mis à jour le 26 janvier 2023, à 19h35
Dans le pays de Montbéliard, deux structures sont devenues des symboles des circuits courts. Il y a tout d’abord Place du local, entreprise localisée à Étupes, qui propose via son site internet des livraisons de paniers de producteurs locaux. Ou encore Cœur Paysan, magasin de producteurs basé à Sochaux, qui a fermé définitivement le samedi 21 janvier (lire notre article). Cela a surpris. On évoque des prix trop élevés, une localisation mal choisie, des charges trop importantes, la conjoncture,…
Place du local, à côté, est aussi en mauvaise posture. L’entreprise vit des jours compliqués, confirme le fondateur, Josselin Pradier. Depuis la sortie du confinement, les ventes sont en baisse. Les gens ne viennent plus. Les habitués désertent. Les conséquences sont très importantes pour les producteurs locaux.
Pour Cœur Paysan, ce sont 2 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel potentiel qui sont perdus pour la filière locale. Ces 2 millions d’euros, ce sont les projections de chiffre d’affaires qui avaient été faites par les différents acteurs autour du projet Cœur Paysan. Et qui lui auraient permis de vivre confortablement. Finalement, la structure n’a enregistré que 800 000 euros de chiffre d’affaires par an, confirme le président de Cœur Paysan, François Cisera. Il aurait fallu enregistrer au moins 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires pour faire tenir la structure, avec toutes les charges.
Il confirme que cela va créer un déséquilibre dans les finances de certains producteurs. « C’était quand même un réel débouché pour certains d’entre nous. Comme le projet n’était pas vieux, personne n’avait misé à 100% dessus. Mais c’est évident que cela va avoir des répercussions. » Une source proche du dossier, qui souhaite rester anonyme, évoque qu’une dizaine de producteurs sur la cinquantaine y travaillant seraient mis en grande difficulté à cause de cette fermeture : « Avec les subventions qui ont été mises sur le tapis, les producteurs ne pouvaient que se dire que ça fonctionnerait. Plus de 2 millions d’euros ont été engrangés pour que le projet réussisse, alors cela a amené bon nombre de producteurs à miser dessus. Et finalement, les producteurs n’ont eu que très peu d’avantages. Ils devaient tenir la boutique plusieurs fois par mois, devaient s’assurer des livraisons, étaient responsables de leurs stocks s’ils n’étaient pas achetés par les clients…»
Le président de Cœur paysan, François Cisera, accuse le coup difficilement. Ce projet, il y a beaucoup cru. « On se disait que les gens allaient venir, que le bouche-à-oreille allait aider. Nous avions confiance », confie-t-il. La semaine encore avant la fermeture, il cherchait des solutions avec des opérateurs francs-comtois pour éviter la liquidation. Mais il a fallu dire stop. Par téléphone, il est un peu amer. Il rappelle que les producteurs qui se sont lancés dans ce projet ne sont pas des commerçants. Il regrette de ne pas avoir été plus conseillé par ceux qui ont accompagné le projet. « Nous n’avions pas maitrisé les charges salariales », reconnaît le président de Cœur paysan. Trop d’heures en boutique pour les paysans, magasin bien trop grand pour le peu de clients,… Il énumère les raisons qui ont fait capoter le projet. Le producteur de la ferme de la Garenne, à Soye, essaye de dédramatiser. « Nous aurons appris beaucoup de choses », souffle-t-il.
Sur l’année et demie passée à Sochaux, les clients ne sont pas venus comme escompté. L’association Cœur Paysan attendait 800 clients par semaine. Ils étaient moins de 500 à chaque fois. « Les prix étaient chers. Avec la crise, les gens ont gratté là où ils pouvaient et cela est passé en premier sur l’alimentation. » Il reste optimiste sur l’issue de la filière locale et sur les circuits courts. Il espère que Cœur Paysan pourra se relancer. Dans quelque chose de plus petit, surtout. « Nous sommes une bonne dizaine, voire plus, à avoir envie de nous relancer. »
Place du local aussi en difficulté
À 4 km de Cœur Paysan, à Étupes, Josselin Pradier essaie de rester optimiste sur l’avenir de la filière. Mais lui aussi rencontre de nombreuses difficultés financières. Le fondateur de Place du local est très inquiet. Il emploie désormais 17 salariés sur trois sites : Étupes, Vesoul et Besançon. Il travaille avec plus de 200 agriculteurs et producteurs locaux. Par téléphone, il témoigne : « Je suis encore une jeune boîte. Nous avons commencé en 2016. Je peux me permettre quelques mauvaises années. Mais là, cela fait déjà un an que la situation est très compliquée. » Compliquée, parce qu’il n’a finalement pas eu un financement auquel il pensait avoir droit, mais aussi parce qu’après l’engouement autour des produits locaux pendant les confinements, les ventes sont retombées.
Le problème, c’est que pendant cette montée en puissance, le commerçant a misé fort et vite sur son site internet, pour accompagner la progression des circuits courts. « Pendant le premier confinement, nous avons triplé de volume. Pour répondre présent, nous avons augmenté en capacité et donc en charge. Et puis, en 2021, l’engouement est retombé et les gens sont revenus à ce qu’ils connaissaient : les supermarchés. »
Aujourd’hui, il se retrouve avec un matelas de sécurité moins important. Il réussit tout de même à tenir, car son modèle de développement repose sur un système de pré-commandes avec un flux tendu. Ce qui lui permet de maintenir sa trésorerie. « Mais aujourd’hui, nous n’arrivons plus à progresser », déplore-t-il.
« Depuis le début de la crise, je n’ai augmenté ni mes prix de livraisons, ni les prix des produits. De nombreux produits que je vends sont au même prix qu’en supermarché. Et pourtant, ça ne fonctionne plus correctement. » Il enregistre une baisse de clients de 5% en comparant l’année 2021 et l’année 2019. Il a tenté d’étendre ces zones de livraisons, de proposer de nouveaux produits. Mais cela ne suffit pas.
S’il a encore la foi, il regrette que les circuits courts ne soient pas plus « encouragés ». Contrairement à Cœur Paysan, il n’a pas obtenu de financements ou d’accompagnements tels que le PAT (plan alimentaire territorial) distribué par Pays de Montbéliard Agglomération. Il se sent un peu seul face à ces contraintes. Pour lui, l’échec des circuits courts, ou tout du moins les difficultés rencontrées, sont aussi dus au manque de politiques publiques sur l’alimentation. « Le PAT ne suffit pas. Nous manquons cruellement de communications pour réussir à faire venir les gens et leur faire prendre conscience, les aider, pour qu’ils puissent manger mieux.»
S’il venait à fermer – ce qu’il n’envisage pas pour le moment – ce sont une centaine de producteurs entre le Pays de Montbéliard et le Territoire de Belfort qui se retrouveraient en difficulté. Il jauge à une cinquantaine le nombre d’entre eux (entre les trois sites sur lesquels ils travaillent) qui n’auraient plus de solutions pour écouler leurs productions. « Certains producteurs vivaient grâce à nos deux structures (Place du local et Cœur paysan, ndlr). Ils ont arrêté les marchés, car cela leur suffisait et ils sont déjà en difficulté maintenant sans Cœur paysan. » Il sait que la fermeture de son entreprise entraînerait une déstructuration importante pour les acteurs de la filière dans le pays de Montbéliard. Il continue d’y croire, envisage d’étoffer ses offres. Mais aimerait aussi que les collectivités réagissent face aux difficultés des filières agricoles des circuits courts. « Au-delà du côté mignon sur l’accompagnement des circuits courts, il y a aussi la dimension sanitaire et écologique qui doit être prise en compte.»
« Du cas par cas »
Par téléphone, Florence Delmas, responsable du service d’alimentation de proximité de la chambre d’agriculture interdépartementale du Doubs et du Territoire de Belfort, relativise. « Nous avons toujours autant de projets portés chaque année par de nouvelles personnes. Tous les ans, sur cinq ans, nous avons un nombre constant d’exploitants sur les circuits courts.» Elle relève que le PAT a permis de créer une belle dynamique pour certains agriculteurs. « Cela a été très porteur pour le développement de projet.»
Concernant le pays de Montbéliard, elle ne voit pas de dynamique nette se dessiner, malgré les difficultés rencontrées par Coeur paysan et Place du local. « C’est du cas par cas. Économiquement, on ne constate pas de tendance franche. Cœur paysan a associé beaucoup de difficultés conjoncturelles par exemple.» Elle poursuit : « Sur ce cas précis, on constate qu’un noyau de producteurs rencontre maintenant de grandes difficultés parce qu’ils avaient construit leurs exploitations, les dernières années, en fonction de ce débouché. Et finalement, ils ont rapidement constaté la différence entre leur prévision et la réalité.»
Elle met en relief d’autres projets qui ont démarré au même moment et qui ont réussi à tenir le coup, comme Esprit Paysan, dans le Territoire de Belfort, à Andelnans. « Aujourd’hui, la chambre d’agriculture n’a pas une vision défaitiste des circuits courts. De belles dynamiques se maintiennent.» Elle admet tout de même que la chambre d’agriculture reste très vigilante et suit de près les projets pour éviter une trop importante déstructuration des acteurs de la filière agricole. « Nous restons très vigilants sur le côté économique. La conjoncture et la crise en cours créent de nombreuses incertitudes », conclut-elle. Pas d’inquiétude outre-mesure, donc, selon la chambre, pour les circuits courts. Mais un mot clef : « Prudence. »