Article publié initialement en 2023, dans le hors-série dédié aux entreprises historiques et familiales L’art d’entreprendre en héritage
C’est une symphonie singulière qui résonne dans les étages de l’usine VMC Pêche, dans le cœur de Morvillars (Territoire de Belfort). Le claquement des arbres à cames, qui accordent les outils, rythme la visite et orchestre la production. Chaque poste de travail s’apparente à un orgue de barbarie où se déplie la partition. Derrière les murs de cette entreprise du patrimoine vivant, se dévoile le leader mondial des hameçons triples.
De ce site historique aux hautes baies vitrées, adapté à une production où l’énergie était encore obtenue par la force motrice de l’eau et était organisée verticalement, ont été produits jusqu’à 400 millions d’hameçons en 2021. Soit plus d’un million produits quotidiennement.
L’entreprise a été créée en 1910. La société Viellard-Migeon fabriquait déjà clous, boulons et autres vis. Elle se diversifie en se lançant dans le façonnage d’hameçons. Pour ce faire, Charles Viellard se rend en Angleterre pour acheter les machines nécessaires à cette fabrication. Dans ses bagages, il ramène également dix familles de Redditch (à proximité de Birmingham). Leur rôle ? « Transmettre le savoir-faire tacite, qui ne s’écrit pas », explique Simon Millet, responsable commercial de VMC Pêche. Cette mélodie de la transmission n’a pas quitté l’entreprise depuis un siècle.
À l’ère du numérique, ses outils sont toujours mécaniques. On est très loin de l’industrie 4.0. En revanche, le résultat, lui, évoque la précision horlogère. En témoigne cette opératrice contrôlant, au doigt et à l’œil, la qualité d’hameçons d’une poignée de centimètres. Le mouvement de ses mains suggère la chorégraphie d’un ballet. Le geste juste. Précis. Ordonnancé.
Savoir empirique
Les machines de l’usine sont uniques. Elles ont été façonnées à Morvillars, pour VMC Pêche, par les salariés de VMC Pêche. Dans l’histoire de son process, on n’enregistre pas de sauts technologiques. En revanche, les machines sont continuellement perfectionnées pour s’adapter aux produits, à la production, à la cadence ou encore à la précision commandée. C’est de l’amélioration continue. « Nous sommes sur un savoir très empirique », témoigne Cyrille Viellard, président de VMC Pêche, par ailleurs n°2 du groupe Rapala VMC Corporation*, dans lequel est intégrée l’entreprise. « Récemment, j’ai un salarié, à la retraite depuis une dizaine d’années, qui est encore venu avec une idée d’outillage pour améliorer le process », raconte-t-il, pour souligner cette culture d’entreprise, inscrite dans la vie du village. Il n’est pas rare de croiser dans les allées de l’usine plusieurs générations d’une même famille. « Nous sommes dans un métier de transmission », insiste Cyrille Viellard. Pour améliorer ces machines, cela implique « une très grande maîtrise », glisse-t-il également. Un savoir-faire qui s’acquiert par l’expérience. Et qui est transmis par les salariés, aux salariés. « À VMC Pêche, on vous donne quelque chose. Votre but, c’est de le transmettre », détaille Simon Millet, ancien étudiant de l’école supérieure des technologies et des affaires (Esta), à Belfort.
La richesse de l’entreprise s’inscrit donc dans les mains de ses salariés. Comme de nombreuses industries, VMC Pêche est confrontée aux problèmes de recrutement. Une situation qui « inquiète », convient le président de l’entreprise. Surtout qu’on ne forme plus, aujourd’hui, des opérateurs de maintenance mécanique. Paradoxalement, la fin du moteur thermique peut ouvrir des perspectives. Le savoir-faire mécanique pourra être valorisé dans cette entreprise, indique Cyrille Viellard, qui croit aussi aux vertus de l’apprentissage.
Fiabilité
Si le rythme des outils est cadencé, l’entreprise ne vit pas sur le coup de marteau d’après. Elle cultive le long terme. « Nous ne sommes pas sur les effets de mode. Nous construisons des choses qui contribuent à pérenniser l’entreprise », résume Cyrille Mathieu, le nouveau directeur général, en fonction depuis août 2023. La nomination de ce Montbéliardais à la tête de l’entreprise est un autre exemple de cet apprentissage au long cours cultivé par VMC Pêche. Il a été formé pendant plus d’un quart de siècle avant de succéder à Cyrille Viellard, appelé à de plus hautes responsabilités au sein du groupe Rapala VMC. « J’ai été formé par Christophe Viellard (le père de Cyrille Viellard, NDLR) », confie Cyrille Mathieu, qualifiant l’ancien dirigeant de « mentor ». Une véritable référence qui a placé VMC Pêche sur la carte du monde assure-t-il. C’est lui qui a automatisé la production pour alimenter le marché mondial. « Il m’a fait comprendre la portée mondiale des hameçons, indique le directeur général. Il m’a donné une connaissance exceptionnelle du produit et de l’industrie de l’hameçon. » Aujourd’hui, l’entreprise enregistre un chiffre d’affaires annuel moyen de 14 millions d’euros. Elle vend dans 120 pays. Sa force, c’est sa fiabilité. Les hameçons triples équipent les leurres. « Et la qualité du leurre dépend de l’hameçon », rappelle Simon Millet. Les fabricants ont donc besoin d’un hameçon de très bonne facture pour satisfaire leur client ; leur notoriété est en jeu.
VMC Pêche se doit aussi d’être innovante, pour proposer des hameçons qui répondent toujours mieux aux besoins des pêcheurs et de leurs pratiques. « Faire un hameçon, c’est facile ; en faire un million, identiques, c’est très compliqué », résume Simon Millet. À présent, le dernier fabricant européen d’hameçons fait face à une concurrence chinoise de plus en plus forte. Pendant longtemps, la Chine opérait comme sous-traitant. Aujourd’hui, « elle est de plus en plus affûtée », analyse Cyrille Viellard. Elle développe ses propres produits, soutenue par une croissance forte de son marché intérieur, à l’image de ce que l’on observe dans l’automobile ou la téléphonie.
VMC Pêche peut s’appuyer sur l’expérience industrielle des entreprises de Viellard Migeon & compagnie pour s’adapter à cette nouvelle donne. L’entreprise ne manque pas d’atouts pour relever ces défis, souligne-t-on. « Nous avons une caisse à outils », estime Cyrille Mathieu. Une entreprise qui puise dans son passé une expérience, tout en regardant loin pour continuer d’avancer. « VMC Pêche, ce n’est pas une vieille dame ; c’est une succession de jeunes filles dynamiques », sourit-il. Une entreprise, centenaire, qui conserve la dynamique de ses vingt ans. C’est à lui, aujourd’hui, de donner le nouveau tempo. On lui a transmis. Il le fera avec les futures générations.
- Rapala VMC Groupe est détenu à 40 % par la holding familiale Viellard-Migeon et Compagnie (VMC), ce qui en fait le premier actionnaire. La holding VMC détient aussi, en partie, le groupe Lisi et 100 % de Selectarc. Cyrille Viellard, président de VMC Pêche, est aussi deputy CEO de Rapala VMC Corporation. La holding est présidée par Emmanuel Viellard. Celle-ci fait partie du prestigieux groupe des Henokiens, association qui regroupe les entreprises de plus de 200 ans. L’histoire du groupe remonte à 1796.
