En Inde, l’Américain Tata a investi 400 millions d’euros pour construire une usine de fabrication de moteurs à hydrogène à combustion interne. Il vise une production de 4 000 unités par an. L’Anglais JCB a équipé un véhicule utilitaire Mercedes Sprinter de son moteur à hydrogène à combustion interne. En quelques mois, le moteur à combustion interne est revenu sur le devant de la scène, alors que l’Union européenne a validé l’interdiction de la vente des véhicules neufs avec des moteurs thermiques pour 2035. Le principe de ce moteur hydrogène est simple : utiliser le gaz stocké dans un réservoir pour générer une combustion, transformant une énergie chimique en énergie mécanique.
Le moteur à hydrogène à combustion interne « utilise les mêmes technologies mécaniques que le moteur à combustion diesel », explique Bertrand Savatier, en charge de la communication de la société bretonne EHM, installée à Châteaulin (Finistère). Son encombrement est le même. EHM, créée en 2021, développe actuellement un moteur d’une puissance de 265 KW (350 chevaux), destiné à la mobilité lourde ; le moteur s’adresse à des autocars, des bennes à ordure et des poids lourds de 19 tonnes.
Sauvegarder le tissu industriel
La première force de cette technologie, c’est la conversion du parc existant, en plébiscitant une opération de retrofit, qui consiste à remplacer des composants anciens par des composants plus récents, en changeant la technologie, sans modifier la fonction. « On prend le véhicule, on enlève le moteur, on le remplace par le nôtre et on installe un réservoir hydrogène », résume Didier Arenal, le fondateur d’EHM. Des pièces en contact avec l’hydrogène seront changées, en plus du bloc moteur, car ce gaz est particulièrement oxydant. « Il nécessite des matériaux appropriés », indique EHM, qui vient de signer un partenariat avec Transdev pour mener une telle opération de retrofit sur un bus.
Cette solution « peut être appliquée très rapidement sur le marché », valide Vincent Heurtier, responsable des essais chez Danielson Engineering, à Magny-Cours (Nièvre). Le retrofit permet aussi de se faire la main, prolonge-t-il. « C’est une
solution qui pourrait, à court terme, permettre de baisser les émissions », convient également Loïc Combemale, d’Oreca, entreprise historique installée à Magny-Cours (Nièvre), tournée vers le sport automobile. Depuis l’automne 2022, la société développe un moteur 4 cylindres, 2,2 litres, qui vise une puissance de 300 KW, soit plus de 400 chevaux. L’entreprise travaille notamment pour une écurie afin d’engager prochainement une voiture aux 24 Heures du Mans.
« On écoute les porteurs de projet »
Franck Robine, préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté, était présent toute la journée au forum Hydrogen business for climate, à Belfort, ce mardi 3 octobre. En marge de l’inauguration d’une exposition dans les jardins de la préfecture, dédiée à la filière hydrogène, il a confirmé avoir auditionné plusieurs entreprises de la filière, notamment des acteurs travaillant sur ce moteur à combustion interne. « On écoute ces porteurs de projet et on porte les messages à Paris pour ouvrir les portes », confirme Franck Robine. « [Le dossier] est suivi », ajoute Marie-Guite Dufay.
Cette facilité de transformation permet de décarboner beaucoup plus rapidement une flotte, contrairement à un renouvellement à neuf d’un parc. Atout inhérent à cette dynamique : « On ne détruit pas le marché de la mécanique et des garages », relève Didier Arenal, ce qui est non négligeable dans une région comme la Bourgogne-Franche-Comté. « C’est un facteur d’emploi et de transformation de l’emploi dans votre région », confirme l’ingénieur. « Nous avons tous les outils industriels français et européens [pour produire ce moteur] », replace également Vincent Heurtier, soulignant ainsi la souveraineté induite de cette technologie. À Auxerre, la collectivité accompagne la start-up R2H, qui propose aussi un prototype de moteur thermique à hydrogène pour les engins de chantier. Et imagine installé dans son territoire une petite usine de retrofitage. Un secteur sur lequel le nord Franche-Comté peut aussi se positionner compte tenu des équipements industriels attachés à l’automobile qui sont installés dans son territoire.
Ce type de moteur permet, par ailleurs, de ne pas avoir recours à des métaux rares, contrairement aux motorisations électriques. C’est un avantage considérable en termes de coût et de bilan écologique.
Selon EHM, une benne à ordure à hydrogène, avec une technologie pile à combustible, coûte aujourd’hui 800 000 euros, contre 200 000 euros pour une solution de retrofit. Cette dernière est un peu plus chère que le diesel, conviennent-ils, mais c’est notamment lié au coût du réservoir hydrogène. Le principe est aussi beaucoup plus économe, « car on remplace très peu d’éléments ».
« Un très bon rendement »
« Le moteur à combustion à hydrogène a un très bon rendement », indique Vincent Heurtier, pour citer un autre atout de cette technologie. Historiquement, sa société travaille pour de nombreux motoristes. Elle conçoit, produit et réalise. Et aujourd’hui, elle travaille sur plusieurs concepts de moteurs à hydrogène, pour plusieurs clients. Elle travaille selon les demandes et n’a pas d’opinion particulière sur la pertinence d’un moteur par rapport à un autre. Chacun ses caractéristiques. « Nous travaillons sur tous les systèmes », insiste le cadre. Le groupe Danielson dispose d’un bureau d’études, d’une station de calculs assez avancée, d’un bureau des méthodes et même d’une fonderie. Il compte aussi un service d’usinage. Autant d’atouts pour développer les produits.
« Pour nous, le rendement est très important », poursuit Vincent Heurtier. C’est d’autant plus important, que de la masse embarquée dans la voiture dépend la consommation du véhicule. Meilleur est le rendement, moindre est le stock de combustible à embarquer.
C’est l’une des forces du moteur à combustion interne. « La pile à combustible fonctionne très bien dans des conditions très stables et à faible- moyenne charge », compare Loïc Combemale. Dans cette dynamique, le moteur à combustion interne est « plus robuste », souligne Bernard Savatier, glissant la difficulté des piles à combustibles à fonctionner dans les environnements extrêmes, notamment le froid.
En revanche, on reproche souvent à ce moteur les NOx, de l’oxyde d’azote émis lors des combustions. EHM maîtrise justement les températures de combustion, pour éviter l’émission de NOx. « C’est notre innovation », assure Bertrand Savatier. « C’est une affaire de réglages », complète Vincent Heurtier, quand on évoque cette réaction chimique. « C’est un problème qui se traite très bien », assure-t-il.
Autre frein : l’homologation du moteur à la mobilité. Des discussions ont débuté avec l’Utac, un partenaire privé qui travaille pour l’État sur les mises en conformité, confirme EHM, qui envisage une industrialisation de son moteur en 2025. Le timing sera serré pour équiper les véhicules, mais ils adresseront d’abord le marché stationnaire, pour des groupes électrogènes. Dernier frein, comme pour toute la filière hydrogène : le manque de déploiement des infrastructures.
« Dans les trois prochaines années, beaucoup de choses vont se passer autour du moteur à combustion, même d’ici la fin de l’année », pronostique Loïc Combemale. « C’est une opportunité pour la filière », glisse alors Didier Arenal, convaincu, qui précise que de nombreux constructeurs vont bientôt se positionner sur ce développement, et sûrement accélérer son retour.