La route serpente dans la verte campagne haut-saônoise, au nord de Lure, en poussant vers Luxeuil-les-Bains. Un discret chemin s’échappe à droite, dans le virage, pour déboucher, 500 mètres plus loin, au bord de l’étang de la Naubeney, à Esboz-Brest, niché au milieu de la forêt. 2,9 ha de plan d’eau, privé, se dévoilent aux curieux. Derrière un joli ponton en bois se distingue une maisonnette et une charmante cabane en bois, qui permet de se mettre à l’abri s’il fait mauvais temps, tout en appréciant la vue, grâce à une fenêtre panoramique, et en se réchauffant, grâce à un poêle.
En cette première journée d’août, la lumière perce enfin l’épais voile orageux qui a zébré le ciel à la mi-journée. Elle vient se refléter délicatement sur les eaux. Les enfants, gilet de sauvetage sur les épaules, profitent du plan d’eau pour s’initier au paddle. Au milieu du plan d’eau, Mickaël Niclas pêche en float tube. Sur la berge, des cannes sont positionnées. Et régulièrement l’alarme sonne pour informer de la prise d’une carpe. Ça mord bien.
"On achète la tranquillité"
« Je peux la laisser repartir ? » questionne le pêcheur, 39 ans, les pieds dans l’eau ; ici, on pratique le no kill. Il libère une carpe d’une cinquantaine de centimètres dans l’étang qu’il a loué pour la journée avec ses proches, auprès de la plateforme de location Rentalake, un Airbnb des étangs, lancé au mois de juin, depuis la Haute-Saône, par deux Belfortains, Jean-Baptiste Fariney et Hugo Gruss (lire notre article).
« Notre clé d’entrée, c’est l’eau », rappelle Hugo Gruss, pour démarquer Rentalake des autres offres de locations de courte durée. « Les pères pêchent, les enfants font du paddle, les grands-parents lisent un livre sur le ponton », poursuit Jean-Baptiste Fariney, en décrivant les activités de la dizaine de personnes qui ont réservé le lieu, pour un montant de 120 euros. « Tout le monde y trouve son compte », apprécie Mickaël Niclas, qui valide aussi un prix « cohérent ». « Souvent, vous êtes plusieurs, donc ça divise d’autant », commente Benjamin Bourgeot, 33 ans, collègue et compagnon de pêche. « En Haute-Saône, ça nous intéresse bien, avoue Mickaël, car il y a peu de plans d’eau publics et cette année, avec les pluies, les rivières sont difficilement pêchables en float tube. »
Ils ont découvert la plateforme sur les réseaux sociaux grâce aux communautés de pêcheurs. La vidéo de youtubeurs de la pêche a fini de les convaincre de tenter l’expérience. « Vous êtes certains d’être seuls sur le plan d’eau », apprécie Mickaël Niclas, qui réside à 50 minutes du site. « On achète la tranquillité », valide Benjamin Bourgeot. « Ça permet de découvrir des domaines privés auxquels vous n’avez pas accès et de découvrir d’autres endroits en France », poursuivent ces pêcheurs de carnassiers, conquis. « C’est ressourçant », confie Jean-Pierre Niclas, 64 ans, père de Mickaël, venu de la région de Nancy, pour cette journée de retrouvailles, dont l’étang est situé entre leurs deux résidences. « Le matin, quand tu vois la brume qui se lève délicatement de l’étang, que les oiseaux chantent et qu’une biche s’abreuve dans l’étang, c’est magique », raconte Jean-Baptiste Fariney.
Aujourd’hui, la plateforme propose une centaine d’étangs en location, un mois et demi après son lancement, répartis dans toute la France. « Nous sommes capables de tout louer, du grand domaine plutôt destiné aux pêcheurs, aux plus petits, qui correspondent plus à la famille », note Hugo Gruss, qui raconte que l’idée leur est venue alors qu’ils étaient encore sur les bancs du lycée. Les familles des deux créateurs ont des étangs depuis plusieurs générations.
300 annonces d'ici la fin de l'année
Pour certaines offres, il y a des infrastructures, pour d’autres, aucune. Certaines proposent de l’hébergement, d’autres, l’opportunité de camper. Des étangs sont très accessibles, d’autres nécessitent un 4×4 ou une marche d’approche. Depuis le lancement de la plateforme, ce sont plus de 100 réservations qui ont déjà été faites. Sur cet étang, il n’y a pas d’hébergement. Mais il est possible d’y venir dormir en camping-car, en toile de tente ou d’installer des matelas dans le cabanon. La propriétaire met à disposition un barbecue, une plancha, une barque, de l’eau potable en Jerrican, un générateur électrique et des toilettes sèches.
L’étang a été acheté par les parents de Mélanie Mourey-Caritey, en 2016, « pour passer des moments en famille », raconte la jeune femme, âgée de 28 ans, et qui réside à Écromagny, où elle exerce comme coiffeuse. C’est elle qui est chargée de la gestion des locations. « Plus les années passent et moins on a le temps de se retrouver tous ensemble », explique-t-elle pour motiver leur choix de louer le site. « On a décidé d’en faire profiter d’autres personnes, ajoute Mélanie Mourey-Caritey. Ces petites locations vont nous permettre d’investir dans l’étang et de l’entretenir. » Elle apprécie les garanties proposées par la plateforme, qu’elle a rejointe cet été, comme « l’assurance » ou la certitude « d’être payé ». Au printemps, elle l’avait aussi mise sur leboncoin. Depuis qu’elle s’est inscrite sur Rentalake, en juillet, les demandes de location affluent. C’est plein les deux prochaines semaines. « Les propriétaires gardent le contrôle sur tout, rassure Hugo Gruss. S’ils ont un problème, il nous appelle directement sur notre téléphone. »
En fin d’année, les deux créateurs espèrent enregistrer 300 étangs sur leur plateforme et déployer un réseau d’ambassadeurs dans les régions ; une centaine d’offre est déjà répertoriée. Et ils se tournent vers l’étranger. En 2025, ils veulent ouvrir Rentalake en Belgique. Ils doivent aussi lancer une étude de faisabilité pour l’Allemagne. Pour cela, la société, basée à Marseille, doit lever des fonds pour continuer de grandir.