande fête – les dirigeants ont développé un 4e pilier, autour du handicap. Le handicap a fortement marqué l’histoire de la famille Streit. Le frère aîné de Bernard Streit, Philippe, était handicapé. Il a disparu en 2017. Sa mémoire vit toujours à travers le nom de l’association, Action Philippe Streit, qui soutient la société Vipp & Philippe. À l’époque du lancement de ce projet autour du handicap, 90 personnes de Delfingen ont répondu présent pour se réunir pendant trois jours sur le développement de cet axe. Après 3 jours de réflexion à Anteuil, 70 000 euros sont débloqués et 38 personnes sont aidées. Après avoir légué son poste de p-dg de Delfingen à son fils Gérard, en juin 2018, Bernard Streit a voulu développer une activité à caractère social au profit des personnes handicapées. Ainsi sont nées l’association Action Philippe Streit et la société Vipp & Philippe.