En Bourgogne-Franche-Comté et notamment dans le nord Franche-Comté, l’emploi intérimaire a chuté plus qu’ailleurs en France. La crise sanitaire et la pénurie de matériaux et de composants a contribué au phénomène. Mais ce n’est pas le seul facteur. Analyse.
En Bourgogne-Franche-Comté et notamment dans le nord Franche-Comté, l’emploi intérimaire a chuté plus qu’ailleurs en France. La crise sanitaire et la pénurie de matériaux et de composants a contribué au phénomène. Mais ce n’est pas le seul facteur. Analyse.
Au 2e trimestre 2021, ce sont 35 200 intérimaires qui sont comptabilisés dans les entreprises de travail temporaire de Bourgogne-Franche-Comté. Un emploi en baisse de 0,9% par rapport au 2e trimestre 2019. Une situation bien différente du niveau national qui, lui, enregistre une hausse de l’emploi intérimaire de 2,4 % sur la même période, avec une reprise de l’activité dans tous les domaines.
Depuis le début de la crise sanitaire, les entreprises sont touchées par une pénurie de matériaux. En septembre, l’usine Stellantis de Sochaux avait été obligée de suspendre son équipe de nuit (lire notre article), à cause de la pénurie de semi-conducteurs. Déjà, de nombreuses séances avaient été annulées depuis le mois de février. En conséquence, ce sont plus de 700 intérimaires qui n’avaient pas été renouvelés à l’issue de leur mission, à la suite de cette décision. Le même mois, Prism’emploi, syndicat unitaire du travail temporaire en Bourgogne-Franche-Comté, publie un communiqué qui analyse la chute de l’emploi intérimaire dans la région : « La crise sanitaire puis le confinement à partir du 17 mars 2020 ont conduit en quelques jours à l’effondrement de l’emploi intérimaire. »
Pour donner une vision plus précise de la baisse, le syndicat unitaire s’est fondé, pour ses comparaisons, sur les données de septembre 2019. En septembre 2021, le travail temporaire dénombre 772 660 emplois (dans la région, NDLR) en équivalent temps plein. Soit 2,8% de moins qu’en septembre 2019. Cela correspond à la destruction de 22 500 emplois temps plein en intérim. « Ce n’est pas aussi désastreux que lors de la crise de 2008, où l’on a mis plus de 5 ans pour revenir à des chiffres normaux. Mais là, le problème, c’est que notre modèle économique est en plein changement et c’est irréversible », analyse Patrick Tuphé.
#Baromètre #emploi intérimaire ↘️ dans toutes les qualifications en #BFC : les cadres et professions intérimaires -5,4 %, les employés -5,5 %, les ouvriers qualifiés -8,4 % et les ouvriers non qualifiés -12,0 %. (juillet 2021 vs juillet 2019) https://t.co/HTd2Lzh2hb
— Prism_BFC (@prism_BFC) September 14, 2021
L’industrie et le BTP arrivent en tête de file des secteurs les plus pénalisés. Les pénuries de matériaux, conséquence de la crise sanitaire, ont provoqué une chute de 4% des postes dans l’industrie et de 12,6% dans le BTP.
Lorsque l’on compare la baisse de l’emploi intérimaire selon les régions, la Bourgogne-Franche-Comté s’impose comme l’une des plus touchées avec plus de 9%. Loin derrière, les taux des autres régions avoisinent (hormis l’Ile-de-France), des baisses de 4,2 % ou moins.
« Cette différence s’explique facilement », expose le président de Prism’emploi. Le Territoire de Belfort et le Doubs sont de très gros bassins industriels. Les usines telles que PSA (Stellantis, ndlr) et l’arrêt brutal de la production ont fait plonger les chiffres. Par rapport à l’année 2019, le Territoire de Belfort et le Doubs ont enregistré des chutes de l’emploi intérimaire de – 26 et – 28% respectivement. »
Variable d’ajustement et chute du modèle économique
Eric Oternaud, conseiller régional chargé de l’économie sociale et solidaire et qui suit la question automobile, explique que « l’emploi intérimaire est extrêmement important en Bourgogne-Franche-Comté. Il représente 5,1% de l’emploi intérimaire en France ». Et si le nombre est si important, c’est qu’il y a peu d’embauches. Une réalité que les syndicats dénoncent régulièrement, rappelle Eric Peultier, délégué syndical Force ouvrière, à Stellantis. La CGT réclame constamment l’embauche de ces intérimaires, mettant en relief les bénéficies de l’entreprise. Les intérimaires sont embauchés puis débauchés par vague. « Aujourd’hui, les intérims sont des grosses nasses. Et le problème de la variable d’ajustement : c’est qu’on ne recrute pas. Lorsqu’il y a une baisse d’activité, les chiffres sont brutaux », analyse Eric Oternaud.
Pour Patrick Tuphé, cela n’a rien d’étonnant : « Aujourd’hui, nous avons accepté d’entrer dans une dynamique d’économie mondialisée. Les modèles sont en train de s’écrouler et il faut repenser les systèmes d’embauche. » La dépendance industrielle française aux pays étrangers forge la dynamique de vagues successives. Un modèle, qui selon le président de Prism’emploi, qui va durer.
« Avec ce modèle, l’embauche en CDI n’est pas viable. Cela fait 40 ans qu’on le dit : le CDI ne correspond pas à la réalité [industrielle]. Les baisses de production font prendre de trop gros risques aux entreprises. » Ce qui explique, que dans le nord Franche-Comté, la part d’intérimaires soit si importante.
Démotivation
Éric Oternaud et Patrick Tuphé s’accordent sur un point : si d’un côté, certaines entreprises ne recrutent plus due à la baisse d’activité, les autres peinent à recruter. « C’est une donnée non négligeable », souligne Patrick Tuphé. « La pandémie a eu de gros effets sur le moral des gens. Le fait qu’ils soient restés à la maison, dans leurs familles, beaucoup ont repensé la manière dont ils voulaient vivre. Et depuis, on peine à trouver des personnes qui souhaitent travailler, en passant par l’intérim, mais pas que. » Une analyse que partagent plusieurs de ses confrères dans des agences intérim, sollicitées par téléphone, mais peu promptes à s’étendre sur le sujet de la dynamique intérimaire.
« C’est un souci sociétal », pointent les deux spécialistes. L’emploi intérimaire rime pour beaucoup avec « précarité », selon Patrick Tuphé. Un facteur qui aggrave l’effet de démotivation rencontré depuis le début de la crise sanitaire.
Le passage à l’électrique menace l’emploi intérimaire
« Avec le passage à l’électrique, nous sommes en permanente mutation », argue Patrick Tuphé. La fin des moteurs thermiques, « maintenant actée », crée une baisse dans l’activité des industriels. « Selon les études que l’on a pu voir, il faudra deux fois moins de personnel pour produire de l’électrique. Et ceux qui prendront en premier, comme toujours, ce sont les intérimaires. » Quant au besoin de personnels formés et qualifiés sur les métiers liés à l’électrique, le président de Prism’emploi déplore : « En France, la formation n’est pas valorisée. Elle devrait être continue (notamment pour permettre aux intérimaires de s’adapter, ndlr). Mais en France, nous avons une formation initiale, puis le chemin est tout tracé. Voilà le modèle français. Qui ne correspond plus du tout aux réalités », regrette le spécialiste.