Gilles Detrie, directeur départemental de la Banque de France dans le Territoire de Belfort, livre une analyse économique des entreprises de la région. Après une année 2018 en retrait, conséquence, notamment, d’un environnement international anxiogène, les perspectives 2019 sont encourageantes. Et on attend de meilleures marges pour les entreprises. Entretien.
En 2017, nous observons un chiffre d’affaires réalisé bien supérieur aux prévisions. Dans l’industrie, on attendait une progression de 4,8 %, la hausse est finalement de 9,1 %. Comment explique-t-on cette différence ?
Gilles Detrie – Les chiffres “attendus” correspondent à des questionnaires envoyés en début d’année aux chefs d’entreprises, qui ont tendance à être prudents dans les prévisions. L’année 2017 a été plus porteuse que prévu. Dès qu’une prévision est supérieure à 5 %, il n’est pas surprenant que le résultat soit beaucoup plus fort. On observe en 2017 un effet de rattrapage par rapport à 2016, notamment dans le nord Franche-Comté, avec le secteur automobile par exemple. Au cours de l’année 2017, le nord Franche-Comté a tiré son épingle du jeu, avec des chiffres d’affaires supérieurs à la moyenne régionale, mais aussi avec une croissance des marges nettes (+ 3,5 % dans le Territoire de Belfort, + 3,3 % en Haute-Saône et + 3,9 % dans le Doubs). La marge nette, c’est le nerf de la guerre. Cette marge sert à rémunérer le développement de l’entreprise et signifie des capacités d’autofinancement.
2018 est une année plus difficile, qui se traduit par des prévisions trimestrielles de croissance du PIB français en constante baisse, de 1,9 % (mars 2018) à 1,5 % (décembre 2018). Quelles en sont les raisons ?
GD – L’année 2018 est beaucoup plus heurtée que l’année 2017. À l’international, on subit les conséquences des décisions de l’Administration de Donald Trump. À l’échelle nationale, il y a eu des grèves, mais aussi le mouvement des Gilets jaunes (à partir du 17 novembre, NDLR). On estime qu’il y aura un impact, notamment sur le petit commerce. On n’observe pas encore de hausse des taux de défaillance des entreprises, qui seraient consécutif à ce mouvement, mais il y a toujours une inertie entre les difficultés rencontrées et les effets observées sur les entreprises. La Banque de France estime une perte de PIB de l’ordre de 0,2 % à la suite de ce mouvement, dont l’effet est cumulatif.
Malgré une année plus difficile, les résultats des entreprises en 2018 sont solides, de l’ordre de 2,7 % pour l’industrie, conforme aux prévisions. On observe un résultat supérieur aux attentes dans la construction (+ 3,7 % contre 1,6 % attendu), mais bien inférieur dans l’ingénierie (respectivement + 1,7 % contre + 6 % attendu). Qu’est-ce-que cela traduit ?
GD – Dans l’industrie, on prévoyait une hausse moins forte en 2018 qu’en 2017, une année où les planètes étaient alignées. Cela s’est confirmé. Dans la construction, les acteurs sortaient d’une période difficile. Le discours était modéré. Nous observons par exemple en 2018 une augmentation du nombre de permis de construire délivrés, accompagnant la reprise observée. La baisse enregistrée dans le secteur de l’ingénierie est en lien direct avec le recul du secteur des équipements électriques et électroniques, dont le chiffre d’affaires baisse de 14 % en 2018 (secteur de General Electric, NDLR). Avec moins d’activités, les entreprises ont eu moins recours à de l’ingénierie. Par un effet d’inertie, ce secteur progresse moins qu’escompté (+ 1,7 % contre une prévision à + 6 %). Le recul de cette branche s’observe aussi par une baisse des investissements (- 37,8 % entre 2017 et 2018 alors que les prévisions étaient à + 1,8 %, NDLR).
En 2018, le marché de l’industrie a ralenti, conformément aux prévisions. Par contre, l’export recule nettement, tout comme l’emploi intérimaire et les projets d’investissement…
GD – Nous observons peu de variations des effectifs globaux dans l’industrie. L’augmentation du chiffre d’affaires a donc été fait à effectif constant. Concernant l’emploi intérimaire, il représente moins de 1 % des effectifs globaux. De fait, de petites variations provoquent de fortes baisses. En parallèle, on observe que plusieurs entreprises ont des difficultés à recruter. Du côté des exportations, l’économie mondiale était moins bien orientée : Brexit, politique de l’Administration de Donald Trump, tensions diplomatiques avec l’Italie.
Un chef d’entreprise a besoin de certitudes
Selon le directeur de la succursale belfortaine de la Banque de France, un chef d’entreprise sait toujours où investir dans son entreprise. La question est de savoir quand. Déjà, il faut qu’il y ait un besoin, c’est-à-dire que son outil de production soit utilisé pleinement. Ensuite, il faut qu’il y ait les éléments favorables, comme des taux d’emprunt attractifs. Intégré à l’Eurosystème, et en qualité de banque centrale, la Banque de France applique une politique monétaire « accommodante ». Celle définie par la Banque centrale européenne. En d’autres termes, elle encourage les établissements bancaires à avoir des taux attractifs afin de dynamiser les échanges. Enfin, il est nécessaire que le climat national ou international soit serein. « Dès qu’il y a un grain de sable, le chef d’entreprise reporte son investissement dans le temps », explique le directeur de la Banque de France.
Qu’en est-il de l’utilisation des capacités de production, un indicateur de l’investissement…
GD – Si nous schématisons l’appareil de production de la région, nous avons des taux d’utilisation des capacités de production de l’ordre de 80 % (graphique ci-dessous). On a déjà beaucoup investi dans les entreprises, donc il n’y a pas de tension sur les capacités de production. Il ne faut pas non plus avoir 100 % de taux d’utilisation, sinon cela signifie que l’entreprise a besoin d’investir et qu’elle ne peut pas répondre à toutes les commandes. L’absence de tensions sur l’utilisation des capacités de production signifie que cet appareil n’est pas un frein à l’activité économique. Cela signifie aussi que l’on n’a pas un besoin généralisé d’investissements. Le programme d’investissements va reculer de 3,4 % en 2019, mais avec des situations contrastées (recul dans la fabrication de matériel de transport et effort dans la fabrication d’autres produits industriels). Par contre, on peut avoir des besoins d’investir sur des plages spécifiques de l’entreprise.
S’attend-t-on à une meilleure rentabilité des entreprises en 2019 ?
GD – Les perspectives sont meilleures. Nous suivons cela attentivement pour nous situer vis-à-vis de nos partenaires (Allemands notamment, NDLR). Nous avons accusé, sur les dernières décennies, une baisse de la rentabilité de nos entreprises. Nous devons la restaurer pour accroître la compétitivité des entreprises françaises. Quand nous perdons cette compétitivité, nous perdons de la marge, donc des capacités d’innovation et d’investissement.
Au plus proche des entreprises
En début d’année, la Banque de France adresse un questionnaire aux chefs d’entreprises, pour connaître leurs perspectives. Ils en font de même en fin d’année pour collecter les données réalisées. Pour réaliser ce bilan 2018 et évoquer les perspectives 2019, 1 495 entreprises ont répondu. Notons un taux de réponse de 62 % dans le secteur de l’industrie, de 34 % dans celui de la construction, mais de 7 % dans l’hébergement-restauration. L’établissement indépendant, créé par Napoléon Bonaparte, tisse un lien étroit avec les entreprises du territoire et collecte l’ensemble de la documentation comptable de toutes les entreprises ayant un chiffre d’affaires annuel dépassant 750 000 euros. Un travail permettant de répondre à sa mission de service à l’économie (accompagnement des TPE et PME, médiation de crédit).
* Mes questions d’argent, un portail développé par la Banque de France pour mieux comprendre et mieux décider, proposant des vidéos didactiques, des lettres types ou encore des simulateurs.