Loéva Claverie
« Les aides sur le logement social et les APL baissent de 4 milliards d’euros par an », dénonce Christophe Robert, de la Fondation pour le logement des défavorisés. Le chiffre a de quoi étonner, surtout au regard de la crise que traverse actuellement le domaine du logement en France. Invité à Belfort par l’antenne locale de Ligue des droits de l’Homme, mercredi 21 mai, le délégué de l’ex-fondation Abbé-Pierre a livré les conclusions du rapport 2024 de la fondation, qui fait état d’une année de « tristes records ».
Les chiffres sont édifiants : 1 français sur 5 est touché par le mal-logement, soit 4,1 millions de personnes. Cela comprend les logements vétustes, suroccupés, mal isolés et les hébergements d’urgence ; mais aussi les personnes sans-abri. 350 000 personnes à la rue ont été recensées en 2024, soit le double d’il y a douze ans. Un bilan que Christophe Robert explique, entre autres choses, par une augmentation très importante du coût du logement depuis une cinquantaine d’années. « Le logement est devenu le premier poste de dépenses des ménages. Cela représente en moyenne à peu près 25 à 30% de leur budget, mais pour beaucoup de ménages, cela peut monter jusqu’à 60 %. »
Coupes rases dans le budget du logement
Si les facteurs de cette augmentation du budget logement des ménages sont multiples, la fondation en a identifié plusieurs prédominants. À commencer par les coupes très importantes depuis 2017 dans le budget de l’État, sur le financement des bailleurs sociaux et les aides pour le logement (APL). Des coupes décidées au plus haut sommet de l’État, pour faire des économies. « J’en ai souvent discuté avec le président de la République, les ministres, les ministres du Logement successifs, relate Christophe Robert. On pourrait partager davantage les richesses du pays, mais le choix a été pris de faire des économies sur le budget du logement. »
Le coût de la vie n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Mais les différentes crises qui ont secoué la planète (covid-19, crise énergétique, inflation) ont été « des coups de butoir » supplémentaires. Le cercle des victimes de la crise du logement s’est ainsi élargi, analyse Christophe Robert.
La réduction du nombre de nouveaux logements sociaux construits chaque année est un autre facteur problématique. 125 000 logements avaient été construits en 2017, contre seulement 80 000 en 2024, ce qui contribue à accentuer les tensions autour du logement social en France. De fait, les demandes actives de logements sociaux sont en hausse en Bourgogne-Franche-Comté, tout comme au niveau national, selon l’Insee. Elles ont augmenté de 20 % en 2021 par rapport à 2015, alors que les attributions ont baissé de 18 %. Le Territoire de Belfort parvient néanmoins à se détacher légèrement de la tendance nationale. Selon l’Insee, il est le département le plus doté, avec 20 % de logements occupés qui sont gérés par un bailleur social, contre 16 % dans l’Hexagone. En 2021, l’Insee recensait 39 900 habitants dans son parc social, dans le Territoire de Belfort, soit près d’un tiers de la population du département.
Une enquête sur les SDF
La direction régionale de l’Insee Bourgogne Franche-Comté a lancé depuis le 31 mars l’enquête intitulée « Sans domicile », afin de « mieux connaître les personnes en grande précarité » et d’estimer leur nombre. Belfort fera l’objet de plusieurs visites des équipes de l’Insee, qui viendront interroger des personnes fréquentant établissements d’hébergement d’urgence, sites de distribution de repas, accueils de jour et services « d’aller-vers ». L’enquête durera jusqu’au 5 juillet 2025.
« On bat des records tous les ans »
Les multiples facteurs de l’augmentation du budget logement ont des conséquences délétères sur de nombreux ménages et les phénomènes d’exclusion par le logement se multiplient dans le pays, pointe le délégué de la fondation pour le logement des défavorisés. « Année après année, il y a une augmentation très forte d’expulsions locatives de gens qui n’arrivent plus à payer leur loyer ou leurs charges, à cause d’un coup dur, d’une perte d’emploi, un problème de santé ou familial, une séparation… On bat des records tous les ans. »
Des situations qui peuvent amener des familles à se retrouver à la rue. « Ces derniers mois, il y a environ 7 000 à 9 000 personnes qui appellent chaque jour le 115 (en France, NDLR) et pour qui nous n’avons pas de solution de logements, se désespère Christophe Robert. Parmi elles, nous estimons qu’il y a environ 2 000 enfants. » À Belfort, les appels au 115 ont permis de recenser dix personnes sans solution de logement, selon Lionel Fromont, directeur de l’antenne locale de l’Armée du salut. Sans compter les personnes qui n’appellent plus. Avec la Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP), ils s’efforcent de ne laisser aucune femme seule et femme avec enfant à la rue, le soir. Actuellement, une quinzaine de personnes sont mises à l’abri dans des logements d’urgence. « L’État nous permet d’avoir des nuitées, de mobiliser en urgence avec des hôtels partenaires, précise Lionel Fromont. Nous avons aussi pris le pli d’avoir des mises à l’abri sur des rythmes de trois ou quatre jours, pour permettre aux populations d’avoir une vraie plage de repos et de répit. »
Le mal-logement abîme les êtres et les corps. Il tue aussi. En 2024, 735 personnes sont mortes dans la rue, le chiffre le plus élevé jamais dénombré par le Collectif Les Morts de la Rue ces douze dernières années.