Les données sont éclairantes. Et mettent en valeur ces signaux inquiétants de l’état de santé des dirigeants. Le dispositif Casques bleus Nord Franche-Comté compte 17 bénévoles. En 2022, ils ont traité 43 dossiers. Au 31 mai 2023, déjà une trentaine de dossiers avaient été enregistrés, après un appel des dirigeants ou bien des proches qui alertent. « Le pire, c’est le dernier mois », évoque Yannick Gérome, le secrétaire général de Casques bleus Nord Franche-Comté, où huit dirigeants ont été aidés en une semaine.
Les raisons sont multiples : coût des matières premières ; coût de l’énergie ; inflation ; accès aux financements à court terme ; ou encore remboursement des prêts garantis par l’État, dispositif déclenché lors de la crise sanitaire pour soutenir les entreprises. Ces dernières n’ont pas retrouvé les chiffres d’affaires d’avant covid, remarque Caroline Debouvry, la présidente. L’effet ciseau est alors redoutable. « Les banques sont frileuses et coupent les robinets », constate pour sa part Yannick Gérome. « Ce qui m’interroge aussi, ajoute Caroline Debouvry, c’est que nous avons aujourd’hui des entreprises qui vont bien, mais où les chefs d’entreprise nous appellent car ils ne vont pas bien. » La situation financière de l’entreprise n’est donc plus l’unique variable de la fragilité des dirigeants. « Nous voyons de plus en plus de choses autour des sujets de ressources humaines, que ce soit le manque de personnel ou un problème d’engagement du personnel », observe le secrétaire général.
Côté entreprises, le dispositif accompagne majoritairement des artisans et commerçants, observent Caroline Debouvry et Yannick Gérome. Mais de plus en plus de dirigeants de PME industrielles sollicitent une aide.
Solitude
Le dispositif Casques bleus propose d’être à l’écoute des entrepreneurs. Il « accompagne », soulignent-ils, « mais nous ne prenons pas la décision à la place du dirigeant ». Il définira lui-même le plan de sortie ; les Casques bleus pourront actionner des leviers si besoin. « Nous les rendons le plus lucide possible quant aux décisions à prendre », indique Yannick Gérome. « Nous sommes le pendant des Restos du Cœur pour les entrepreneurs », résume Caroline Debouvry. D’ajouter : « Il faut leur redonner l’envie d’y aller. » Les Casques bleus cherchent surtout « à prévenir le pire et le geste irrémédiable », en rompant la solitude du dirigeant. Cette situation est inquiétante, estime Caroline Debouvry. « Il va falloir que les dirigeants soient formés et informés », alerte-t-elle.
« Notre philosophie n’a pas changé », insiste Yannick Gérome. Il souligne l’importance que les dirigeants ou dirigeantes appellent le plus « en amont » possible. Plus le problème est pris tôt, plus il est facile d’agir dessus. La moitié du boulot, c’est de « l’écoute » rappelle Yannick Gérome. Souvent, le fait de se confier permet même de déclencher la solution. C’est l’effet miroir.
Un message de la ministre
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, a adressé une vidéo de 2 minutes 12 (à retrouver ci-dessus) pour apporter son soutien à ce dispositif singulier, qui doit s’étendre. « Le préfet a ouvert les portes de Bercy », salue Caroline Debouvry. Le dispositif a été présenté aux équipes de la ministre au mois de mai 2023. « C’est un sujet qui lui tient à cœur », apprécie la présidente des Casques bleus. « C’est une vraie reconnaissance. Cela montre la volonté d’essaimage et la nécessité du dispositif », appuie Yannick Gérome.
Si les Casques bleus s’intéressent d’abord à l’entreprise, il s’intéressent aussi ensuite au dirigeant, personnellement. Avec une question clé : « Et vous, comment allez-vous ? » « Cela peut être un autre volet qui éclate au grand jour », observe Yannick Gérome. Et les bénévoles constatent actuellement plus de troubles psychologiques. Pour accompagner les dirigeants dans cette démarche et faire face à cette détresse, le dispositif s’est associé à Apesa, une association de psychologues professionnels. En 2021, Casques bleus a déclenché 5 fois ce dispositif, 12 en 2022 et déjà 10 entre janvier et mai 2023. Le signal est alarmant. S’il est déclenché, Apesa propose cinq séances gratuites. Une formation a aussi été mise en place pour les bénévoles, pour leur donner des clés, les aider à faire la part des choses et « à être serein », rappelle Caroline Debouvry, qui s’est formée dans le domaine de la médiation aux entreprises, pour « savoir agir et réagir ».
Ce dispositif singulier commence à être reconnu nationalement (lire ci-dessus). Il essaime en Côte-d’Or et en Saône-et-Loire. Il est en cours de déploiement dans la Nièvre et le Doubs. Et il est envisagé dans l’Yonne et en Haute-Saône. Des contacts ont aussi été noués en Nouvelle-Aquitaine, en Provence-Alpes-Côte-d’Azur ou encore en Auvergne-Rhône-Alpes. Et Caroline Debouvry de rappeler : « Appelez-nous quand vous êtes perdus ! Il vaut mieux un coup de fil inutile, qu’un coup de fil qui n’arrive pas. »