Par Tangi QUEMENER et Yann SCHREIBER – AFP
Plus de deux ans après le rachat à 5,5 milliards d’euros du canadien Bombardier Transport, le titre du constructeur français a lâché 37,58% par rapport à la clôture de la veille. Ce sont ainsi 3,04 milliards d’euros qui se sont évaporés en 24 heures pour les actionnaires.
La cause de cet effondrement ? Alstom, qui fabrique notamment des tramways et des trains, dont ceux du futur TGV, et s’échine depuis 2021 à digérer Bombardier, a annoncé mercredi soir que son flux de trésorerie disponible (“cash flow libre”) serait largement négatif sur son exercice annuel, de l’ordre de -500 à -750 millions d’euros, alors qu’il avait auparavant promis aux investisseurs que cet indicateur évoluerait en territoire “significativement positif”.
Le flux de trésorerie disponible est un indicateur central pour l’estimation de la valeur d’une entreprise. Il correspond à la différence entre l’excédent de trésorerie d’exploitation et les dépenses d’investissement. Plus il est négatif, plus l’entreprise a besoin de financement pour combler le besoin de trésorerie…
Or au premier semestre de son exercice décalé (clos le 30 septembre), le groupe l’a vu passer dans le rouge, à -1,15 milliard d’euros. “Nous sommes engagés dans une forte montée en puissance, en particulier dans l’activité Matériel roulant, qui, en s’additionnant à des projets hérités du portefeuille passé en phase de finalisation au même moment, pèse sur le cash-flow libre de ce premier semestre”, a expliqué le PDG Henri Poupart-Lafarge, cité dans le communiqué mercredi.
Sur ce flux de trésorerie disponible négatif, la moitié tient à la montée en cadence de la production du constructeur qui a conduit à augmenter fortement les stocks afin d’éviter une rupture des chaînes de production, ce qui consomme du cash. Cela devrait être “totalement résorbé dans les années à venir”, affirme le groupe.
Héritage de Bombardier
Environ un tiers provient du retard pris par la finalisation du programme Aventra de 443 trains destiné au Royaume-Uni, hérité du portefeuille de Bombardier Transport acquis par Alstom début 2021. La finalisation est désormais prévue “au début de l’exercice fiscal 2024-2025”, qui débutera le 1er avril 2024. Le reste est dû à des décalages de programmes qui ont conduit à une “baisse du niveau d’avances reçues au cours du premier semestre” lors de la signature des contrats.
Au second semestre, le flux de trésorerie disponible devrait être positif, compris entre 400 et 650 millions d’euros, a-t-on précisé à Alstom, qui dispose de 3,5 milliards d’euros de liquidités. Cependant, selon les analystes de Stifel, cet avertissement “va immédiatement déclencher des interrogations sur la santé du bilan” du groupe. “On a du mal à comprendre comment les inventaires peuvent augmenter aussi massivement dans un contexte d’amélioration des chaînes d’approvisionnement”, ont-ils estimé, évoquant la possibilité “de problèmes plus importants”. Leurs homologues d’Oddo BHF, tout en reconnaissant que l’écart de trésorerie allait “s’inverser dans le temps”, ont pointé du doigt un avertissement “d’envergure” qui “n’est pas le premier” et qui va selon eux “raviver les craintes” d’une révision à la baisse de la note de l’entreprise par l’agence Moody’s.
Le directeur financier du groupe a tenté de juguler ces appréhensions, affirmant jeudi matin à l’agence Bloomberg “complètement comprendre” la déception des analystes et investisseurs et concédant que l’annonce de mercredi avait constitué un “choc” pour eux.
Selon l’agence, Bernard Delpit s’est dit ouvert à la possibilité de cessions pour améliorer la situation financière du groupe : “S’il y a de bonnes opportunités, j’en discuterai bien sûr avec le conseil d’administration.” Mais il a exclu de recourir à des levées de fonds via par exemple une augmentation du capital. Un tel processus “n’est pas sur la table”, a-t-il assuré.
Au premier semestre, le constructeur ferroviaire a réalisé un chiffre d’affaires de 8,3 milliards d’euros, en hausse de 2,7% (6,5% à périmètre et taux de change constants) et engrangé 8,4 milliards d’euros de nouvelles commandes (-16,8%). Le groupe a confirmé mercredi ses autres prévisions, notamment de croissance organique du chiffre d’affaires, et de marge d’exploitation pour l’ensemble de l’exercice. Il publiera les résultats de son premier semestre le 15 novembre.